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EAN : 9782226449573
280 pages
Albin Michel (26/02/2020)
3.9/5   437 notes
Résumé :
Personne ne connaît vraiment Vanda, cette fille un peu paumée qui vit seule avec son fils Noé dans un cabanon au bord de l'eau, en marge de la ville. Une dizaine d'année plus tôt elle se rêvait artiste, mais elle est devenue femme de ménage en hôpital psychiatrique.

Entre Vanda et son gamin de six ans, qu'elle protège comme une louve, couve un amour fou qui exclut tout compromis. Alors quand Simon, le père de l'enfant, fait soudain irruption dans leu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (146) Voir plus Ajouter une critique
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J'ai adoré. Adoré Vanda et son petit Bulot, Noé de son prénom, son petiot de six ans. Adoré cette complicité et fusion entre une mère et son fils. Seuls contre le monde entier.
Ce livre est puissant tant par la force de l'amour qu'il distille que par le caractère trempé de cette Vanda tatouée sur tout son corps.

Vanda et Noé sont seuls au monde. Perdus au bord de la mer dans un cabanon où règnent le désordre et l'exiguïté. Vanda elle fait avec ce qu'elle est, ce qu'on lui a donné. Elle pousse des gueulantes pour un oui pour un non. Elle donne son corps aux marchands de plaisir, elle boit et fume sur la plage avec ses potes. Puis elle retrouve Noé. Près de lui, elle voudrait être ailleurs, loin de lui, elle voudrait n'être qu'avec lui. C'est tout le paradoxe de Vanda.

Quand surgit Simon, le père de Noé plus de sept ans plus tard, Vanda a peur. Peur que sa bulle explose, peur que le duo mère-fils se disloque.

On alterne dans ce très beau roman la voix de Vanda puis celle de Simon. Leurs angoisses se rejoignent sans crier gare. Vanda et Simon, deux êtres qui ont grandi sans père, un peu trop vite, tant bien que mal.
On pourrait reprocher à Marion Brunet des personnages au ton un peu trop vulgaire, c'est vrai. Parce que Vanda ne pèse pas ses mots. Elle parle comme elle pense, comme elle est, ses tatouages et sa rage pleins la bouche. Cela ne m'a pas choquée. Ça colle avec cette Vanda, ça la caractérise, ça la dessine, ça la rend tout à fait proche de nous. Et malgré ses bavures et ses imprudences, on s'attache à elle, on regarde émus son courage, sa spontanéité, son amour fou pour son fils.

Un très beau roman que j'ai trouvé puissant et évocateur. La mer, les moustiques, le sable, la misère, l'oiseau rare, Noé sans son doudou qui plonge ses mains dans la chevelure de sa mère pour s'endormir. Tout et plus, j'ai trouvé ce roman éblouissant.

Merci aux éditions Albin Michel, à Marion Brunet et à Babelio pour l'envoi de ce roman qui m'aura retourné le coeur.
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Vanda vit un peu en marge de la société. Des boulots parfois précaires, des amis qu'elle fréquente de loin en loin, des coups d'un soir, un cabanon sur la plage pour seul logement, sa Bretagne natale et accessoirement sa mère qu'elle a quittée pour s'installer à Marseille. Son seul rayon de soleil, c'est son fils, Noé, qu'elle surnomme affectueusement son petit Bulot. Un lien indéfectible et immuable les unit depuis que le petit garçon est né. Mais voilà qu'un soir, dans un bar, elle reconnaît son ex petit ami, Simon. Sept ans qu'ils ne se sont pas vus mais s'accordent tout de même pour se revoir dans les jours prochains. Lors de leur rendez-vous, alors qu'il est revenu pour le décès de sa mère, il est surpris d'apprendre qu'il a un fils. le retour de ce père risque de bouleverser la vie qu'ils s'étaient faite à deux...

