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sur 9931 notes
Par où commencer? Je n'avais jusqu'ici jamais lu un autre auteur que Shakespeare où l'on puisse ouvrir le livre au hasard et tomber sur une citation incroyable, intemporelle, criante de vérité sur la nature humaine.

J'ai voulu lire Céline pour comprendre le statut culte de ce roman rattrapant plus ou moins ses écarts par la suite... Et j'ai compris. C'est un portrait hallucinant de lucidité sur l'espèce humaine, quoique son pessimisme extrême en fait une lecture lente, car difficile pschologiquement, bien plus que tous les polars les plus sanglants.

Céline a absolument tout compris, et on s'émerveille de retrouver certains de nos propres dégoûts, de nos propres réactions instinctives vis-à-vis de la barbarie et de l'absurdité humaine. C'est réellement 500 pages sur l'absurdité humaine, individuelle et collective. Personnellement, à la lecture de Voyage au bout de la nuit, je me suis senti enfin compris, tout particulièrement durant la guerre et à New York. Face à l'horreur, on se réfugie dans l'égoïsme, la lâcheté, le confort, par instinct de survie.

Car oui, le roman est célèbre pour sa représentation de la guerre de 14-18, mais cela ne représente que 50 pages et puis on passe à bien d'autres choses toutes aussi aberrantes. Bardamu a pour politique la fuite dès qu'il se trouve trop consterné et surtout menacé par ceux qui l'entourent, et voyage à travers le globe. On voit très bien les influences de Shakespeare et Rabelais dans la gestion du temps et des lieux, et c'est un régal que de suivre cette errance lestée de toute contrainte réaliste. La fin est très triste. Et pourtant, j'étais plongé dans la tête de Bardamu, je ne voulais plus entendre parler de Robinson. Mais le drame retombe dans toute son ampleur chez le lecteur.

Il FAUT avoir lu ce roman dans sa vie, comme il faut avoir lu Shakespeare. Ces deux auteurs portaient un regard vrai sur l'humain. Si vous vous sentez marginal, misérable, pour quelque raison que ce soit, lisez ce chef d'oeuvre de la littérature, magnifiquement écrit, avec en moyenne une maxime sidérante par page. le personnage principal est une sorte de méga Dr House (je pense d'ailleurs que celui-ci a été pas mal influencé par Céline, il faudrait qu'un jour la question soit posée), inadapté où qu'il aille, assassinant de son regard et de son acuité la bêtise des civilisations et leur vacuité... Anti-patriotique (son raisonnement est particulièrement jouissif, surtout quand on le partage), anti-nationaliste, anti-colonialiste, anti-capitaliste... Et pour un auteur futur collabo nazi, il dépeint le peuple un peu comme Hugo a pu le faire...

J'espère avoir donné envie de lire cet objet IMMANQUABLE de la littérature!! Il a influencé nombre d'écrivains, surtout dans le polar, de par le langage châtié et les jeux stylistiques (régal, qu'il développera apparemment par la suite), et quels que soient ses écarts, c'était un génie. Lisez Voyage au bout de la nuit!!!
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« Les miennes d'idées elles vadrouillent plutôt dans ma tête avec plein d'espaces entre, c'est comme des petites bougies pas fières et clignoteuses à trembler toute la vie au milieu d'un abominable univers bien horrible. »

Cette phrase résume assez bien ce long voyage au pays des désillusions je trouve. C'est Ferdinand Bardamu, le personnage principal de ce roman qui parle. Et Ferdinand Céline carabin aussi, lui ressemble à s'y méprendre. Nous suivons les petites bougies en France, en Afrique puis aux Etats-Unis. La guerre, les colonies, le capitalisme, le blabla, la propagande, la médiocrité, la solitude, la compréhension des êtres et des choses. Nous sommes au pays des hommes. Au pays des hommes avec sous les yeux une langue écrite aussi vivante et animée qu'un échange verbal mais qui aurait été travaillée, dosée et si justement posée qu'aucun interlocuteur n'aurait prit le parti de l'interrompre.

Bardamu avance, avance encore : « J'ai fini par m'endormir sur la question, dans ma nuit à moi, ce cercueil, tellement j'étais fatigué de marcher et de ne trouver rien. » Céline ça claque, ça vit, ça tremble. Une explosion de ressentis, des sentiments remontés d'on ne sait où, de qu'elle profondeur, de quelles vérités qu'on aurait laissées filer.

« J'en avais pour mon compte à force d'en prendre et d'en laisser des rêves, la conscience en courants d'air toute fissurée de mille lézardes et détraquée de façon répugnante ». Et ça cogne encore…..

Il bouscule et traite avec vigueur de la pauvreté, de la résilience, de la force, de la lâcheté, du crime, du mensonge, de l'avarice, de la vie et de la mort. On remet le voyage en route et tout ce que l'homme pense, fait, dit ou ne dit pas est soigneusement, harmonieusement, subtilement orchestré. Un plan vigoureusement arrangé avec une histoire, une vraie histoire qui enrobe le tout pour séduire le lecteur. Les personnages sont passés au scanner. Corps et âmes, coeurs, tripes, cerveaux, regards tout y passe.

Ils s'appellent Henrouille, Martrodin, Ormanon, Parapine, Bioduret. Ils sont commandant, trouffions, hôtelier, médecins, prêtre, prostituées, traines-savates, aventuriers ou presque rien, juste eux-mêmes. Ils sont là, proches de nous et nous livrent leur arrogance, leurs vérités, leur petite musique .Nous sommes pieds et poings liés.

