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EAN : 9782070467563
112 pages
Gallimard (29/10/2015)
3.96/5   28 notes
Résumé :
"Une rage muette consumait nos énergies et, dans le secret de nos consciences, nous avions tous prêté serment de venger Catinat. Dans les salles de change où se négocie la vie humaine, le soldat d'élite vaut de l'or, et cette année-là le meurtre d'un parachutiste par un terroriste embusqué devait nécessairement coûter un minimum de cinquante morts aux insurgés."
D'un concert de Monsieur 100 000 volts jusqu'aux décharges de la gégène, un jeune homme avide d'ac... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Étudiant à la Sorbonne, âgé de 23 ans, il aime bien lire. Mais aussi déconner. Faut dire qu'avec son ami Jacques, il est servi! Il en rate pas une! Entrainé dans ses délires il se retrouve, un soir, au concert de Gilbert Bécaud, Monsieur 100000 volts, à l'Olympia. Et il faut croire que ça ne suffisait pas aux spectateurs qui, pour manifester un certain mécontentement, ont fini par balancer leur fauteuil contre la paroi métallique qui isolait la salle du plateau. La plupart des saccageurs finirent dans le panier à salade et la nuit au poste. L'inspecteur de permanence, plutôt ennuyé de voir l'état de la relève, leur fait passer un marché: il veut bien passer l'éponge à condition qu'ils rejoignent l'armée et l'Algérie...

Didier Daeninckx à l'écriture, Tignous au dessin et un petit roman déjanté, parfois violent, et taillé dans la roche. le narrateur, dont on ne connaît pas le nom, va se retrouver grâce à (ou à cause de) cet inspecteur de police dans les paras. Qu'est pas fait pour les fiottes! Malheur à tous ceux qui n'arrivent pas à suivre le pas. Notre héros va devoir s'adapter s'il ne veut pas finir un balai à la main. À Philippeville, au nord-est de l'Algérie, il sera envoyé, tentant de dissuader les Algériens de se rebeller. Didier Daeninckx nous plonge en pleine guerre. Des fortes têtes, des massacres et des mots crus pour évoquer tout cela. Un texte noir, fort, poignant et subtil, illustré brillamment par Tignous qui croque avec rage cette guerre.
À noter une magnifique préface de l'auteur qui rend hommage à Tignous et ses amis.

Merci Cécile...
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On ne connaît pas son nom. On sait qu'il est étudiant à la Sorbonne, qu'il a vingt-trois ans, qu'il vit le nez dans les livres. Il s'est laissé entraîner à sortir un soir, et, gagné par la fougue contagieuse de Monsieur 100 000 volts, il a arraché et balancé des fauteuils à l'issue du concert de Bécaud à l'Olympia. On en déduit que ça se passe en 1955. On devine que l'armée française a besoin de chair fraîche pour sa guerre d'Algérie, puisque ce débordement vaut au jeune homme un aller-simple pour les Aurès. Ouf, il a de la chance, première épreuve surmontée : il a réussi à sauter en parachute, il ne fera pas partie des « gonzesses » (sic), ceux qu'on cantonne aux corvées et qui se font violer par les forts, les durs, les winners. Lui, il ira en première ligne, tuer, torturer. Il y mettra du zèle.

Un court roman, une longue nouvelle de 80 pages, appelez ce texte comme vous voulez. Avec le talent qu'on lui connaît, Didier Daeninckx livre là du brut, du dense, du choquant pour évoquer la logique de l'armée, l'esprit colonialiste, la violence de la guerre. Et puis la mauvaise foi des gouvernements qui envoient leurs jeunes au casse-pipe. Nos pères sont allés en Algérie, nos grand-pères en Allemagne, nos arrière-grand-pères dans les tranchées. Ils étaient tout jeunes, ils avaient l'âge qu'ont nos fils aujourd'hui. Et quelques décennies plus tard, on entend cela, comme si la guerre venait d'être inventée, comme si les Etats eux-mêmes n'étaient pas responsables de boucheries "au nom de causes folles" ou incompréhensibles, eux aussi : « Une horde d'assassins a tué 130 des nôtres et en a blessé des centaines au nom d'une cause folle et d'un Dieu trahi. Aujourd'hui, la Nation, toute entière, ses forces vives, pleurent les victimes. 130 noms, 130 vies arrachées, 130 destins fauchés, 130 rires que l'on n'entendra plus, 130 voix qui à jamais se sont tues. » (extrait de l'hommage aux victimes du 13/11/2015, lu par François Hollande - émouvant, certes, mais...).