Vanda et son petit Bulot contre le reste du monde... Si jusqu'ici la jeune femme a tenu bon, portée par l'amour de son fils et la complicité sans faille qui les unit, l'arrivée de Simon, le père de Noé, va mettre en émoi Vanda, mère protectrice et aimante qui, jusque là, s'est très bien passée de lui. Après Ab Stenson, Marion Brunet dresse une nouvelle fois le portrait d'une femme sans reproche et sans peur. Un portrait saisissant d'une mère ultra-protectrice, presque possessive, qui ne supporte pas d'être séparée de son fils (excepté à quelques occasions), et qui, évidemment, voit l'arrivée de Simon comme intrusive. Cet amour immodéré ne court-il finalement pas à sa perte ? Un roman émouvant mais aussi éprouvant de par cette relation mère/fils, prenant de par ce drame que l'on sent poindre, révoltant de par cette peinture sociale miséreuse et une plume juste et vivante...
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Odeur de drame, tension extrême, cela pèse dès le début sur l'atmosphère de ce roman très social de Marion Brunet : Vanda. J'ai pu le découvrir grâce à Babelio (Masse critique) et les éditions Albin Michel (épreuves non corrigées).
Vanda est une jeune femme, mère de Noé (6 ans), enfant qu'elle élève seule et qu'elle appelle affectueusement Bulot. Personne très indépendante, elle a quitté sa Bretagne natale pour vivre à Marseille où elle a rencontré Simon, fait l'amour puis s'est retrouvée enceinte alors qu'elle était à Tanger, au Maroc.
Toujours farouchement seule, elle n'a rien dit au père qui ignore totalement qu'il a un fils. Il vit à Paris et ne l'apprend que six ans plus tard alors qu'il est revenu à Marseille à la mort de sa mère. Détail important, Chloé, la compagne de Simon, refuse catégoriquement d'avoir un enfant.
Vanda et Noé vivent dans un cabanon, sur une plage, dans des conditions très précaires. Elle travaille dans un hôpital psychiatrique où elle fait le ménage mais où elle révèle surtout une profonde humanité. Hélas, alcool et envie fréquente de faire la fête reprennent souvent le dessus.
Ce roman, en plus des portraits fouillés de Vanda et de Simon, raconte un affrontement terrible entre une mère très possessive et un père qui voudrait simplement offrir un peu de confort et de sérénité à son fils. Ce fils, Noé, est viscéralement attaché à sa mère. Ils dorment ensemble, ne se séparent que parce que Vanda est obligée de travailler. C'est un amour fusionnel qui ne peut que causer des dégâts par la suite.
J'ai apprécié Vanda dans ses combats sociaux, au travail, mais je n'ai pas aimé ses choix de vie pleins de risques pour elle mais surtout pour son enfant. Elle est toujours sur la corde raide, presque une sans domicile fixe car l'été, le propriétaire du cabanon préfère louer aux vacanciers. Cela donne un épisode Corse très intéressant et très instructif sur la personnalité de Vanda.
Elle est immensément courageuse quitte à priver son fils d'un père qui tente un peu maladroitement d'apporter un peu de confort à son fils et à sa mère. Confort égale-t-il bonheur ? La question mérite d'être posée et chacun y répondra selon ses convictions et d'après son expérience personnelle mais, en lisant ce très bon roman, j'ai eu la sensation désagréable d'un immense gâchis.
Marion Brunet que je découvre pour l'occasion, raconte tout cela avec talent, précision et je conseille vraiment de lire ce livre en continu car l'auteure crée une ambiance, une atmosphère indispensable à la compréhension de son personnage principal : Vanda.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Moi qui abordais ce livre dans l'esprit d'une lecture de détente entre deux thrillers noirs, moi qui pensais que c'était une lecture plutôt "grand ado/jeune adulte" (j'ai lu "Sans foi ni loi" récemment"), eh bien...je me suis bien plantée !