Lorsque le mal a fait saigner et que le désespoir s'annonce Céline arrose tout ça d'une description de la nature belle à tomber. Il calme le jeu. Il oppose l'homme capable de provoquer bien des tourments à une nature lénifiante et sans reproches. Sous sa plume avertie le vent tout souriant, se penche à travers mille feuilles en rafales douces, le ciel parade tout giclé d'un bout à l'autre d'écarlate en délire et le vert éclate au milieu des arbres et monte du sol en trainées tremblantes jusqu'aux premières étoiles. le gris reprend tout l'horizon et toutes les couleurs retombent en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux.

Pendant le voyage nous sommes sans arrêt ballottés sur un chemin assez torturé, ballottés entre le style et l'émotion. Les choses s'animent et les gens s'enveniment. Oui les choses ont du caractère : New-York est une ville bâtie en raideur, les pelouses sont teigneuses, les litres grelottent sous les tables, tandis qu'un bateau va tranquillement d'une crainte à l'autre. C'est de l'art brut à porter sur les fonds baptismaux.

Un style incroyable. Un style qui loin d'être ampoulé a du corps, comme un grand vin. Des phrases légères parce qu'elles vont joliment à l'essentiel. Les hommes placés sur plusieurs continents dans une seule histoire il ne fallait pas traîner! Un bain d'humanité vif, nerveux, vibrant, marqué au fer d'une manière originale et savoureuse. Au fil de cette longue aventure on rencontre une femme ou un homme au coin d'un chapitre on peut les avoir croisés la semaine dernière, là, dans un village voisin. Céline les a bien écrits. On les reconnait tout de suite.

Une révolution, ce livre. le langage de l'oralité parsemé ça et là de tics de langage sans jamais une seule note de vulgarité. le travail de la fulgurance, sans concession, sans faux-semblant. Il faut l'entendre Fabrice Lucchini déclamer quelques passages du voyage, se donnant entièrement au texte, appuyant sur le plein, protégeant le délié.


(Le mot « Bla bla a été invienté par Céline. Il est entré dans notre langue à tous.)

Céline a commis des fautes graves et c'est un autre sujet. Loin de le comprendre et de l'excuser je n'en parle pas. D'autres le font abondamment. Comme l'a très bien dit Nastasia B dans son billet. Il y a l'homme et il y a l'oeuvre. Si on ouvre la première page de ce monument Impossible d'arrêter le voyage.
Ce billet, je le répète, ne concerne que ce Voyage au bout de la nuit, qui aurait pu s'intituler Voyage au bout de la vie. Céline se situe t-il entre génie et folie?

C'est pour moi une oeuvre magistrale qui a donné un coup de vent frais à la littérature, faisant fi des codes souvent un peu "serrés" de cette époque. Ce texte frénétique, original, semble couler tout seul. Est-ce dû à son apparence naturelle ?
Céline le disait et je le crois volontiers, c'est le fruit d'un travail extrêmement fourni. Il avait beaucoup de choses à dire et il les a très bien dites. Un savant dosage entre talent, labeur, observation et intelligence. Un style incroyable….Un cheval au galop.

J'ai été un peu trop longue, mais moi aussi j'avais des choses à dire, des émotions à partager. J'ai dû me remettre d'une surprise totale. Une magnifique surprise.

C'est la fin. « Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout qu'on n'en parle plus. »
C'est la fin de ce billet pour moi aussi. J'ai tout emmené de ce livre et je voudrais tout garder en mémoire. Et Qu'on n'en parle plus.
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Dans un vers d'une grande profondeur, le poète palestinien Mahmoud Darwish pose la question suivante : « Est-ce que le souvenir tombe malade en même temps que moi et souffre de fièvre? ». le souvenir devenant une part inséparable de notre vie ! Pour Ferdinand Bardamu, le souvenir le suit partout. le souvenir de ses malheurs, des affres de la guerre et des échecs successifs.

En écrivant "Voyage au bout de la nuit", Céline a ouvert une nouvelle voie à la littérature française. Un langage familier, dépouillé d'artifices mais direct et franc. Un langage qui fond dans la narration avec son rythme tantôt effréné tantôt ralenti. Même les dialogues sont d'une grande véhémence. Ils sont vivants et jamais de trop ou mal à propos. Céline a travaillé son écriture ; ce n'est point le fruit d'un hasard ou d'une écriture instantanée, mais d'un travail laborieux. Souvenons-nous de ce passage où Bardamu imite presque l'éloquence de la tragédie classique pour échapper aux passagers d'un bateau. de plus, il y a partout des passages métaphoriques d'une grande poésie. le comique bouleversant de Céline annonce celui de Dieudonné. Il dépasse l'humour noir pour nous livrer un comique de cruauté. Une façon singulière de présenter les faits. Un comique effréné. Les digressions sur la nature humaine et la vie sont empreints de philosophie et de pessimisme, voire de nihilisme. On trouve partout une sorte d'aphorismes ou de maximes isolés au milieu de ses réflexions.

