Guérit-on jamais de son enfance ?...
Même si lu en quelques heures, je reste partagée et perplexe pour rendre compte comme je le souhaiterai de cette lecture étonnante et bouleversante... autant que dérangeante à certains moments !... Pour dire combien mes impressions sont comme le texte lui-même, aussi contrastées que contradictoires !!
Je savais la plume et l'esprit de
Régis Jauffret mordants, grinçants, fort sombres... Ce livre est tout cela, et dans un même temps rempli de fulgurances lumineuses et d'une vraie tendresse pour un père, qui a manqué, faute de vraies paroles et complicités vécues entre un "père et un fils unique"......
Hommage au père, même si très tardif...et posthume. Il aura fallu très récemment à l'écrivain d'apercevoir dans un documentaire sur la police de Vichy son père sortant menotté, entre deux gestapistes, de l'immeuble marseillais où Régis Jauffrey a passé toute son enfance. Abasourdi en
reconnaissant le visage terrorisé de son père, il se met à enquêter, comprenant d'autant moins, que son paternel n'a jamais parlé de son vivant ,de cet incident ! Les images dataient de 1943....
A la lumière de ce silence paternel, aussi mystérieux que difficilement compréhensible, l'écrivain revisite son enfance, l'histoire familiale, mais surtout l'image de ce père présent-absent, dont il trouvait l'existence terne....Alors l'imagination du fils-écrivain s'emballe !...
"Si je n'avais pas vu ces images tu serais resté dans les égouts de ma mémoire. Les égouts, les jardins, le paradis perdu de mon enfance, souvent il faut aligner les mots sans en choisir aucun car chacun d'eux est le bon à condition de tous les citer. Je n'ai peut-être écrit tout au long de ma vie que le livre sans fin de tout ce que nous ne nous sommes jamais dit." (p. 133)
Un livre-coup de poing: sombre, violent, tendre, pathétique, mordant, rancunier, aimant, universel dans nos questionnements , nos culpabilités et regrets envers ceux qui nous ont donné la vie !
Je ne peux m'empêcher d'avoir , en fermant ce livre très personnel, le coeur très serré de savoir que ces deux-là ne n'ont pas réussi à vraiment se "rencontrer" du vivant du "
Papa". Alfred, un homme plein de possibles, aimant la musique, jouant du piano, lisant, écrivant de la poésie" marchant dans les collines"... qui dans un même temps s'est enfoncé dans la dépression et des complexes, souffrant d'une surdité grandissante...lui ayant progressivement fait prendre la vie comme une fatalité , et s'isoler dans sa propre maison...!
Et l'un des derniers thèmes central de ce récit personnel: le pouvoir magique de transfiguration offert par la littérature...qui console, répare...exprime les sentiments, les mots que l'on n'a pas su prononcer aux très proches, aux bons moments....
"Seul le roman a le pouvoir de modifier ce qui a existé. Dans ce livre où je me suis fait violence pour ne pas aller à l'encontre de la réalité, je n'ai pas résisté en fin de parcours au plaisir d'inventer ces moments de plénitude. Je sais que ce souvenir de conversation, de mer et de symbiose est une création dont aucun instant n'a été. Malgré tout, ce bonheur inventé restera dans ma mémoire pour illuminer le visage de ce père tant désiré dont la vie m'a frustré.
La journée et les deux soirées que nous n'avons pas passées ensemble m'ont rendu heureux. Pendant que j'en écrivais le récit je me suis rapproché de toi. Toute cette joie inventée était pour moi réelle au fur et à mesure que les phrases tombaient des nues. Ce chapitre m'a offert tout le meilleur de toi. La part la plus tendre, la plus joyeuse, celle dont je n'aurais pas osé rêver de ton vivant. La littérature m'a comblé" (p. 199).