Pèlerins des ténèbres, c'est une lecture de vacances de mon été 2003. J'étais un peu jeune, les nombreuses allusions au sexe dans le récit m'avaient un peu gêné, et ayant eu besoin de faire de la place sur mes étagères, je ne l'avais pas gardé longtemps. Il faut croire cependant que cette histoire avait su me marquer durablement, puisqu'en tombant dessus à la bouquinerie il y a deux ans, je m'en suis immédiatement souvenu... et ai eu envie de le relire. Ce qui est désormais chose faite.
Pèlerins des ténèbres est pourtant le genre de livre qui perd un peu de son intérêt à la relecture. En effet, les presque deux premiers tiers du livre reposent sur le mystère entourant les évènements curieux frappant le pèlerinage et le suspens qui en découle. Et il faut avouer que
Serge Brussolo joue habilement avec nos nerfs. On s'interroge aux côtés de Marion, la sculptrice engagée comme espionne par la congrégation religieuse responsable de la route. Tantôt, comme elle, le scepticisme et la rationalité l'emportent. Il y a des morts, des disparitions, des phénomènes bizarres, certes, mais tout ça peut sans doute être expliqué de façon logique. A d'autres moments, le doute nous assaille, et les théories fantastiques des esprits les plus crédules de groupe ne paraissent plus si farfelues... de fait, pendant un bon moment, on ignore si l'on est en présence d'un roman fantastique, d'un thriller, ou bien d'autre chose. D'autant que le suspense est présent, la montagne inquiétante, et, comme le petite groupe de pèlerins, on en vient à redouter l'arrivée de la nuit...
… mais le truc, c'est que ça, ça ne marche que la première fois. Ensuite, même en le relisant seize ans plus tard, « on sait ». Et il faut avouer que ça fait perdre pas mal de sa superbe à toute cette partie du récit, qui, pour le reste, ne fait que résumer l'avancée des pèlerins en développant vaguement les liens entre eux. Vaguement, parce que tout ça n'évoluera pas des masses jusqu'à la fin.
Puis vient le dernier tiers, qui fait prendre un tournant aussi imprévisible qu'inattendu à l'histoire. La dimension psychologique prend alors le dessus et de nouvelles dualités teintent le récit. Plus que jamais, il y est question de croyances... mais également de manipulation, de travail de sape mentale. Jusqu'où l'esprit humain peut-il aller une fois privé de repères ? Dans des conditions extrêmes, même la personne la plus censée du monde peut finir par douter de ce qui étaient jusque là des certitudes.
Dans son histoire,
Serge Brussolo parle aussi beaucoup de la condition de la femme. Moyen-Âge oblige, celle des personnages de son histoire n'est pas très reluisante et certains passages du texte ne les épargnent clairement pas. Pourtant, le roman se veut tout sauf machiste dans son discours. D'autant que ce sont les femmes qui y occupent le devant de la scène.
Marion est un personnage particulièrement bien écrit, qui refuse de voir ses compétences rabaissées parce qu'elle est une femme sans pour autant devenir caricaturale. Elle est intelligente mais pas infaillible, forte mais pas « badass » pour autant. Bref, Marion est crédible. La jeune tailleuse de pierre prend sa mission très au sérieux, même si elle se rend rapidement compte avoir mis les pieds là où il ne fallait peut-être pas.
Si Mahaut devient rapidement détestable, elle ne manque pas de gouaille pour autant et éclipse facilement les personnages masculins de l'histoire, même le soi-disant ultra-charismatique Malestrazza, qui, à part être beau et connaître le chemin, n'apporte pas grand-chose au récit. A l'opposé, la très effacée Constance, rendue masochiste à l'extrême par la culpabilité de ne pas être à la hauteur de ce que la société attendait d'elle en tant que femme et épouse, aurait pu également être agaçante, mais en réalité, elle suscite plutôt la compassion. Car ce que Constance se reproche, c'est surtout d'avoir été humaine... Et puis il y a les autres : l'une, endoctrinée jusqu'au bout des ongles, peut-être être réellement considérée comme méchante, considérant qu'elle n'a pas de mauvaises intentions ? Sans oublier la féministe extrémiste du récit, dont le discours et les méthodes font froid dans le dos, mais dont les idées trahissent un sentiment de révolte vis à vis de la place de la femme dans la société encore plus poussé que celui de Marion.
Enfin, il y a ces derniers chapitres, terminant cette histoire de la plus spectaculaire des façons. On ne venait pas là pour l'action, mais
Pèlerins des ténèbres nous en offre une scène digne des meilleurs romans de
Clive Cussler. Oui, rien que ça.
Alors certes, on pourra toujours ne pas aimer les toutes dernières lignes, trouver que le dernier chapitre est celui de trop, gâche un peu ce qui aurait pu être une fin rapide mais néanmoins correcte... mais c'est ainsi que
Serge Brussolo a choisi de terminer, ou plutôt ne pas tout à fait terminer, son récit.
A la première lecture,
Pèlerins des ténèbres est donc une très bonne pioche. On pourra lui reprocher d'avoir tendance à dériver un peu trop facilement vers le sujet du sexe (souvent de façon purement gratuite), d'être bourré d'ellipses, mais la plume de l'auteur s'avère assez addictive.
La deuxième fois, sans l'effet de suspense, ça fonctionne quand même beaucoup moins mais le voyage reste tout de même plaisant. Enfin... pour nous lecteurs, pas pour Marion !