A mon avis, Bardamu doit avoir sa place au Panthéon des grands personnages de la littérature mondiale. Ce jeune homme à la vie tumultueuse ramène son souvenir avec lui partout où il a vécu. Mais aussi sa mort. Cette idée qu'on retrouve aussi chez Rilke, Blanchot ou encore Pavese. Il est lâche, mais cette lâcheté est humaine ! il refuse la guerre, c'est un déserteur lui, un fuyard. Il fait tout pour y échapper. Il présente une vision des combats digne d'un Forrest Gump ! mais lui, il est conscient, un fin observateur. Il parle à coeur ouvert à son lecteur. Bardamu a perdu tout amour-propre, il s'est habitué à la servitude. Il a très tôt découvert l'absurdité de l'existence et l'insignifiance de la vie. Cette vie qui nous quitte au fur et à mesure avant même que la mort n'intervienne avec sa froideur. Tout devient fade et l'homme est là fidèle à sa misère ; ne voulant pas la trahir un seul moment pour jouir ! il cherche toujours une grimace pour affronter chaque situation. C'est tout ce qui lui reste ; la grimace. Ce masque derrière lequel il se cache. Il joue son rôle jusqu'au bout. Mieux encore, il attend la situation propice, l'événement où il va jouer avec emphase son personnage tragique dans cette vie. Tout cela Bardamu l'a remarqué en fréquentant des personnages mesquins animés de pensées et de sentiments vils. Des personnages humains ; trop humains. Mais malgré toutes ses expériences et la pesanteur de l'âge sur ses épaules, Bardamu n'a pas conçu son idée majeure ; celle qu'il pourra sortir au moment de sa mort, celle qui jaillit pour le délivrer comme son ami Robinson qui avait lui son idée fixe. L'âge ne ramène pas la sagesse, Bardamu gardera toujours son caractère, mélange d'insignifiance puérile et d'indécision maladive.

La nuit accompagne Bardamu dans ses voyages ; au pluriel. Mais il s'agit surtout d'un seul voyage ; celui de la vie vers la mort. Tous les moments forts de ce roman se passent dans la nuit. Elle le suit, le pourchasse comme le souvenir et le malheur. Les moments de joie et d'apaisement de Bardamu sont rares. Il a le trac pour les affronter ces moments ; comme lorsqu'il discute avec les riches. Parfois il refuse son bonheur d'une manière incompréhensible ; la tentation du mouvement est plus forte. Triste qui comme Bardamu a fait un mauvais voyage. La nuit aussi se trouve à l'intérieur de cet homme pessimiste qui n'a aucune compassion pour les autres, ni aucune ambition. Il est là, il vit et c'est tout. La vie pour lui est vide. Même ses relations avec les femmes sont presque kafkaïennes (Joseph K. et K.) ; il séduit facilement une femme et puis ça tourne mal et ça se termine d'une manière bizarre ! Par ailleurs, Bardamu n'est pas seulement pourchassé par la nuit, il y a aussi ce personnage très intéressant, cet homme sans qualité nommé Robinson, qui mérite l'Oscar du meilleur personnage dans un second rôle. Il est un exemple parfait du victimisme.