Cette histoire m'a serré le coeur à tel point que je n'ai pas pu la lire d'un trait, alors même que le roman est court et ne prends que quelques heures à terminer. Je me sentais étouffée par cette fusion entre Vanda et son "bulot", ainsi qu'elle surnomme son fils Noé. Et c'est vrai qu'il s'accroche à sa mère comme un bulot à son rocher, ce petit garçon, tant il craint de la perdre, par exemple lorsqu'elle va nager trop loin, ou qu'elle le laisse seul pour s'adonner à l'ivresse de l'alcool et des étreintes aléatoires. C'est d'ailleurs lors d'une de ces soirées où alcool et autres dérivatifs permettent d'oublier tous les aléas de la vie que Noé a été conçu, par hasard, avec Simon, un "petit ami" qui est parti ensuite faire sa vie ailleurs sans se douter un instant qu'il avait semé un enfant dans le ventre de Vanda. Au moment du retour de Simon à Marseille (il vient enterrer une mère avec laquelle il n'avait plus vraiment de contacts), Vanda et Noé, qui a 6 ans, vivent comme ils le peuvent dans un cabanon, avec des moyens très réduits et le moins possible d'intrusions extérieures. Pourtant Vanda travaille, en contrat précaire et mal payé, ce qui lui permet de fournir le nécessaire à son fils et de "faire la bringue" quand l'envie lui en prend. Noé, lui, va à l'école et aimerait bien parfois voir un peu plus ses copains, même s'il est toujours aussi "accro" à sa mère. Quand Simon apprend par une gaffe de Vanda qu'il est papa, son premier réflexe est de faire connaissance avec ce rejeton tombé du ciel, d'autant plus que sa compagne Chloé ne veut pas d'enfant et ne semble pas trop se soucier de sa propre opinion sur le sujet.
Le roman nous parle d'une part de la prise de conscience de Simon, qui est plutôt un brave type et voudrait donner à son fils ce que lui-même n'a pas eu avec son propre père, et d'autre part de la crainte de Vanda qu'un quasi-étranger vienne s'immiscer dans sa relation avec Noé. J'ai d'ailleurs eu du mal à comprendre que cette crainte soit si forte, au point qu'elle envisage très vite une fuite à l'étranger, sans laisser la moindre chance à Simon de lui expliquer ses intentions. Mais elle est comme ça, Vanda, tout d'une pièce, et sans concessions dès qu'il s'agit de son bulot. Autant elle se permet pas mal de "légèreté" dans sa propre façon de l'élever, autant elle imagine Simon comme un intrus qui n'apportera rien de bon puisqu'elle s'en est très bien passée jusqu'alors, et Noé aussi. Elle est touchante et agaçante, profondément humaine (par exemple à son boulot dans un hôpital psychiatrique alors qu'elle n'est "que" femme de ménage), mais aussi parfois complètement égocentrique et irresponsable.
Marion Brunet a beaucoup travaillé la personnalité de son héroïne, je suis complètement entrée en communion avec elle, du coup les passages qualifiés de "vulgaires" par certains commentateurs ne m'ont absolument pas choqués. Ils font partie de sa façon d'être, son mode de vie aurait rendu très incongru un langage châtié ! le personnage de Simon par contre est un peu moins approfondi, on sent ses tiraillements entre sa vie actuelle plutôt bourgeoise avec Chloé et son envie de rester à Marseille pour s'occuper de son fils, mais il aurait mérité d'être un peu plus développé. Je me suis également demandé comment il se fait que les services sociaux n'aient jamais mis leur nez dans la vie de Vanda et Noé, dans un cas pareil il y a en général signalement (conditions de vie précaires, enfant souvent laissé à lui-même alors que la maman s'alcoolise dans des bars...). Peut-être sont-ils plus pointilleux en Alsace qu'à Marseille. le petit Noé m'a fait fondre, il essaie tant de faire plaisir à sa maman (et en est parfois bien mal récompensé !), il demande si peu en retour, juste qu'elle l'aime et reste un peu plus auprès de lui. Mais il voudrait bien connaître un peu plus ce papa qui surgit de nulle part...
