Fanshawe : voilà le nom qui, comme une obsession, résonnera à chaque page de ce roman. Fanshawe a été le meilleur ami du narrateur, avant qu'ils ne se perdent de vue et que Sophie Fanshawe, l'épouse dudit Fanshawe, ne vienne trouver le narrateur pour lui confier les écrits de son mari. Des romans, des poèmes, des pièces de théâtre : voilà le matériel littéraire que devra lire et juger le narrateur pour, ou non, le faire publier. Très vite, le narrateur prend conscience de la grande valeur littéraire des écrits de son ami disparu, qu'il fait alors publier. Plus encore, il séduit Sophie, et adopte le fils de Fanshawe. Les choses semblent donc bien aller, d'autant que les revenus liés aux livres édités permettent au narrateur et à Sophie de ne plus se soucier de leur avenir, matériellement parlant. Pourtant, c'est une longue introspection dans sa propre solitude que va commencer le narrateur.
Il faut dire que le narrateur et Fanshawe ont été très proches durant leur jeunesse. Habitant dans deux maisons mitoyennes qui partageaient le même jardin, ils se ressemblaient physiquement et leurs parents étaient amis. Ils partagent aussi le même goût pour l'écriture, à ceci près que le narrateur est un critique littéraire qui écrit pour toucher un salaire, et non pour révéler sa grande oeuvre. Tel un Seymour Levov, Fanshawe est un touche-à-tout irrésistible dont l'excellence n'a d'égale que la modestie. de là se construit une relation asymétrique entre le narrateur et Fanshawe, entre amour et répulsion, admiration et détestation. Cependant, la différence entre les deux identités n'est pas si nette, et le lecteur peut se demander si le narrateur - dont, longtemps, on ne connaît pas le nom - et Fanshawe ne sont pas la même personne. L'identité est l'un des thèmes centraux de la Trilogie new-yorkaise, ce qui permet à
Paul Auster de brouiller les pistes ou, à tout le moins, de démontrer la vacuité de la nécessité d'une identité. Quoiqu'il en soit, le narrateur prend la place de Fanshawe, comme s'il se fondait en lui, y trouvant un foyer, une sécurité financière et un prestige littéraire dont il avait fait, en tant que lui-même, le deuil.
Le thème de la solitude, qu'on retrouve dans Cité de verre et plus encore dans Revenants, n'apparaît que plus tard. Lorsque le narrateur hésite à publier l'oeuvre, il est en accord avec Sophie pour qui l'oeuvre de Fanshawe est autant un héritage intéressant financièrement qu'un poids à porter, une sorte de preuve perpétuelle de la vie de cet homme qu'elle a aimée, dont elle a eu un enfant, et qui les a délaissés. C'est parce qu'on lui propose d'écrire une biographie de Fanshawe - dont l'éditeur suppose qu'elle pourrait être une autobiographie - que le narrateur s'enfonce dans les limbes de la solitude. Fanshawe devient une obsession et même Sophie ou Ben, le fils de Fanshawe, ne peuvent le secourir. Fanshawe vivant - et une lettre venant de ce dernier le confirme - est une menace, et sa mort serait une délivrance.
Comme dans les autres romans de la Trilogie new-yorkaise, Auster semble jouer avec le lecteur. D'une part, le roman n'a rien de new-yorkais, comme d'ailleurs les autres, à ceci près qu'au moins la ville est un décor pour Cité de verre et Revenants. La fin de la chambre dérobée permet de relier les trois romans en un, quand le narrateur déclare être
Paul Auster, et que ces trois romans ne sont finalement que le même, écrits à trois moments différents de sa vie. Un doute subsiste : est-ce le vrai
Paul Auster, ou celui de fiction que l'on rencontre dans Cité de verre ? Ou est-ce la même personne, ou alors cela n'a-t-il finalement aucun sens de distinguer ce qui est vrai de ce qui est fictionnel, à considérer alors que la fiction n'a rien de réel ? La boucle semble bouclée lorsque les noms de
Daniel Quinn et d'Henry Dark surgissent en fin de roman, en même temps qu'un petit cahier rouge. le labyrinthe se referme. Nous n'aurons pas trouvé sa sortie.