Le roman peut être divisé en deux parties : le mouvement et l'inertie. Après la guerre, l'Afrique et l'Amérique, on revient à la vie de tous les jours. Une succession d'anecdotes et d'épisodes auxquels Bardamu participe sans gloire. Mais, ce qui est curieux c'est de savoir que cet itinéraire de Ferdinand Bardamu ressemble à celui de Louis-Ferdinand Céline ! et "Voyage au bout de la nuit" devient une espèce de biographie romancée mais si bien écrite et présentée. Au début, on se croit, avec enthousiasme, devant un roman antimilitariste, anticolonialiste et anticapitaliste malmenant les idées de patriotisme et de rêve américain mais aussi la psychanalyse et ses pratiques étranges. En effet, il y a de cela dans le roman. Mais, l'essentiel n'est pas ici. "Voyage au bout de la nuit" illustre l'absurdité de l'existence et la vacuité de la vie avec pessimisme. Mais n'est-ce pas là l'objectif de toute grande oeuvre littéraire ? de montrer la misère humaine ?
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On ouvre le livre et on est emporté par le fort courant d'un fleuve de mots. On le referme quatre-vingt dix pages plus loin dans la chaleur moite des colonies, étonné, ahuri de cette expérience de lecture, n'osant plus s'y plonger de nouveau de peur d'être vraiment, définitivement submergé.
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Voyage au bout de la nuit, relecture. le problème est qu'avec un tel livre on ne se contente pas de comparer ses souvenirs avec une redécouverte parce que, à la confrontation de soi avec soi, s'ajoute tout ce qu'on a pu lire ou entendre sur cette oeuvre, et il est difficile de ne pas avoir beaucoup lu et entendu.
L'avantage c'est de ne plus être une étudiante en lettres forcément désireuse de dire ce qu'elle croit qu'on attend d'elle; tiens finalement -osons la formule- peut-être suis-je plus vierge qu'à l'époque et plus apte à lire innocemment ce truc sulfureux. Enfin, sulfureux, déjà, ça se discute.
Je me souviens que la tarte à la crème de l'époque consistait à comparer Céline et Voltaire, Bardamu et Candide. Bon, pourquoi pas. Deux quêtes à travers un monde odieux, à entasser le mal sur le mal. D'abord la guerre, bien sûr ; et l'esclavage devenu colonialisme et en tirant un peu le fanatisme de l'inquisition se retrouve dans le dieu Capitalisme, « les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines ». Et puis au bout de cette errance à saute-continent, l'ennui métaphysique à Venise pour l'un, en banlieue parisienne pour l'autre ; Robinson qui refait surface aussi obstinément que Pangloss, la femme aimée devenue laide ou jalouse... On trouve même une vieille dans les deux livres!
Mais plus intéressantes sans doute sont les différences. le voyage physique dans « Candide » fait l'essentiel du roman tandis l'errance géographique de Bardamu n'occupe pas la moitié du roman. Ce n'est pas le mal qui horrifie Céline, mais la nuit, celle de l'âme. À relire les pages tant citées sur la guerre de 14 je suis frappée par le peu de morts qui y figurent. L'horreur n'est pas dans la boucherie mais dans la désinvolture des gradés qui font fi du désir de vie des hommes. C'est là le leitmotiv du Voyage: personne n'aime personne, personne n'est désintéressé, l'autre n'est toujours qu'un moyen et Bardamu se déteste d'aider (parfois) les autres non par amour mais par faiblesse, et si peu, et si mal. Et pourtant, de la tendresse, si, si, on en trouve. La preuve par huit, mais seulement parce que j'ai la flemme de recopier jusqu'à neuf.
« Pour la première fois un être humain s'intéressait à moi, du dedans si j'ose le dire, à mon égoïsme, se mettait à ma place à moi et pas seulement me jugeait de la sienne, comme tous les autres.
Ah! si je l'avais rencontrée plus tôt, Molly, quand il était encore temps de prendre une route au lieu d'une autre! »
« Des « honoraires »? En voilà un mot ! Ils n'en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre pour faire des « honoraires » avec? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l'oeil. C'est pas commode. On laisse aller. On devient gentil. Et on coule. »
« Bébert m'avait vu venir. [...] Sur sa face livide dansotait cet infini petit sourire d'affection pure que je n'ai jamais pu oublier. Une gaieté pour l'univers. »
« J'effectuais une fois de plus les deux ou trois menus simulacres qu'on attendait et puis j'allais reprendre la nuit, pas fier, parce que comme ma mère, je n'arrivais jamais à me sentir entièrement innocent des malheurs qui arrivaient. »
« Est-ce que la vie elle est gentille avec eux? Pitié de qui et de quoi qu'ils auraient donc eux? »
« Être seul c'est s'entraîner à la mort. »
« Les gens [...] ils en ont de l'amour en réserve. Y en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ça ne sort pas, voilà tout. C'est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d'amour. »
« On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mystérieuse qu'une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n'avoir pas trouvé le temps pendant qu'il vivait encore d'aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s'est éteinte à jamais un soir de février. »
Le Céline du « Voyage » n'est ni nihiliste ni misanthrope. Il est seulement désespéré et les jardins à cultiver ne courent pas les rues.
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« Notre vie est un voyage, dans l'hiver et dans la nuit. Nous cherchons notre passage, dans le ciel où rien ne luit. Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé.
C'est un roman, rien qu'une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d'abord, tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C'est de l'autre côté de la vie. »
On rêve tous un jour de toucher le Graal littéraire, le roman qui va faire chavirer votre coeur à jamais. Je tiens Voyage au bout de la nuit comme le livre le plus génial qui m'ait été donné de lire à ce jour.
Quel verbe ! Quelle verve !
Le reste paraît si insipide... Comment qualifier ce roman ? C'est une pourriture éclatante. C'est un ramassis d'étoiles. C'est une vomissure de lumière. Il n'y a pas d'autres mots pour dire ce geste qui consiste à nous tendre un miroir et de nous inviter à plonger dans notre béance dérisoire et accablante.
Mais surtout il y a cette façon de nous raconter une histoire.
J'ai goûté à ce livre comme à une volupté épaisse, énorme. C'est une gueule ouverte sur l'humanité, fétide, outragée, agonisante.
On entre dans ce livre comme on entre dans une nuit monstrueuse, vers laquelle on voudrait tendre le bras pour voir ce qu'il y a à la fin, à la toute fin, se rassurer en quelque sorte qu'on est bien éveillé, même si on se tient debout dans la boue et qu'on avance à tâtons.
Voyage au bout de la nuit, cela démarre comme à la manière de Denis Diderot, c'est Jacques le Fataliste façon début du XXème siècle, un enchantement de circonstance, d'une petite cause naissent et s'enchaînent tous les événements qui composent la trame romanesque qui va suivre et entraîner le narrateur dans sa course effrénée, Ferdinand Bardamu, notre alter ego peut-être hélas à notre dépend, mais avons-nous le choix ?
Ainsi le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit démarre par une discussion à la terrasse d'un café à Paris, un bavardage ordinaire qui va engager toute une vie, celle du narrateur, Ferdinand Bardamu.
C'est la ténuité d'une cause sans commune mesure avec l'ampleur de ses conséquences.
À la terrasse de ce café, comme ça, sur un coup de tête, par fanfaronnade, Ferdinand Bardamu va s'engager dans la guerre, il le fait sans héroïsme et il va en revenir très vite, car tout s'est fait sur un malentendu mais surtout c'est un lâche, il adopte la lâcheté comme unique comportement et c'est juste beau comme geste, c'est puissant, c'est jubilatoire de voir comment il va malmener et rendre ridicule à jamais tout geste de patriotisme.
Le désir de guerre prend ici un coup sérieux dans les reins, sinon ailleurs.
Le malentendu est scellé, les conséquences massives de ce moment d'enthousiasme vont se déployer : l'histoire peut commencer. Les trajectoires prises par la vie correspondent à des inflexions minimes, à des accidents de parcours, à des élans d'orgueil, avant que Ferdinand Bardamu ne s'aperçoive de sa fatidique erreur. On entre dans le romanesque par cette petite porte insignifiante, dérisoire, à l'instant où il y a un décalage, un abîme entre la cause et la conséquence, entre une toute petite chose, une toute petite cause et une infinie série de catastrophes qui vont suivre et construire le roman.
Le malentendu du héros vaut à Bardamu de passer quelques nuits savoureuses dans les bras de Lola jusqu'à ce qu'elle découvre l'imposture, que son amant est un lâche, alors que la lâcheté n'est-elle pas l'expression de vouloir vivre, survivre, coûte que coûte, comme le désir impérieux de voyager ?
Nous allons suivre Bardamu dans ses pérégrinations, dans l'indomptable Afrique, puis dans ce New-York optimiste, avant que le voyage ne s'installe définitivement à la Garenne-Rancy, décor à jamais sordide. D'un voyage géographique, nous passons alors à un voyage sédentaire, intérieur, vertigineux pour autant dans une ville triste et méchante où le narrateur va continuer à s'enfoncer encore un peu plus dans la nuit des autres.
J'y ai vu à chaque page une comédie truculente, une pièce de théâtre, des scènes inoubliables, des comédiens hauts en couleur avec des noms que je n'oublierai jamais : Lola, Musyne, Dolly, Bestombes, Robinson, Bébert, la vieille Henrouille...
Ici la bonté est dans la puanteur. Mais la méchanceté est là aussi, je crois avoir reconnu dans certains personnages affreux, sales et méchants la figure mythique des Thénardier, peut-être en pire...
On peut devenir le rescapé de ce monde épouvantable décrit par Ferdinand Bardamu dès lors qu'on saura en découvrir la beauté.
Je ne me souviens pas d'avoir lu un roman qui décrivait de manière aussi puissante la bassesse humaine, les vilénies ordinaires, le geste de pisser dans la Seine avec un sentiment d'éternité, la gaité crasseuse, le désastre de l'humanité et ses trous sanglants.
Ce voyage, c'est une déambulation intérieure où le désespoir prend son envol.
Pourtant il y a dans ce voyage des personnages attachants que je n'oublierai jamais. À commencer peut-être par Bébert, cet enfant fragile dont la gaité est portée vers l'univers. Il y a aussi la prostituée Molly et sa tendresse infinie. J'en veux à Bardamu de l'avoir quittée. Et puis il y a aussi la vieille Henrouille et ses deux dents qu'elle astique soigneusement parce qu'elle veut rester coquette.
Ce désespoir, c'est la misère des pauvres si bien décrite, la poussière qu'on mange à longueur de journée, ce médecin qu'est devenu Bardamu et qui ne sait pas comment parfois se faire payer de ses honoraires.
Ici se côtoient ceux qui croient encore au bonheur et ceux qui n'y croient plus, comme une lutte impérieuse...
Voyage au bout de la nuit doit tout d'abord se lire au premier degré et l'effet sur le lecteur n'en est que plus puissant. Mais on peut y voir autre chose. On pourra y lire des métaphores, des paraboles, des allégories, qui pourraient donner à penser. Pourtant ce texte ne cède à aucune ambition édifiante. À chacun son voyage.
Avant que ce ne soit la nuit partout, avant de refermer ce livre et de désirer déjà le relire dans quelques années, je voulais vous dire : Voyage au bout de la nuit est un énorme chef d'oeuvre, sublime, répugnant, abyssal dont la beauté n'enlève pas la crasse immonde qui se terre entre les personnages, dont la bonté ne supprime aucun de leurs mauvais sentiments, mais peut-être guide nos pas vers la nuit encore sombre et agitée, de laquelle il faut m'extraire pour tenter de rédiger quelques mots afin de revenir à vous.
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Je ne déteste pas L. F. Céline, encore moins pour les étiquettes qu'à raison on lui colle, je n'exècre pas l'auteur qui régurgitait ses monomanies haineuses sur Desnos et Charles Cros par voie de presse collabo, imposant aujourd'hui tant de précautions à ses supporters ; non, je me désole de Céline comme je plains ceux qui mesurent la puissance des bourrasques littéraires à la brebis tondue.