Alors non, ce n'est décidément pas un roman léger, même s'il n'est pas noir, la fin est ...non je dis rien, et ce n'est pas non plus une lecture destinée aux ados. Mais je ne regrette absolument pas de l'avoir choisi, Marion Brunet est décidément une auteure qui maîtrise plusieurs registres et je vais très certainement continuer à la suivre. Je recommande sans réserve !
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L'occasion m'a été donnée de m'intéresser à ce roman par Babelio qui me l'a proposé lors d'une Masse Critique privilégiée. Hélas, cette fois - là le sort m'a été défavorable et d'autres amis et amies babeliote ont profité de cette belle opportunité. Pourtant , le "poisson était ferré " et s'était bien promis de se lancer un jour " à l'assaut " de ce petit livre à l'histoire bien intrigante Alors , dés la sortie " en poche " , jeudi dernier ..... L'histoire ? Oh , finalement , elle est assez banale .Simon se rend à Marseille aux obsèques de sa mère qu'il ne rencontre plus que de temps à autre . C'est qu'il a sa vie à Paris , une profession reconnue , une compagne , Chloé avec qui tout va pour le mieux . Alors , sa mère....Pourtant , en se rendant à ses obsèques, ce qu'il ignore , c'est que sa vie va basculer : face à lui , par hasard , se tiennent Vanda , une ancienne " rencontre " de jeunesse ....et un petit garçon . Dés lors , plus rien ne sera comme avant , une " machine infernale " jette son emprise et déferle sur le trio .
Le livre est court , si court qu'on pense être vite " au bout " et pourtant , on se complaît à traîner, à savourer une écriture loin d'être " légère " , à s'immiscer de ci , de là, à droite , à gauche , deux côtés comme séparés par une ligne rouge infranchissable , une ligne rouge sur laquelle évolue, en équilibre précaire un " fildefériste" , un petit garçon , un petit Noé , le petit " Bulot " à sa maman . C'est dur , n'ayons pas peur des mots , violent aussi de cette violence quotidienne qui fait parfois ressurgir " les cendres d'un volcan qu'on croyait éteint " et fait chavirer le " bateau du bonheur " , fragile certes mais qui , bon an , mal an , résistait tout de même aux " coups de vent " jusqu'à ce que ....
Ce roman nous implique , pas moyen d'échapper à l' intervention de notre " moi profond " , pas moyen pour notre coeur de " se planquer " pour ne pas parler , pas moyen non plus pour notre " raison " de " rester " en retrait . Un sacré bouleversement de notre être autour de ces personnages peu nombreux mais inoubliables , dépeints par l'auteure avec tact et grande intelligence . Un roman marquant sur un sujet difficile , mené avec art de bout en bout , sans excès aucun . J'ai adoré et je pense ne pas avoir été le seul ....
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INCIPIT
Il restera pas
Elle l’a reconnu tout de suite, s’est arrêtée de respirer, glacée. Il boit près des enceintes, remue à peine dans un balancement raisonnable de la tête, le sourire ennuyé du mec qui n’a pas traîné dans ce genre d’endroit depuis longtemps.
Qu’est-ce qu’il fout là ? Vanda ne l’a pas revu depuis presque sept ans. Sept ans c’est loin, une autre vie – formule éculée pour une réalité charnelle. Le type ne bouge pas, il y a longtemps déjà il était comme ça, incapable de danser, le corps qui s’empêche, il n’y avait que dans le sexe qu’il devenait mouvant, surprenant de désordre et prêt à l’envol.
