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Alain Dorémieux (Traducteur)
EAN : 9782264030009
287 pages
10-18 (06/07/2000)
3.79/5   217 notes
Résumé :
Philip Dick vit près de San Francisco. Le caractère violent de ses romans avait fait d'abord qualifier de « noire » son type de science-fiction. En 1962, le Prix Hugo le mit en vedette. Il est aujourd'hui au premier rang des auteurs de S. F. avec "Ubik", "Loterie solaire", "Le Dieu venu du Centaure", "Le maître du haut château" et bien d'autres.

Depuis quinze ans ils attendent. Dans leurs abris souterrains. Prisonniers mais aussi protégés des ga... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Paru en 1964, « La vérité avant-dernière » n'a pas l'aura des plus grands succès de Philip K. Dick. Si l'on y retrouve une forme d'obsession pour la seconde guerre mondiale qui irriguait « Le Maître du Haut Château », paru en 1962, ainsi que l'ébauche d'une plongée dans le piège final des réalités qui trouvera son apogée dans « Ubik », paru en 1969, il serait réducteur de définir ce roman très abouti comme une oeuvre intermédiaire de K. Dick.

2025. Enterrés dans des abris atomiques depuis quinze ans, des hommes et des femmes triment comme des animaux pour produire le quota de « solplombs » (robots-soldats) que leur demande leur protecteur, Talbot Yancy, afin de participer à l'effort d'une guerre qui n'en finit pas. Leur travail est supervisé par un « pol-com » (commissaire politique) qui s'assure que les consignes définies à la surface sont bien appliquées par ces milliers d'hommes et de femmes qui vivent dans les ténèbres des entrailles de la terre.

Nicholas Saint James, le président d'un abri, doit faire face au décès de son meilleur mécanicien, Souza, sans lequel il est impossible d'atteindre le quota de solplombs qui a été fixé. Un manquement qui pourrait s'avérer lourd de conséquences pour la communauté dont il a la charge. La seule solution pour ranimer Souza dont le corps a été congelé, est de remonter à la surface, afin d'acheter un pancréas artificiel destiné à être greffé au corps du mécanicien congelé par le docteur Carol.

Face aux menaces à peine voilées de ses hommes, Nicholas comprend qu'il n'a pas le choix. Il lui faut regagner la Terre. Là où la guerre fait rage depuis quinze ans, comme en attestent les images effrayantes que leur transmet à intervalles réguliers l'écran de télévision pendant les allocutions de leur dirigeant éclairé. Une surface dévastée par la radioactivité et infestée par les maladies.

Persuadé d'entreprendre une mission qui confine au suicide, notre héros découvre un lieu où la guerre est finie depuis longtemps, où la radioactivité ne touche plus que quelques zones éparses, où une nature luxuriante a repris ses droits. Un monde que se partagent les « yancee », qui règnent sur leurs domaines tels des seigneurs féodaux d'un autre temps, servis par les solplombs que produisent inlassablement les membres des abris souterrains. Un peuple d'esclaves manipulés par un flux d'images et de beaux discours fabriqués afin d'asseoir la domination définitive d'une élite restreinte sur une planète qui a retrouvé la concorde depuis des années.

La sortie mouvementée de Nicholas à la surface marque le début d'une intrigue typiquement dickienne, mêlant complots, leurres et fausses pistes en tout genre. le procédé narratif aussi simple que saisissant utilisé par l'auteur consiste à nous faire partager les pensées de ses protagonistes, leurs craintes, leurs doutes, leurs suppositions angoissées. C'est ainsi que le lecteur « entre » dans l'esprit de Nicholas Saint James, de Joseph Adams, un yancee mélancolique dont le travail consiste à rédiger les discours du « protecteur », de Webster Foote, membre d'une agence de police privée internationale, doté de facultés pré-cognitives et de Louis Runcible, promoteur qui bâtit des « conapts », résidences aux allures de prisons à ciel ouvert, destinées aux pauvres hères qui remontent progressivement à la surface.

Ces hommes devront faire face aux manipulations démoniaques et paranoïaques ourdies par l'homme qui dirige le monde, un être répugnant dénommé Brose, vieillard obèse de quatre-vingt ans, dont tous les organes sont artificiels à l'exception de son cerveau. À moins que Lantano, un jeune rédacteur extrêmement brillant de vingt-trois ans, dont le teint très sombre proviendrait des radiations résiduelles émises aux alentours de la villa dont il vient de faire l'acquisition, ne vienne redistribuer les cartes...