Le vieux pitre névrotique de Sigmaringen déteste l'humanité, soit. Mais où est le génie littéraire ? Quelle est cette pensée autoritaire apologiste qui dénigre toute critique hétérodoxe sur l'oeuvre romanesque d'un Céline décrété définitivement génial, icône fétichisée par son style ?
L'incandescence de la prose ne fait pas seule la grandeur d'un écrivain : il y a certes la mise en forme, mais aussi le contenu de cette forme. Ainsi, on peut être styliste de haut vol et pourtant auteur d'une oeuvre sans estomac. L'écriture dissécatoire de Céline est un scalpel au service d'un contenu dépourvu d'imagination, doublé d'un ramassis de prophéties intellectuellement pitoyables : sous couvert d'une écriture inédite, stimulante, dévastatrice, inventive et culottée qui déstructure à l'époque de façon ébouriffante la langue française, la pensée célinienne demeure ridiculement vide, sinon aux ordres, or autopsier à la hache n'a jamais ranimé un mort.
Car Céline écrit avec brio, profanant à dessein le langage, instrument sacré et déterminant de l'homme, pour dénoncer à la racine la vaine condition humaine …et ensuite ? L'expressionnisme célinien charge comme une Panzer-Division, se clochardise, bajarque post-moderne, déblatère canaille, jacte prolétaire, mais même avant-gardiste, le style est-il une fin en lui-même ? Il faudrait donc aimer la littérature célinienne comme on apprécie un cadeau uniquement à son emballage ? En taisant ses obsessions de dépressif aigri ? En n'évoquant jamais les postures victimaires délirantes sous-jacentes à nombre de ses romans ? "L'amour, c'est l'infini mis à la portée des caniches et j'ai ma dignité, moi !" ou encore "La merde a de l'avenir. Vous verrez qu'un jour on en fera des discours" et "Faire confiance aux hommes c'est déjà se faire tuer un peu" est intellectuellement aussi novateur, insolent, fin et audacieux qu'un défilé au pas de l'oie de la Leibstandarte.

