Jorge Luis Borges

J'ai écrit ces pages à la fois prolixes et incomplètes dans l'intention de montrer que Jorge Luis Borges n'était pas fondamentalement excentrique, malgré les apparences et malgré sa réputation. Il s'agit plutôt d'une illusion d'optique. Excentrique peut-être: mais par rapport à quel centre? On l'a vu; la hantise d'un temps circulaire n'est pas rare, elle est même plus répandue que celle d'une chronologie rectiligne et toute la philosophie antique l'a partagée. L'obsession du labyrinthe s'étend sur plusieurs millénaires, elle a nourri de symboles les rêveries des mystiques, elle continue, sous une forme mineure et avilie, de séduire une foule oisive et frustrée, avide de vertige et de mirage. La nécessité d'une création récurrente correspond à une aporie métaphysique permanente.

Le principal de ces thèmes révélateurs me paraît être celui du temps circulaire. Il en entraîne deux autres qui en représentent comme les projections dans les domaines de l'espace et de la causalité : celui du labyrinthe et celui de la création récurrente.

Les disciples ardus de Pythagore.
Naturellement, ce ne sont pas les disciples qui sont ardus, mais la science qu’ils apprennent. Borges affectionne cette figure de rhétorique (l’hypallage) et l’emploie fréquemment. Il est remarquable que, utilisée comme il fait de façon abrupte et déconcertante, elle introduit dans la phrase une amorce de labyrinthe grammatical.

L'obsession du labyrinthe s'étend sur plusieurs millénaires, elle a nourri de symboles les rêveries des mystiques, elle continue, sous une forme mineure et avilie, de séduire une foule oisive et frustrée, avide de vertige et de mirage. La nécessité d'une création récurrente correspond à une aporie métaphysique permanente.

En outre, chaque réveur, le temps de son rêve, sécrète un univers. De la sorte, l'homme est tout ensemble créature et créateur. L'idée de Borges est ici que tout créateur est la créature d'un autre créateur et qu'aucune cause prétendue première ne saurait échapper à cette loi de récurrence infinie.