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Si l'intrigue de « La vérité avant-dernière » se déroule en 2025, ce roman post-apocalyptique a été écrit en 1964 et porte en lui la grande angoisse de l'époque : la peur du déchainement du feu nucléaire qui anéantirait l'humanité. Une manière de nous rappeler que le futur souvent très sombre imaginé par les auteurs de S.F. n'est au fond qu'une projection des craintes de leurs contemporains.

L'exercice littéraire exerce ici une fonction cathartique et peut s'envisager comme une manière d'exorciser les menaces entrevues par un auteur aussi génial que paranoïaque. C'est d'ailleurs ce second niveau de lecture, tentant d'appréhender les inquiétudes et les questionnements de K. Dick qui confère au roman une puissance spéculative époustouflante.

La possibilité de l'assujettissement d'une majorité de pauvres hères condamnés à vivre en enfer au profit de quelques nantis est l'une des clés du roman. Au coeur des trente glorieuses et de l'avènement d'une classe moyenne de plus en plus aisée, K. Dick avait perçu la fragilité du rêve américain et la possibilité de son anéantissement absolu. Mais le plus intéressant est ailleurs, dans la manière « douce » dont s'opère cet assujettissement : la manipulation des esprits.

Une apocalypse nucléaire a bien eu lieu, et l'on a envoyé les foules se réfugier dans des abris souterrains. Lorsque la guerre s'est terminée, les nouveaux maîtres du monde ont inventé un protecteur fantoche, Talbot Yancy, et ont fabriqué une réalité alternative, celle d'une guerre qui n'en finit plus, diffusée au travers d'écrans à une foule crédule et assortie de discours fabriqués à l'aide d'une machine nommée Mégavac.

« Ce qu'on introduisait dans le Mégavac 6-v sous forme de simples éléments linguistiques finirait par en émerger comme une allocution parfaitement structurée qu'enregistreraient caméras de télévisions et micros, un exposé définitif dont nul individu lucide - surtout après avoir passé quinze années de sa vie bloqué sous terre - ne viendrait à mettre en doute la véracité ».

Tout le génie de l'auteur consiste à faire remonter cette manipulation aux années quatre-vingts, en imaginant la création de fausses archives offrant une relecture pour le moins iconoclaste de la seconde guerre. Une relecture monstrueuse dont le but est de blanchir totalement l'Allemagne de ses actes. Une manière de légitimer la division du monde en deux blocs. « Dém-Ouest » face « Pacif-Pop ». Les démocraties de l'ouest intégrant l'Allemagne face au bloc communiste de l'est. Un effacement d'une ironie terrifiante de la part de l'auteur du « Maître du Haut Château », une uchronie dans laquelle les nazis et leurs alliés nippons ont remporté la seconde guerre, et ont continué à semer le Mal à travers le monde, une uchronie tellement documentée que K. Dick, écoeuré par ses recherches, a renoncé à lui donner une suite.

Le romancier fait ici sienne la célèbre maxime énoncée par George Orwell dans 1984, « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé ». Ce slogan est sans doute l'une des clés de compréhension du titre cryptique du roman, « La vérité avant-dernière ». Tout comme Orwell avant lui, K. Dick a compris qu'une entreprise de propagande massive ne saurait se limiter à une manipulation du présent. Il faut également réécrire le passé, pour légitimer ce présent alternatif et prendre ainsi une main mise absolue sur les esprits.

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« Joe, tente le coup, essaie de pondre ton discours sans cet auxiliaire ; avec tes mots à toi. (...) Honnêtement, songea-t-il, je ne crois pas pouvoir y arriver sans cette machine ; je dépends complètement d'elle à présent »

Hanté par les angoisses propres à son époque, « La vérité avant-dernière » est paradoxalement parsemé de prémonitions absolument géniales que nous observons, atterrés, en 2023. Creusement sans fin des inégalités, avènement d'une oligarchie capitaliste au détriment de gouvernants démocratiquement élus, entrée dans l'ère de la post-vérité, réécriture du passé dissimulée derrière les oripeaux de la « cancel culture », apparition d'une Intelligence Artificielle en passe de supplanter l'intelligence humaine dans la rédaction de contenus, la liste des intuitions dickiennes ne laisse pas d'inquiéter.

Ce roman vertigineux revisite l'allégorie de la caverne de Platon, emprunte à Orwell les clés d'analyse de la mise en oeuvre d'une manipulation absolue des esprits, et nous emporte dans un dédale labyrinthique où les apparences sont toujours trompeuses, que n'aurait pas renié Borges. Platonicien, orwellien, borgésien, il préfigure la dissolution du réel qu'interrogera quelques années plus tard le célèbre « Ubik ».