Le style célinien à lui seul résumerait le génie de son auteur ? La brillante verbalisation du pessimisme de Céline n'est que le tambour battant qu'on entend avant les exécutions publiques : plus il en rajoute en férocité, ironie et provocation dans son oeuvre, jusqu'à maniériser son style, plus les badauds invités par sa plume applaudissent au spectacle. Son tintamarre littéraire a séduit et bousculé, le charme polémiste perdure et assure à Céline la postérité littéraire à laquelle il aspirait. Pourtant, exceptés quelques fils spirituels qui font de la transgression intellectuelle un cliché voire un fond de commerce rive gauche, l'oeuvre romanesque de Céline n'enfante rien. Absolument rien.

Les écrits de Céline ne chamboulent pas l'âme mais farfouillent, parfois avec grande lucidité, les boyaux jusqu'à leur fin du tunnel : si le contenant est résolument neuf pour son époque, le contenu est souvent gastroentéritique, de cette coulante qu'ont les pleutres qui se rangeront un jour du côté du plus fort. Parce qu'il ne suffit pas d'avoir un style séduisant et en transes pour être actuel, il ne suffit pas d'être actuel pour être contemporain, ni d'être contemporain pour être révolutionnaire, ni d'être révolutionnaire pour être moderne, ni d'être moderne pour être visionnaire. Céline n'est rien de tout cela, il est seulement sulfureux, avec l'odeur qui accompagne le dioxyde de soufre. La pensée de Céline n'est pas rebelle, ni même amorale, elle est au mieux de sa forme dénonciatrice, au pire compromise ; sa littérature n'est jamais subversive, jamais : elle est maligne. Parce que Céline ne sert pas la littérature, c'est l'inverse. Parce que le plus important pour Céline, c'est Céline.

Ruse schizophrénique de ses fans subjugués confondant écrivain maudit avec sombre clown sans vergogne, il y aurait le Céline noir et l'autre admissible, dont la teneur serait à minorer face à la performance langagière ; or il n'y a qu'un seul Céline, recto-verso d'une même médaille idéologique. Et puis on lui doit tout de même d'être le seul intellectuel français à avoir dénoncé un mort aux occupants allemands, appelant même à sa censure : déjà taxé de "demi-quart juif" dans Bagatelles, feu Jean Racine fut déclaré (contrairement à Corneille que Céline appréciait) dramaturge apologiste de la juiverie dans une lettre de 1942 adressée au directeur de l'Institut Allemand de Paris. …Un style si décoiffant pour une pensée si indigente.

Peureux, Céline-le-petit se défroque face au décret-loi Marchandeau, sans l'once d'un début de courage pour ses convictions délirantes tartinées dans Bagatelles pour un massacre (devenu best-seller sous l'oeil bienveillant de l'occupant) ou L'École des cadavres. Trouillard encore, en juin 1944, quand il se carapate, obnubilé par une planque en Suisse, refuge qu'il trouvera finalement au Danemark toujours sous domination allemande, où il avait astucieusement placé son petit magot de bourgeois. Parce qu'il était de ces crevards qui ont craint pour leurs minuscules balloches dorées pendant cette guerre, au milieu de millions de cadavres et de cendres encore chaudes. Parce que je fais partie de ces philistins qui ne détachent pas l'oeuvre des convictions de son auteur quand l'oeuvre transpire ces convictions. Parce qu'un exercice de style n'est jamais innocent du fond qu'il recèle. Parce qu'écrire et être publié pour être lu n'est jamais, jamais anodin. Parce que je peux être éblouie par un monstre à condition qu'il soit absolu.