Tournant le dos à la scène, Vanda traverse le groupe de danseurs, pousse les corps en sueur, les torses qui tressautent et se heurtent. Les visages luisants et orangés sont tordus dans la lumière, les dents à découvert. À mesure que le groupe sur scène s’excite de plus en plus et que l’ambiance du bar monte encore d’un cran, elle réalise qu’elle est déjà drôlement bourrée. Le vertige de l’alcool et l’impression d’être envahie sur ses terres. Lui, près des enceintes, il ne fait plus partie de son paysage. Il s’y superpose tel un insecte sur un tableau aimé. Il faut qu’elle rentre, elle doit fuir l’autre, rejailli d’entre les disparus, bordel il faut vraiment qu’elle bouge avant qu’il la voie. Elle se coule vers le comptoir, commande une vodka. La dernière, elle annonce au serveur, qui lui sourit sans y croire. Il s’en tape qu’elle mente, il en voit tous les soirs des pires qu’elle. Et elle aussi il la voit souvent, depuis longtemps. Ce bar, c’est une fausse famille à force, des gens avec qui rire sans en avoir vraiment envie, des ivrognes qui deviennent plus familiers que les cousins avec qui on faisait les marioles ou que ses propres gosses. Il n’y a que dans cet endroit qu’on peut encore écouter des groupes de punks qui font de la musique comme on défonce un abribus ou un distributeur de billets. Du rock un peu sale, pour des fêtards d’un même tonneau. Ici, il y en a d’autres qui lui ressemblent, des abîmés qui ont oublié de vieillir. Vanda boit sa vodka d’un seul mouvement, une longue gorgée qui pique à peine, repose le verre sans douceur sur le comptoir.
Parce qu’elle plie sous l’urgence, elle tient parole et décline d’un geste la proposition du serveur qui ressort la bouteille. C’est rare qu’elle refuse le dernier verre offert par la maison, mais là il faut qu’elle se tire, elle n’a pas le choix, trop à perdre et les mains qui tremblent.
Sur le trottoir des types fument, et l’un d’entre eux lui fait des signes d’au revoir, il titube en rigolant.
– Salut Vanda, fais gaffe sur la corniche.
Elle allume une clope sans répondre avant d’ouvrir sa Renault 21 hors d’âge qu’elle n’aura jamais les moyens de remplacer. Elle a laissé un bras au garagiste pour la dernière courroie de distribution, maintenant ça fait moins de bruit quand elle roule, un luxe. Secouée par un rire anxieux elle se glisse dans l’habitacle, un rire de femme saoule ou de jeune fille qui fait le mur. Un rire excentrique et embarrassant. Mais avant qu’elle ne démarre il est là, tout près, si près qu’elle sursaute – il a posé une main sur la portière, là où la vitre est descendue. Il ne dit rien, lui sourit simplement. Elle peut voir qu’il a vieilli, ça lui va pas si mal. Comme elle reste interdite, bouche cousue, il finit par reculer son visage, gêné peut-être.
– Je suis dans le coin pour quelques jours, ce serait bien qu’on boive un verre.
Pour ne pas répondre elle grogne, bave un ouais qui dit l’inverse, fait démarrer la bagnole. Il faut qu’elle parte. Il restera pas.
Elle appuie sur l’accélérateur pour filer le plus vite possible, alors il est obligé de lâcher la portière.
Vanda coupe par le centre-ville et rejoint la mer qu’elle longe, la tête penchée vers la fenêtre, pour le plaisir et la claque fraîche qui lui permet de tenir la route. Elle pense à Simon, il est temps de rendre son nom au mec croisé au bar, le mec d’il y a longtemps. Un copain du copain d’un copain, à cette époque ils étaient nombreux à traîner en bande, courir les vernissages pour boire l’apéro à l’œil et remplir leurs poches de cacahuètes, ils étaient tous plus ou moins artistes, certains moins que d’autres, tous plus ou moins allumés, certains plus que d’autres. Ils rigolaient bien. Ça a duré quelques mois leur histoire et puis il est parti, elle ne comptait pas qu’il revienne, vraiment pas.
