C'est en écoutant une entrevue télévisée où
Michel Onfray m'avait laissé perplexe en évoquant la « dimension politique » de la pensée kantienne et surtout l'influence de cette dernière sur des gens comme Eichmann que je me suis senti interpellé à lire ce livre puisque, selon
Onfray, c'est Arendt qui aurait mise en lumière cette dimension politique et ce lien entre
Kant et la dimension administrative des camps de concentration nazis.
Ces affirmations m'apparaissaient extraordinairement surprenantes étant donné que
Kant n'a écrit que quelques opuscules sur le politique et bien souvent sur un ton ironique et badin qui fait contraste avec ses oeuvres majeures. de plus, si certaines idées politiques kantiennes se démarquent de ces écrits mineurs au sein de son oeuvre, ce sont avant tout la notion de cosmopolitisme, de citoyenneté du monde ou encore celle de la légalité dans la Métaphysique de moeurs.
C'est donc pour en avoir le coeur net que j'ai été lire ce livre d'Arendt consacré à la question du politique chez
Kant.
Or, dès le premier paragraphe, c'est un tout autre son de cloche que l'on entend. Arendt écrit en effet, que «
Kant...n'a jamais écrit une philosophie politique. » (p.21) de plus, la perspective d'Arendt n'entend pas non plus s'attarder aux rares écrits où la question est directement évoquée par
Kant, mais explorer plutôt la
Critique de la faculté de juger en partant de l'idée que le jugement est au fondement de l'activité politique et que
Kant aurait pu, sinon peut-être du, aborder la question dans cette optique. C'est ainsi l'absence de capacité de juger d'Eichmann qui en aurait fait un instrument aussi parfait pour le nazisme.
Bref, cette réflexion brillante (et malheureusement inachevée car Arendt est décédée alors qu'elle travaillait sur le sujet) concerne avant tout le jugement et n'a rien à voir avec le nazisme proprement dit, hormis l'exemple d'Eichmann et autres collaborationnistes qu'Arendt tente de comprendre en tant qu'ils seraient dénués de faculté de jugement.
De plus, il faut comprendre que ce travail ne se fait pas dans une perspective herméneutique propres aux exégèses académiques, mais plutôt à des fins d'appropriation philosophique. L'avertissement de Heidegger dans l'avant-propos de la 2e édition de son
Kant et le problème de la métaphysique, selon lequel « [u]n tel dialogue de pensée entre des penseurs est [...] soumis à d'autres lois que les méthodes de la philologie historique, dont la tâche est différente » (p.55) me semble donc aussi parfaitement approprié à ce livre. Dans les deux livres, on trouve en effet très clairement les lignes de préoccupations d'Heidegger de d'Arendt, mais, malgré de multiples allusions et citations, assez peu de
Kant.