Vous vous souvenez, bien sûr, du San Theodoros, ce petit état d'Amérique du Sud (dans les aventures de Tintin, faut-il le rappeler) qui fait l'objet de la grande rivalité entre le général Alcazar et le général Tapioca. Cet état fait pour la première fois son apparition (ce ne sera pas la dernière) dans l'album « L'Oreille cassée », paru en 1937. Eh bien figurez-vous que la même année, un autre état fictif est né dans la même région, l'état d'Aréquipa. C'est dans le nouveau roman de
Pierre Benoit, qui a pour titre «
Les Compagnons d'Ulysse ». Pure coïncidence ? Ou bien l'un a-t-il copié sur l'autre (ou l'inverse) ? Peu importe, après tout. Il y a toujours eu une sorte de légende sur ces républiques sud-américaines, ardemment révolutionnaires (de Bolivar, « el Libertador », à
Che Guevara « Commandante
Che Guevara) ou bien en proie à une féroce répression aux accents fascistes appuyés.
Arequipa est un de ces états aux apparences folkloriques, issus d'une indépendance gagnée par les armes, et maintenue tant bien que mal, par un commandement plus ou moins militaire, plus ou moins démocratique, et menacé continuellement par les voisins immédiats, quand ce n'est pas par les grandes puissances.
Le général Manrique Ruiz, surnommé El Salvador depuis qu'il a conduit le pays vers l'indépendance, est le chef de la Nation, qu'il dirige avec sagesse et autorité (mais sans excès). Mais en plus des ennemis déjà signalés, il en est un autre, plus sournois, plus pernicieux, qui est en train de miner l'armée dont il est le généralissime : les soldats trouvent plus d'agrément au cabaret de Doña Angélica que dans leur propre garnison ! le chant des sirènes. Ce ne serait que moindre mal s'il n'y avait pas un risque imminent de guerre avec les états voisins qui lorgnent avec gourmandise sur Aréquipa. Comment El Salvador va-t-il redresser la situation ? Vous le saurez en lisant ce bon petit roman d'aventure, pas le meilleur ni le pire, mais suffisamment attrayant pour vous faire passer un bon moment. Vous faire sourire, aussi, parce que les républiques bananières d'Amérique du Sud, même si elles ne sont pas aussi caricaturales que chez
Hergé, relèvent un peu du même ordre. Ce que recherche
Pierre Benoit, ici comme dans la plupart de ses ouvrages, c'est l'exotisme et le dépaysement. Ici c'est encore le cas avec une espèce de Don José (El Salvador) et une Carmen latino-américaine (Angelica) plus vrais que nature.
Et plus encore que Carmen, c'est le mythe d'Ulysse qui a inspiré l'auteur : Manrique a tout fait pour résister à l'appel de la sirène. Si ses compagnons ont succombé, il tient le coup, arrive à tirer la garnison de sa léthargie, et retrouve même du courage pour affronter l'ennemi. Tant et si bien que ce sont les sirènes qui finissent par succomber.
Un joli petit roman sympa pour occuper vos journées (ou vos nuits, votre vie privée ne me regarde pas), vous ne le regretterez pas.
Pierre Benoit a le don de vous harponner dès les premières lignes, de créer une ambiance, il vous flanque dans les bras une fille adorable dont le prénom commence par A et dont on ferait mieux de se méfier, mais bon, et voilà comment on arrive à la fin du bouquin avec l'impression d'avoir chevauché au milieu des cactus, avec une ceinture de balles en bandoulière, un grand sombrero sur le crâne, et una señorita ay ay ay, yé ne vous dis que ça señor..