En faisant des grimaces dans la nuit, Vanda tente de chasser le souvenir, chantonne en roulant des épaules pour un public invisible. C’est seulement quand elle s’engage dans la traverse qui rejoint la plage qu’elle se tait et s’apaise un peu. Ici il y a le bruit des vagues, l’aspiration animale du ressac. Elle ne ferme pas la voiture, personne n’en voudrait. Elle la gare toujours au même endroit, tout contre le parapet qui surplombe la plage ; les voisins ne disent rien, ceux des villas – ça fait longtemps qu’elle vit ici, même si elle n’a pas vraiment le droit. Du sable est collé sous la calandre et dans les sillons des pneus presque lisses. À l’intérieur aussi il y a du sable partout, sous ses fesses et au sol, un bordel monstre à l’arrière, les sièges rabattus. Des pots de peinture et de la térébenthine, du white spirit, des morceaux de bois, une pelle en plastique. Et le duvet déroulé, bossu.
Au bruit que fait le hayon en s’ouvrant, ça s’agite dans le duvet. L’enfant se réveille mais pas complètement, juste ce qu’il faut pour s’extirper du duvet et s’agripper à sa mère, qui l’attrape contre sa hanche, le portant à moitié – malgré ses six ans il ne pèse pas grand-chose. Dans son état, la descente des marches jusqu’au cabanon est acrobatique, mais elle a l’habitude, c’est souvent qu’elle l’embarque et rentre avec lui dans la nuit. En revanche dans le sable c’est plus dur, elle manque de s’effondrer et son pied tape dans une canette de bière oubliée. Ça la fait ricaner mollement, elle ne se sent plus si saoule pourtant – la route, le vent, et l’odeur de la mer à présent, son mouvement. Et le corps de l’enfant, sa tête qui roule contre elle.
Le plus doucement possible, elle ouvre le volet efflanqué puis la porte, la referme sur eux et sur la pièce unique, aveugle. Elle accompagne l’enfant dans le grand lit, il se coule sous la couette, un bras hors du drap, et se rendort instantanément, la bouche entrouverte, les tempes encore mouillées par une suée nocturne. Vanda s’accroupit près de lui, enfonce le visage dans son cou pour le sentir, renifler ses odeurs de nuit. Elle l’embrasse comme on dévore, au risque de le réveiller à nouveau.
– Mon bébé, mon Bulot, je t’aime, je t’aime.
Une litanie, une chanson douce et folle – son garçon au sommeil lourd ne se réveille pas.
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Il restera pas
Elle l’a reconnu tout de suite, s’est arrêtée de respirer, glacée. Il boit près des enceintes, remue à peine dans un balancement raisonnable de la tête, le sourire ennuyé du mec qui n’a pas traîné dans ce genre d’endroit depuis longtemps.
Qu’est-ce qu’il fout là? Vanda ne l’a pas revu depuis presque sept ans. Sept ans c’est loin, une autre vie – formule éculée pour une réalité charnelle. Le type ne bouge pas, il y a longtemps déjà il était comme ça, incapable de danser, le corps qui s’empêche, il n’y avait que dans le sexe qu’il devenait mouvant, surprenant de désordre et prêt à l’envol.
Tournant le dos à la scène, Vanda traverse le groupe de danseurs, pousse les corps en sueur, les torses qui tressautent et se heurtent. Les visages luisants et orangés sont tordus dans la lumière, les dents à découvert. À mesure que le groupe sur scène s’excite de plus en plus et que l’ambiance du bar monte encore d’un cran, elle réalise qu’elle est déjà drôlement bourrée. Le vertige de l’alcool et l’impression d’être envahie sur ses terres. Lui, près des enceintes, il ne fait plus partie de son paysage. Il s’y superpose tel un insecte sur un tableau aimé. Il faut qu’elle rentre, elle doit fuir l’autre, rejailli d’entre les disparus, bordel il faut vraiment qu’elle bouge avant qu’il la voie. Elle se coule vers le comptoir, commande une vodka. La dernière, elle annonce au serveur, qui lui sourit sans y croire. Il s’en tape qu’elle mente, il en voit tous les soirs des pires qu’elle. Et elle aussi il la voit souvent, depuis longtemps. Ce bar, c’est une fausse famille à force, des gens avec qui rire sans en avoir vraiment envie, des ivrognes qui deviennent plus familiers que les cousins avec qui on faisait les marioles ou que ses propres gosses. Il n’y a que dans cet endroit qu’on peut encore écouter des groupes de punks qui font de la musique comme on défonce un abribus ou un distributeur de billets. Du rock un peu sale, pour des fêtards d’un même tonneau. Ici, il y en a d’autres qui lui ressemblent, des abîmés qui ont oublié de vieillir. Vanda boit sa vodka d’un seul mouvement, une longue gorgée qui pique à peine, repose le verre sans douceur sur le comptoir.