Cet ouvrage de Daeninckx est violent, cru, mais indispensable pour la page d'Histoire, pour ce qu'il montre de la nature humaine, et pour les échos avec l'actualité - la salle de concert, les illustrations de Tignous (dessinateur tué lors de l'attentat du 07/01/2015 contre Charlie Hebdo), et bien sûr « les vies arrachées, les destins fauchés » au hasard.
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« Ce n'est pas ce que vous faites là-bas qui vous gêne... C'est quand on met des mots dessus ! »
Daeninckx a mis ses mots et Tignous ses dessins ! Petit livre qui en dit long sur un état d'esprit et des pratiques, au sein de l'armée même, et de certains militaires pendant la guerre d'Algérie.

« Pour nous, les ordres sont superflus. »
Livre d'autant plus brutal que l'auteur a fait le choix d'un narrateur, acteur volontaire des atrocités commises en Algérie, fier d'être « de ceux qui avaient sauté », intégrant ainsi le corps des paras pour former « un seul corps dans lequel coulait un sang viril qui irriguait des muscles d'élite. » Les faibles n'auront que ce qu'ils méritent, il fermera les yeux. Puis il ne supportera plus les yeux des autres, et leur fermera les yeux, qu'ils soient vieux, femmes ou journalistes. Il poursuivra en voulant généraliser sa vision par la censure (livres, cinéma...). Ce qui touche c'est la facilité avec laquelle le narrateur, étudiant à la Sorbonne, sombre dans la violence et s'y délecte à 23 ans. Son ami Jacques avait-il eu un pressentiment en lui disant « Tu devrais te lancer dans une thèse sur le décadence du génie national sous l'influence pernicieuse des lieux de débauche, au lieu de t'abîmer les yeux sur tes vieux romans aux odeurs de cuir rance. »

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Les livres de Didier Daeninckx sont comme des uppercuts,ils cognent, ils font mals et laissent souvent KO
Cette courte nouvelle illustrée par Tignous en est le parfait exemple.
Pour échapper à la prison, un étudiant se voit obliger de s'engager dans les paras direction Algérie.
En un rien de temps tout bascule, l'étudiant potache devient un tortionnaire de la pire espèce.
Le style employé par l'auteur est percutant, et le "héros" de cette nouvelle est complètement déshumanisé.
Même si cette lecture m'a causée un certain malaise, une fois de plus l'auteur fait ressortir tout le coté obscur de la France d'après guerre.
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Découvrir la prière du parachutiste :
"Donnez moi, mon Dieu, ce qui vous reste
Donnez moi ce qu'on ne vous demande jamais
Je veux l'insécurité et l'inquiétude
Je veux la tourmente et la bagarre
Et que vous me les donniez, mon Dieu."
Non je ne crois pas en ce dieu, ni en aucun autre !

Entendre un colonel déclarer dans l'hommage à un mort :
"Il est mort dans cette beauté, dans l'exigence de la jeunesse, et cette mort précoce l'a sauvé de la graisse épaisse de la maturité. Cette mort l'a préservé du déclin de la chair, de cette décrépitude du vieillissement par laquelle les héros sont déchus de leur supériorité. "
Non je n'accepte pas cet hommage ....

Ne croyez vous pas que certains tracts de l'époque pourraient resservir aujourd'hui :
"Des étrangers sont venus vers vous. Ils vous ont dit : "Nous combattons pour l'Islam et nous vous apporterons la paix et la prospérité." Ce ne sont que des orgueilleux, des fils de satan, des menteurs et des criminels. Ils ne vous amènent que le sang, la douleur, la misère. Rejetez les loin de vous. Faites confiance à la grande France."
Rejeter les charlatans, oui bien sûr, mais j'ai peur que la grande France ne soit pas à la hauteur de nos espérances ....

J'ai honte pour mon pays qui a pu tenir de tels propos :
"Vous luttez contre les sauterelles, luttez aussi contre le fellagha, la sauterelle la plus nuisible. Soutenez la pacification ! ".

