On connaît l'extrême érudition d'Hélène Carrère d'Encausse pour ce qui concerne le monde Russe. S'y ajoute une grande exigence, et un style clair. C'est par conséquent avec le plus grand intérêt que l'on s'aventure dans la découverte de la vie d'une femme qu'elle a choisi de ne pas laisser dans l'oubli: Alexandra Kollantaï.
Compte tenu de la personnalité de l'auteure, nous ne sommes pas face à une biographie romancée, adoucie, accommodée, mais à un travail d'historienne. L'histoire de la Russie (et de l'URSS après 1922) va défiler tout au long de cette vie, de la fin du XIX° siècle jusqu'au début des années 1950.
A.Kollantaï était d'un milieu aisé de Saint Pétersbourg (on disait: Pétrograd). Pourtant, elle va très jeune s'intéresser au sort malheureux des ouvriers d'usine, et particulièrement à celui des ouvrières. Au sein du "parti ouvrier", elle n'aura de cesse de tenter de mettre en avant la nécessité d'améliorer le sort de ces femmes, et elle se heurtera à un certain scepticisme, la particularité féminine, en l'occurrence, n'apparaissant pas justifier une vision différenciée aux leaders du parti. Elle aura, il faut le dire, des idées hardies, qui pouvaient surprendre, choquer, et difficilement l'emporter. Par exemple, pour soulager les femmes - déjà exténuées par leur labeur sur leur lieu de travail - des tâches ménagères et de la charge des enfants, elle envisageait des centres d'éducation: les enfants seraient confiés à ces instituts, avec tous ces avantages: des femmes libérées d'une lourde charge, des enfants bien nourris, et aussi éduqués convenablement, et, pourquoi pas, formatés comme il convient.
Arriveront ensuite les révolutions de 1917, l'arrivée au pouvoir de
Lénine, l'opposition entre les bolchéviques et les menchéviques, et les purges du moindre opposant. Kollantaï, encore idéaliste - elle était contre la peine de mort... - aura du mal à trouver sa place.
Lénine reconnaissait son talent, mais cherchait surtout à l'éloigner du coeur du pouvoir: d'où le poste d'ambassadrice en Norvège qu'il lui a confié, mission exceptionnelle alors pour une femme. Ouf, il pouvait massacrer en paix tout ce qui semblait s'opposer autour de lui, Alexandra ne serait pas là pour lui en faire le reproche. Il faut dire que les talents de la dame, excellente oratrice - qui en outre maîtrisait plusieurs langues -, étaient parfaitement adaptés aux nécessités de la fonction diplomatique.
Puis viendra Staline, à partir de 1924. Rebelote. Kollantaï va à nouveau se voir proposer des postes honorifiques; elle échappera ainsi au sort malheureux des victimes de nouvelles purges, que subiront la totalité des anciens proches de
Lénine, dont deux hommes qui avaient été ses amis, et aussi ses amants.
Femme "moderne", émancipée, indépendante, mère, amante, militante féministe engagée, Kollantaï aura été tout cela, et ce livre nous raconte ici une vie qui défile sous nos yeux, au milieu des évènements majeurs, et combien dramatiques, qui ont marqué l'Europe au cours la première moitié du XX° siècle.
Rendons hommage à l'auteure: son récit exhaustif et sans concession est passionnant. On en sort convaincus que l'on a beaucoup appris, non seulement sur cette femme, mais sur cette période, sur la Russie, et sur une partie toute récente de l'histoire de notre continent.