Parce qu’elle plie sous l’urgence, elle tient parole et décline d’un geste la proposition du serveur qui ressort la bouteille. C’est rare qu’elle refuse le dernier verre offert par la maison, mais là il faut qu’elle se tire, elle n’a pas le choix, trop à perdre et les mains qui tremblent.
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Jusqu’à vingt ans, même si elle n’en parle pas, Vanda vivait en Bretagne. Elle a connu le ciel changeant, le gris sublime des orages, des argentés en lisière, nuages liquides, toutes les nuances d’avant ou après la pluie. Et les chemins détrempés, la boule molle et collante, parce qu’elle vivait dans un village des terres, pas sur la côte. Le bleu d’ici la rassure, inaltéré et plein. Il éloigne le doute, empêche les destructions. En fait, ce bleu-là repousse la fin du monde.
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Vanda a admis très tôt qu’elle était seule, comme on est seul au jour de sa mort.
Elle en a consommé la douleur jusqu’à en faire une identité, une armure. Les autres comptent un peu, mais ils s’en vont, disparaissent. Regarde sa meilleure amie d’école primaire, celle avec qui elle jouait sous les draps, et la petite bande du lycée dont la principale préoccupation était de fuir le coin au plus vite. Elle ne sait pas ce qu’ils sont devenus, ils n’ont pas résisté au temps, à l’absence. Et les amours terribles, de celles qui donnent du sens aux pulsations, pour qui on pense pouvoir mourir, ou qui nous ont tué en partant. C’est des conneries, on n’en meurt pas.
Quand son fils est né, quand elle l’a reçu contre elle pour la première fois, ça a déchiré quelque chose, en dedans. Il était là et il n’avait qu’elle. Il va t’aimer toute sa vie, elle se répétait, et elle ne savait pas si c’était Un bonheur ou une putain de malédiction.
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Vanda a admis très tôt qu’elle était seule, comme on est seul au jour de sa mort.
Elle en a consommé la douleur jusqu’à en faire une identité, une armure. Les autres comptent un peu, mais ils s’en vont, disparaissent. Regarde sa meilleure amie d’école primaire, celle avec qui elle jouait sous les draps, et la petite bande du lycée dont la principale préoccupation était de fuir le coin au plus vite. Elle ne sait pas ce qu’ils sont devenus, ils n’ont pas résisté au temps, à l’absence. Et les amours terribles, de celles qui donnent du sens aux pulsations, pour qui on pense pouvoir mourir, ou qui nous ont tué en partant. C’est des conneries, on n’en meurt pas.
Quand son fils est né, quand elle l’a reçu contre elle pour la première fois, ça a déchiré quelque chose, en dedans. Il était là et il n’avait qu’elle. Il va t’aimer toute sa vie, elle se répétait, et elle ne savait pas si c’était Un bonheur ou une putain de malédiction.
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La romancière Marion Brunet (Jeunesse et Polar) raconte qu'elle a apprit à raconter des histoires en écrivant pour la jeunesse.
Interview intégrale : https://youtu.be/Vy1WQJ61VbI
Notre site : http://www.artisansdelafiction.com/ #ecrire #écrire #écriture #litterature #ecriture #écrireunroman #polar
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