Dans ce petit livre réédité après ce qu'on nomme pudiquement comme les évènements de janvier (2015!), à partir d'un texte puissant de Didier Daeninckx, illustré fort à propos par Tignous,
J'ai fait la connaissance de Pierre Clément, réalisateur et photographe et de Benoist Rey, imprimeur, typographe et écrivain libertaire.
L'actualité des années 50 et 60 a rejailli de ma mémoire avec son cortège de gâchis, de brutalité, de racisme et d'actes de torture odieux,
Et j'avoue que maintenant j'ai un peu peur d'écouter Bécaud!
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Le commandant aurait pu faire muter directement [ceux qui avaient eu peur de sauter en parachute] dans un régime de rampants. Il préférait respecter la tradition et les mettre à notre disposition jusqu'à la fin de nos classes. Les « gonzesses », personne ne les appelait plus autrement, s'occupaient du ménage dans les piaules, briquaient les chiottes, ciraient les chaussures, raccommodaient les boutons, les épaulettes, préparaient le café à nos retours de sauts ou de crapahutage. Au dos de leur uniforme était peinte l'infamante lettre « D » comme dégonflé. Une nuit, des cris étouffés m'ont sorti de mon sommeil. Dans un coin du dortoir, deux compagnons maintenaient l'une des mauviettes sur son lit, la face écrasée dans son polochon, pendant qu'un troisième se préparait à l'enculer en se faisant reluire. Je me suis tourné la tête sur le côté et j'ai fermé les yeux. J'étais de ceux qui avaient sauté. Lui n'avait que ce qu'il méritait. C'est le lendemain qu'on nous a remis nos bérets rouges ainsi que la petite médaille figurant un parachute. Tout ce que nous avions vécu de différent n'existait plus. En quelques semaines, nous avions réussi à ne former qu'un seul corps dans lequel coulait un sang viril qui irriguait des muscles d'élite. Moi qui n'avais fréquenté que les bancs de la Sorbonne, je m'apercevais de l'existence de cette carcasse blême que les études avaient contingentée, je prenais conscience que le corps ne spécule pas, que sa vérité est éclatante, qu'il ne ment pas. C'est comme si, pendant des années, l'éducation avait mis cette machine parfaite en exil de moi-même. J'approuvais les paroles de l'instructeur quand devant une bière, au mess, il citait de mémoire Hanns Johst : « L'homme n'est pas esprit, mais viande et sang. Les lois de la vie ne sont pas spirituelles mais sanglantes. » Je riais avec lui lorsque, après avoir passé son bras autour de mon épaule, il concluait : « Dès que j'entends parler de la raison, je sors mon revolver. »
(p. 33 à 35)
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« Vous allez travailler dans le bled, avec des Kabyles et des Arabes qui nous sont totalement dévoués. Votre rôle est de développer l'action psychologique, de permettre aux populations de choisir leur intérêt autrement que sous la menace du couteau des égorgeurs. Vous vous occuperez de toute la partie "intellectuelle" du boulot... Il faut bien que ça serve à quelque chose, les études en Sorbonne ! [...] »
Mon premier travail a consisté dans la rédaction d'un tract que le pilote du Piper est chargé d'aller larguer dès le lendemain au-dessus des maisons. Sur le recto du stencil, j'ai tracé au normographe les lettres majuscules du message : « LES COMPLICES DES REBELLES, EUX AUSSI, SERONT PUNIS. PARLONS ! » Zamoun, l'assistant qu'on m'a affecté, s'est ensuite appliqué à le traduire en calligraphie arabe avant de le graver de la pointe de son stylo.
Au verso, j'ai composé un texte plus explicite : « Des étrangers sont venus vers vous. Ils vous ont dit : "Nous combattons pour l'Islam et nous vous apporterons la paix et la postérité." Ce ne sont que des orgueilleux, des fils de Satan, des menteurs et des criminels. Ils ne vous amènent que le sang, la douleur, la misère. Rejetez-les loin de vous. Faites confiance à la grande France. Elle est fière et généreuse, et c'est pour ça que Dieu l'aide. »
(p. 55-61)
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[guerre d'Algérie]
L'un des types du commando s'est mis à dépouiller les cigarettes pour remplir de tabac une petite bourse confectionnée dans un cuir aussi mince que du papier. Quand elle a été pleine, gonflée, il l'a agitée devant nos yeux en riant :
- Il ne doit pas être content, mon premier fell : le FLN lui interdisait de boire, de fumer, même de baiser à ce qu'on dit, et je viens une fois de plus de lui farcir les couilles de gris !
Il avait appris à tanner la peau humaine au Vietnam et s'est proposé pour nous fabriquer des souvenirs, blagues à tabac, crucifix en os de musulmans, colliers de dents ou d'oreilles.
(p. 65-66)
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Dans le temps des Dragonnades, on prenait les filles qui ne voulaient pas se convertir, et, pour leur faire aimer la messe, on les remplissait de poudre, avec un entonnoir enfoncé par l'anus et la matrice. On les faisait ensuite sauter comme une bombe. Il est inouï combien cela leur donnait de goût pour l'hostie et pour la confession auriculaire ! Comment ne pas aimer un Dieu, au nom duquel on fait de si belles choses ?
(p. 87-89)
[Wikipedia : Les dragonnades sont les persécutions dirigées sous Louis XIV contre les communautés protestantes de toutes les régions de France pour l’exercice de leur culte.]
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Quand on a du temps devant soi, il faut se fabriquer des souvenirs, ça peut servir, plus tard...
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Vidéo de Didier Daeninckx
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+ Lire la suite
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