Au-delà de ce questionnement métaphysique qu'envisageait déjà Pedro Calderón de la Barca dans « La vie est un songe » au XVIIe siècle, « La vérité avant-dernière » frappe le lecteur contemporain par la résonance troublante des obsessions dickiennes avec notre « réalité ». La réalité d'un monde à nouveau confronté à l'éventualité du feu nucléaire, où la possibilité d'une manipulation du réel prend jour après jour une ampleur saisissante, et qui devra affronter les défis proposés par le développement exponentiel d'une Intelligence Artificielle tout droit sortie d'un cauchemar dickien.
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Ah K. Dick et sa fameuse psychose de la guerre nucléaire mondiale entre les deux grands blocs de son époque...
Mais ici, on parle surtout et avant tout du pouvoir de la propagande et la manipulation des masses. Et l'intrigue est extrêmement forte là-dessus, saisissante et écoeurante.
L'auteur a puisé ses idées directement dans les deux grands conflits du XXème siècle, et il extrapôle de brillante façon, comme lui seul en a le secret.

On navigue entre le chef d'un des camps souterrains qui va être amené à sortir de son trou, à ses risques et périls, et un des membres de l'agence de New York, à savoir le gouvernement de la moitié de la planète. Ce membre en question n'est autre qu'un des principaux rédacteurs des discours et messages de propagande diffusés dans les milliers d'abris sous terre du monde afin de continuer à leur offrir l'illusion qu'ils doivent demeurer enterrés pour survivre.
Est-ce qu'il faut croire aveuglément ce que les puissants nous racontent ? On peut se poser la question aujourd'hui, mais à l'époque de l'écriture du roman cela avait encore tellement plus de sens avec un nombre de médias différents bien moins important, quelques années seulement après la fin de la deuxième guerre mondiale et en pleine crise de guerre froide et de guerre du Vietnam.

La réflexion est bonne, bien amenée. Les références conjuguées à l'imagination de l'auteur rendent le tout très crédible, et c'est bien ce qui fait peur. Hormis les dates mentionnées par K. Dick, qui font désormais partie du passé, le tout pourrait réellement se produire en exagérant un peu les événements. La soif du pouvoir, l'égoisme humain, et le manque d'humanisme couplé à la lâcheté sont des ingrédients parfaits de notre société actuelle finalement.
Et advienne que pourra....