Céline n'a rien d'absolu ni d'ambigu. Il ne hait pas la guerre, mais les hommes qui la font, ne hait pas la pauvreté mais la médiocrité des démunis, ne hait pas la colonisation mais les petits Blancs et les Noirs, ne hait pas la finance et le bolchévisme mais les Juifs, avec le raffinement d'un Dupont-Lajoie : un concentré de haine pathologique en fusion. Céline veut être non seulement lu, reconnu mais distingué. Pourtant, parce qu'il n'a aucune hauteur de vue, il dissimulera son manque d'imagination derrière un style qu'il manipule à merveille, jusqu'à l'érosion, style ambitionnant de porter un flambeau que ses idées n'ont pas : il les espère aristocratiquement anarchistes et nihilistes, ses idées sont au final bourgeoisement obéissantes, à l'instar de la sombre révolution nationale-socialiste, cette graine traumatique semée comme Céline dans le terreau des tranchées, transmutée en utopie politique assortie d'une taxonomie du genre humain et servie par des sbires exterminateurs nazis affublés d'un appareil photo au cou, l'accessoire ultime, à l'époque, du petit-bourgeois allemand.
Alors le style talentueusement inventif et captivant cachera le vide sidéral du fond. Car Céline ne propose rien, il dénonce, Céline n'avance rien, il hait : c'est Bardamu @ pathétique.org. Son écriture n'enfante rien parce que sa pensée est plus stérile qu'un désert de pierres : une coquille vide oubliée sur une bouse, sa cerise à lui sur son gâteau.

A mille lieux de l'infécondité célinienne, je lui opposerai le talent littéraire et philosophique d'Albert Caraco dont la pensée authentiquement vénéneuse ravale l'oeuvre de Céline au rang de parc d'attraction. Nihiliste désespérant et désespéré, noir dandy somptueusement subversif et haineux, extralucide, farouchement indépendant et solitaire, pourfendeur des idéologies modernes et de l'abrutissement humain, Caraco a construit une pensée radicalement inadmissible, d'une cohérence et d'une aridité inouïes. Personne n'a mieux réussi que lui à élever son dégout pour son époque au rang de "philosophie de l'abattoir". Caraco, en grand seigneur dépressif, fracassait tout rageusement en atomisant la morale bourgeoise et les valeurs modernes, mais avec un incandescent panache : un aristocrate de la pensée qu'on adore haïr et qu'on se déteste d'admirer parce que, contrairement à la vacuité de celle de Céline, la pensée de Caraco est réellement dangereuse.

A ceux qui objecteront que Céline-Docteur-Destouches, (blessé dès 1914 lors de la première bataille d'Ypres et qui donc côtoiera peu les horreurs de 14-18 puisque inapte au combat) fera preuve d'humanité en tant que médecin des démunis, je répondrai que ce docteur Mengele des pauvres de banlieue (contre son gré d'ailleurs puisqu'il ambitionnait un cabinet dans les beaux quartiers de Paris), aussi carriériste qu'envieux, dénoncera une médecine française enjuivée, harcelant avec le sens de l'honneur qui le caractérise les docteurs juifs Menekietzwictz, puis Hogarth, chef du dispensaire de Bezons et dont Céline reprendra opportunément les fonctions une fois ce dernier déporté. Je lui reconnais au moins un formidable génie pour faire place nette en léchant le postérieur du monstre.

Car l'opportuniste Céline, en intellectuel calculateur et avisé, veillera aux intérêts de sa légende de martyr de la littérature, légende par lui construite, modérant soudainement dans ses écrits ses éructations antisémites et son ralliement nazi dès la défaite de Stalingrad actée en 1943… Quitte à faire silence post guerre sur tout ce que son oeuvre a cyniquement soutenu et racialement condamné, le national-socialisme lui ayant fourni un contenu providentiel à ce qu'il n'a jamais été capable de conceptualiser.
De tout cela, Céline conclura avec bravoure après la guerre : "tous les autres sont coupables, pas moi", en génie stylistique de la petite combine auto-défensive et des grands arrangements avec lui-même.

Auréolé de sa posture de héros intellectuel, Céline a oublié que le plus héroïque n'était pas d'être un écrivain prétendument anarchiste-nihiliste-pacifiste mais de le rester. Alors, tel un roturier futur héritier de chaire de notaire, il fera tout, à la Libération, pour sauver sa respectabilité, jusqu'aux dénis littéraires les plus mesquins et vomitifs : finalement, ses écrits outranciers ne se voulaient que comiques, a affirmé Céline (on se gondolait de rire avant de franchir les portes du Krematorium III, c'est bien connu). J'avoue que lire la trouille paranoïaque magistrale de Céline dans sa correspondance post-guerre avec ses avocats est une jouissance littéraire d'une rare intensité : le génie du style célinien s'y surpasse.

Du coup, l'oeuvre romanesque de Céline, à l'écriture si puissamment urticante et au contenu souvent transgressif mais jamais subversif, reste au fond tout à fait fréquentable : le marketing de Céline y veille, mais surtout parce que provocations et dénonciations céliniennes ne seront jamais fatal poison. N'est pas Albert Caraco qui veut.

Pourtant Céline sait être humain et touchant, comme dans ses Cahiers de prison, écrits à Copenhague dans sa cellule : quand il s'attendrit c'est sur lui-même, quand il redoute la mort c'est parce que c'est la sienne, quand il respecte les femmes c'est parce qu'il écrit à sa maîtresse, quand il se dit patriote persécuté c'est parce qu'il a la trouille d'être fusillé par les Alliés.
Je n'apprécie donc qu'une chose chez Céline : son chat Bébert. Parce que son oeuvre y compris romanesque, si stylée, n'a aucune élégance intellectuelle au sens fécond et platonicien que lui donnait Paul Dirac pour ses équations. Parce que Céline est un capitaine Haddock surclassé.

