Les Juins ont tous la même peau, sous-titré "rapport sur #borisvian", est un livre hommage à l'auteur de
L'Ecume des jours &
Les Morts ont tous la même peau (dont il se fait ici l'écho) : « Je suis la maladie d'un mort à qui je voudrais dire merci. »
Hommage oui, mais pas que.
C'est un petit bijou de littérature contemporaine dans lequel la langue est taillée comme un métal brut. Parfois abrupte, le ton est caustique mais pose de vraies questions : sur le rapport à l'écriture – la sienne ou celle du maître à penser –, le désir de reconnaissance, et (thème central) l'identité.
Avec une syntaxe décalée – voire décousue, au premier abord – qui peut heurter la sensibilité des lecteurs trop habitués au clacissime,
Chloé Delaume modèle ses phrases à coup de canif, les enlumine de fulgurances.
Il faut plonger dedans tête la première (le rapport au corps y étant bel et bien tangible), se laisser happer et accepter, pour un temps, d'abandonner ses repères. Ensuite, la magie opère. (Ou pas, après tout je ne suis pas là pour vous faire des promesses.)
Cet ouvrage s'adresse de sensibilité à sensibilité, d'autant plus parce que la matière y est dépouillée de tout apparat.
Delaume, c'est l'art de dire les choses de manière incisive, d'user de phrases choc desquelles se dégage une telle puissance qu'elles vous laissent sur le carreau ; frappé(e) par tant de justesse dans des images aussi crues, mais toujours cruellement poétiques et dans le Vrai.
Elle évoque ici sa "rencontre" avec
Boris Vian, bien que séparée de lui par le gouffre infranchissable de la mort – cinquante-trois ans d'écart qu'elle déplore. Elle est lycéenne lorsqu'une amie lui prête
L'Ecume des jours : « Boris
Vian Boris, le Folio blanc fleur d'eau esseulée en son centre, ça ne te plaira pas a dit Alice, ça ne peut pas te plaire c'est tellement romantique […] » La lecture est une révélation qui la marque à tout jamais. À ce moment-là, Chloé n'est pas encore tout à fait
Chloé Delaume, mais le nénuphar a pris place, tout ne fait que commencer...