Longtemps après la lecture de recueils essentiels comme
Les Planches courbes,
du mouvement et de l'immobilité de Douve ou encore de
L'Heure présente, je reviens vers l'oeuvre poétique d'
Yves Bonnefoy. Une lecture pas toujours des plus aisées mais qui recèle une portée infinie.
Quand on évoque la poésie de Bonnefoy, on la désigne souvent comme une poétique du lieu. Dans ce recueil, le poète choisit d'évoquer La Rue Traversière.
Elle est pour lui le lieu de l'enfance et l'adolescence, l'endroit où se situait la maison familiale. On le sent La Rue Traversière est chargée d'une valeur affective pour Bonnefoy, d'une somme de souvenirs et d'expériences qui sommeillaient dans son inconscient et qui sont remontés à la surface à la faveur d'un passage dans sa ville natale (Tours) de nombreuses années plus tard.
Le lieu, à cause de son nom, de sa prononciation, de l'instant, des conditions, des souvenirs qui y sont attachés, permet par l'écriture, le miracle de sa reconnaissance, comme celle d'un arrière-pays.
Les textes qui composent le recueil étaient à l'origine publiés dans plusieurs revues, ils étaient présentés comme des « poèmes » en soi. Mais rassemblés, ils ont perdu cette définition et ne constituent pas un tout homogène. On entre plus dans un récit qui grandit à mesure que le poète médite, non sur ce qui est, mais sur ce qui pourrait être.
Au début du recueil, divers itinéraires sont donnés, qui ont en commun d'apparaître comme autant de récits de rêves. Puis en reprenant ces images incertaines,
Yves Bonnefoy médite sur leur origine, cherche leurs racines, progresse dans la direction qu'elles semblent indiquer, puis il revient sur ses pas, reprend sa marche, en procédant par retouches et repentirs, dans une sorte de questionnement incessant et répétitif.
Dans une succession de textes tout en prose, Bonnefoy n'interroge pas l'objet ou le lieu (la Rue Traversière) qui lui suggère une impression, une parole, mais bien plus le mouvement de sa conscience qui fait (re)naître l'objet ou l'endroit qu'il a devant lui.
Pourquoi évoquons-nous un souvenir avec certains mots plutôt qu'avec d'autres ? Pourquoi le retour sur un lieu nous suggère-t-il telle impression plutôt qu'une autre ? s'interroge le poète. Qu'est-ce qui détermine notre rapport au langage ? Qu'est-ce qui alimente depuis l'enfance notre imaginaire ? Qu'est-ce qui a fait notre sensibilité si particulière ?, etc.
Ces questions toutes intéressantes sont abordées avec beaucoup d'intuition et de savoir par
Yves Bonnefoy, dans les pages d'un livre qui se rapproche plus du récit et d'une méditation poétique sur la langage que d'un véritable recueil de poèmes.
Lire
Yves Bonnefoy est toujours une expérience à part, très particulière, mais c'est une écriture qui donne une consistance, une épaisseur à l'intérêt que chacun peut avoir pour la poésie.
Aimer la poésie, dire ce qu'elle nous procure est une chose. Mais découvrir ses soubassements, ses racines, approcher de son coeur-même, voilà ce qui la rend plus belle encore.
L'écriture d'
Yves Bonnefoy est ce chemin d'emprunt.
.