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Voyage au bout de la nuit ! En plein confinement ! Qu'est-ce qui m'a pris, me direz-vous ? Un challenge, un item pige dans ma PAL, une pénurie de choix, et m'y voilà, sous-estimant la chose, je plonge ! Ce fut une plonge… vertigineuse ! Cela m'a pris plusieurs semaines, moi qui lis vite normalement, pour absorber, à petites doses, digérer, cette histoire, d'une noirceur attendue, mais d'une densité inattendue…, ce voyage avec Ferdinand Bardamu, ce pauvre couillon de la terre, ce saucisson de bataille, ce médecin sans honoraires, au bout de sa quête sans Graal, au bout de sa solitude, au bout de cette vie sans rédemption, sans même l'espoir d'une vie meilleure, car s'il est une chose que Ferdinand n'entretient pas, c'est cette manie que plusieurs ont, dont moi, de s'illusionner d'espoirs de lendemains meilleurs, non, Ferdinand lui sait, que tout cela n'est que mensonges que nous nous contons à nous-mêmes et qui nous péteront à la face, plus tôt que tard… Seules quelques douces âmes, Millie, Alcide, Bébert, illuminent de leur grâce ce portrait sombrissime que dresse Céline, de la nature humaine, un des plus désespérants qu'il m'ait été donné de lire…

L'un des textes les plus achevés que j'ai pu lire, chaque phrase porte une densité inouïe, demande une relecture, c'est une vie et toutes les leçons d'une vie, tout le jus que Céline a extirpé de la vie, qu'il nous livre, à la fois brut et raffiné, puant, d'une lucidité effrayante, désespéré, et génial.
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Après des années d'atermoiements, atermoiements dus à l'aura sulfureuse de Céline, j'ai soudain été prise de fébrilité. Il fallait que je lise ce livre d'urgence.
Pourquoi ? A cause, ou grâce, à la critique de Nastasia-B du 15/09/2012, mais encore commentée en 2018. Merci à elle.

Ceci n'est pas une critique, juste un commentaire sur mon ressenti.

Quelle bizarre façon de s'exprimer ! Il m'a fallu un petit temps d'adaptation car je n'ai jamais rien lu de tel et pourtant je suis une lectrice boulimique. Il me semble même, mais je n'ai pas vérifié, que l'auteur créait des néologismes...
J'ai souri ( eh oui ) ; j'ai froncé les sourcils ( qu'a-t-il voulu dire exactement ? Je dois relire cette looongue phrase pour comprendre son propos ) ; j'ai tordu le nez quand Ferdinand Bardamu tenait des propos scabreux ( langage cru, termes choquants, situations triviales ) ; j'ai été prise de démangeaisons. Oui, ça me démangeait de faire des citations. Mais tant de passages méritaient d'être cités qu'en fait, je n'en ai fait aucune. Après tout, mieux vaut lire le livre en entier que par morceaux.
L'écriture de Céline " le vaut bien ".
C'est magnifique, même dans l'horreur !
Bardamu, le narrateur me déplaît souverainement, mais ce qu'il raconte me plaît infiniment. C'est là tout le talent de Céline.

La lecture n'a pas été facile, pour moi. J'ai du me concentrer, relire parfois des passages pour les comprendre, mais je l'ai fait, ce " voyage au bout de la nuit " et je ne le regrette pas.
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Cet énorme roman est une oeuvre considérable, d'une force et d'une ampleur à laquelle ne nous habituent pas les nains si bien frisés de la littérature bourgeoise. Mille réserves s'imposent qui ne peuvent pas nous empêcher de l'accueillir autrement que les romans bien propres, bien idéalistes, les romans des petits chiens savants. Voyage au bout de la nuit est un roman picaresque, ce n'est pas un roman révolutionnaire, mais un roman des « gueux », comme le fameux Lazarille de Termes dont il rappelle parfois la bassesse et l'accent. Un médecin, assez ignoble lui-même, raconte ses explorations dans les divers mondes de la misère ; il y a là des tableaux de la guerre, des colonies africaines, de l'Amérique, des banlieues pauvres de Paris, des maladies et de la mort dont on ne peut oublier les traits. Une révolte haineuse, une colère, une dénonciation qui abattent les fantômes les plus illustres : les officiers, les savants, les blancs des colonies, les petits-bourgeois, les caricatures de l'amour. Il n'y a rien au monde que la bassesse, la pourriture, la marche vers la mort, avec quelques pauvres divertissements : les fêtes populaires, les bordels, l'onanisme. Céline ne voit dans ce roman du désespoir d'autre issue que la mort : à peine devine-t-on les premières lueurs d'un espoir qui peut grandir. Céline n'est pas parmi nous : impossible d'accepter sa profonde anarchie, son mépris, sa répulsion générale qui n'exceptent point le prolétariat. Cette révolte pure peut le mener n'importe où : parmi nous, contre nous, ou nulle part. Il lui manque la révolution, l'explication vraie des misères qu'il dénonce, des cancers qu'il dénude, et l'espoir précis qui nous porte avant. Mais nous reconnaissons son tableau sinistre du monde : il arrache tous les masques, tous les camouflages, il abat les décors des illusions, il accroît la conscience de la déchéance actuelle de l'homme. Nous verrons bien où ira cet homme qui n'est dupe de rien. La langue littéraire de Céline est une transposition assez extraordinaire du langage populaire parlé, mais il devient artificiel vers la fin : c'est que le livre a deux cents pages de trop. Céline ne s'arrête pas au moment où il a tout dit.

P. NIZAN. (Journal L'Humanité, page 4, 9 décembre 1932)
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