Si j'ai choisi ce livre lors de la masse critique de février c'est que je suis convaincu depuis longtemps de vivre en Absurdie. Les décisions absurdes existent : je les ai rencontrées ! Personnellement et très souvent.
Un des types les plus marquants d'absurdité en pédagogie est d'utiliser des exemples ou pire des exercices qui heurtent le sens commun genre la bonne réponse dans un problème de physique sur les résistances est que pour ne pas brûler en premier le cordon électrique d'un fer à repasser devrait avoir un diamètre mini de 0.5 mètre parce que le professeur pour simplifier a émis l'hypothèse que la résistance du fer est négligeable (hors c'est bien évidemment elle qui chauffe la semelle). Pédagogiquement il n'y a rien de plus nuisible d'autant que les rares élèves intelligents qui soulèveront l'incongruité se feront réprimander, et au contraire ceux qui donneront la réponse débile féliciter.
Mais il y a pire, c'est de s'attaquer à la résolution d'un problème qui n'existe pas (ou plus) ex. celui des transparents illisibles et d'y revenir sans cesse pour étayer sa thèse. Car oui Mr
Christian Morel fait une fixette sur les transparents que moi-même dans les années 80 j'appelais ironiquement transpirants.
ALORS SI CE N'ETAIT PAS UNE OPERATION VIDE GRENIER DE BABELIO MAIS UNE REEDITION : ARRETEZ TOUT !
L'utilisation très répétitive et redondante des mêmes exemples durant les 350p. s'apparente plus au supplice de la goute d'eau qu'à une validation. Je n'oublie jamais qu'une fausseté inlassablement répétée ne devient pas pour autant une vérité. Je veux simplement dire que la répétition excessive n'apporte de mon point de vue aucune plus value. J'ai trouvé que de nombreux passages s'apparentaient à de la masturbation intellectuelle, cela doit venir du côté freudien des sciences humaines. Bref ce martelage m'a non seulement ennuyé mais fortement parasité la vue d'ensemble. Cette surabondance de recours aux mêmes cas pour illustrer jusqu'aux concepts les plus simples nuit finalement à la clarté de l'exposé et va donc à l'encontre de l'objectif recherché (mais peut-être aligné sur des objectifs personnels inavoués.)
La méthodologie de bâtir toute une théorie sur un échantillon d'une douzaine de cas me paraît à haut risque, mais pourquoi pas ? Je déplore cependant que l'auteur ne donne aucune explication sur la sélection de ces exemples, a-t-elle été faite de manière aléatoire ? L'échantillon n'est-il pas biaisé ? le périmètre est-il le bon ? N'aurait-il pas été plus pertinent de s'en tenir aux cas où il y a mort d'homme ? le modèle ainsi bâti a-t-il été testé à postériori pour le valider ? La thèse semble à priori intéressante mais qu'elles sont les hypothèses sous-jacentes ?
Plus ennuyeux certains des cas utilisés sont hautement questionnables, je pense ici notamment aux évaluations annuelles, à l'enquête d'opinion. Dans ces deux cas l'auteur, ancien DRH fait preuve d'une incroyable naïveté par rapport à la réalité du terrain, limite de la cécité mentale, occultant totalement l'aspect manipulatoire que revêtent ces procédés. Quant au cas des Amish et leur refus de la modernité, il est étudié avec un biais supporté par un jugement de valeur, ainsi l'accent est porté sur l'absurdité des comportements de cette population. de 1996 à 98 j'étais au Etats-Unis, j'y ai vu par hasard un reportage extrêmement documenté qui montrait que les rendements à l'hectare obtenus par leurs méthodes traditionnelles non seulement n'étaient pas inférieurs mais au contraire significativement supérieurs à ceux du reste du pays où l'agriculture intensive et l'utilisation toujours plus massive de produits chimiques n'arrivait pas à compenser un appauvrissement des sols et une érosion toujours croissante. Interpellant.
Outre la pertinence du modèle se pose aussi la question de sa simplicité dont dépendra son adoption. Je ne suis pas pleinement convaincu que les segmentations et sous-segmentations proposées vont aider à diminuer le nombre et la gravité des décisions absurdes. Si l'éclairage reste un tant soit peu intéressant il reste extrêmement théorique et d'une certaine complexité. Mon expérience dans la pratique est que sauf gravité très importante la plupart des organisations ne prendront pas le temps d'une analyse approfondie multi-critères. De-là à dire qu'avec ce livre Mr
Christian Morel a bâti son pont de la rivière Kwaï, il n'y a qu'un tout petit pas.
Je vais quand même remercier Babelio pour cette masse critique et les éditions folio en recommandant à ces dernières de s'interroger sur la persistance de cet ouvrage sans un remaniement important. Je leur signale en passant que dans le livre reçu régulièrement vient se glisser une phrase avec une police plus petite aussi bien sur les pages de gauche ou de droite, passablement dérangeant. Tiens, j'en ai justement repéré une p.307 "Une solution peut ainsi partir à la dérive." ;)
Pour illustrer le sujet par plein d'exemples croustillants rien ne vaut un bon Dilbert. Et je pose la question ne serait-il pas intéressant pour la sociologie de considérer les décisions absurdes comme l'état de normalité et celles qui ne le sont pas comme des exceptions ?