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Qu'il est plaisant de relire, après plus de 30 années, l'un des meilleurs romans de Philip K. Dick, initialement paru en 1966, dans une édition qui, si elle n'a absolument pas été débarrassée de ses fautes (trop nombreuses, dûment relevées sur mon exemplaire), bénéficie au moins d'une belle première de couverture, effort graphique notable concernant d'ailleurs tous les romans de l'Américain édités par J'Ai Lu. Enfin, quelque éditeur français s'avise, à l'instar des éditeurs anglo-saxons qui le savent depuis des lustres, qu'un livre est beaucoup de choses mais, en premier lieu, un objet !
S'il n'est pas aussi maîtrisé que le remarquable Maître du Haut Château, ce roman n'en est pas moins intéressant, tant il condense les interrogations habituelles de l'auteur, autour de trois thématiques principales que sont les distorsions temporelles, la perception d'une réalité truquée et mensongère, grand classique dickien, et enfin la révolte contre le règne de l'imposture généralisée.
Nicolas Saint-James est le président de «l'abri souterrain communautaire antimicrobien Tom Mix, ouvert en l'an 1 de la Troisième Guerre mondiale, soit en juin 2010, de longues, longues années auparavant» (1) et, comme des millions d'autres réfugiés terrés sous terre, il est persuadé que la surface de la planète n'est qu'un immense champ de ruines, balayées par de pestilentielles maladies qu'il s'agit d'éviter à tout prix. le seul lien unissant ces populations à ce qu'elles pensent être le monde dévasté par la guerre tient aux nouvelles télévisées que Talbot Yancy, leur dirigeant, surnommé le Protecteur, leur fournit régulièrement : nous sommes toujours en guerre, leur dit-il, contre les ennemis de l'Est, la surface de la Terre est encore plus polluée, par les maladies et les radiations, qu'elle ne l'était voici quelques années, et nous avons besoin que vous continuiez, dans vos abris, à travailler d'arrache-pied pour nous fournir les robots-soldats dont nous avons besoin pour continuer de livrer bataille à un ennemi, le Pacif-Pop, qui n'hésite pas à raser des villes entières de la carte, images à l'appui, que je vous invite du reste à regarder.
Nos réfugiés, parqués comme des rats, ne savent pas que ces images sont fausses, tout comme les discours de leur dirigeant, le Protecteur Talbot Yancy qui n'est qu'un robot (mais aussi, complication quelque peu inutile, l'un des personnages réels du roman, par le biais d'un artifice temporel peu convaincant), et que la surface terrestre a eu le temps de reverdir, et qu'elle est désormais partagée en d'immenses propriétés (cf. p. 148) où une toute petite poignée de privilégiés vivent à l'abri du besoin, protégés par ces mêmes robots que fabriquent sans relâche les habitants du sous-sol.
Ajoutons qu'un certain Louis Runcible, l'homme qui loge les arrivants des abris souterrains «montés en surface en croyant y trouver la guerre, pour découvrir que celle-ci avait pris fin des années auparavant et que la superficie de la planète n'était qu'un immense parc» (p. 68), est en lutte ouverte contre le tout-puissant Stanton Brose, disposant pour sa solde personnelle d'une armée de robots et puisant sans aucun scrupule dans le stock rarissime d'organes de synthèse dont il se sert afin de prolonger son existence ventripotente et maléfique.
C'est sur cette trame d'irréalité ou de simulacres, assez classique chez Dick, et dont l'imposture semble toujours indiquée par quelque mystérieux élément extérieur venant perturber la quiétude d'une vie en apparence banale et tranquille (2), que se greffera la thématique des paradoxes temporels, à vrai dire superfétatoires dans ce roman, comme je l'ai dit, et qui ne saurait nous intéresser.
Il s'agira donc, bien sûr, une fois de plus, de tenter de dissiper les apparences, en sortant de la caverne où sont projetées de grandes ombres déformées de l'inaccessible réalité, en s'extrayant des souterrains, et en se dirigeant vers la surface, comme le fera Nicolas Saint-James, à la recherche d'une greffe organique pour l'un de ses amis qui se meurt. Ces apparences et faux-semblants ne peuvent qu'être assez clairement indiqués par la mention, dès les premières pages du roman, d'Alice au pays des merveilles, un livre devenu rarissime dans ces temps de guerre, mais moinsrare quand même qu'un animal, pourquoi pas un écureuil, comme a cru en voir un Joseph Adams (cf. p. 12), alors que tous les animaux ont été exterminés.
Ces jeux entre la réalité et ce qui la double, à tous les sens de ce terme, sont directement mentionnés par ce syllogisme : «Tout ce que je dis est un mensonge. Donc je mens en prétendant mentir. Donc je dis bien la vérité en affirmant que je mens. Donc...» (p. 53), et ainsi de suite à l'infini, tandis que dans ce que nous pourrions appeler, goûtant le paradoxe de l'expression, «l'or factice véritable» (p. 54) se niche comme en un miroir déformant un univers labyrinthique sans commencement ni fin : «Et cet univers, réfléchissait-il, dont on pourrait croire qu'une fois la porte d'entrée franchie on puisse le traverser en deux minutes avant d'atteindre la sortie... cet univers, comme les monceaux d'accessoires dans les studios d'Eisenbludt [chargés de falsifier la réalité] à Moscou, était sans fin, il était composé d'une enfilade infinie de pièces : la sortie de chacun n'était que l'entrée de la suivante» (p. 55).
Comme toujours chez Dick, un mensonge en cache un autre, un enfer s'emboîte dans un autre, qui semblait pourtant paradisiaque, mais à bien y regarder, finalement... Ainsi, bien que la vie des réfugiés, dans leurs clapiers souterrains, soit immonde et abjecte, Philip K. Dick se garde bien d'affirmer que celle qui attend ceux qui parviennent à gagner la surface serait meilleure. Rien n'est moins sûr ! Ils sont en effet parqués dans les conapts, sortes d'immenses immeubles tout de même confortables, construits par Runcible : «les «hôtes» de Runcible sont en fait des prisonniers, et les conapts constituent des réserves» ou, ajoute immédiatement l'un des personnages, «pour employer un mot plus moderne, des camps de concentration» (p. 68, l'auteur souligne).
Nous savons quelle fascination le nazisme a exercé, en tant que romancier, sur Dick qui, quelques pages plus loin, évoque le fait que les nazis «n'avaient pas d'ordres écrits concernant la solution finale, le génocide des juifs. Tout se passait oralement, de supérieur à subordonné, de bouche à oreille» (p. 73), alors que les principaux personnages sont en train de mettre au point un plan machiavélique destiné à perdre Runcible, cet idéaliste qui veut faire remonter à la surface de la planète des centaines de millions de femmes et d'hommes enfermés durant des années sous terre. C'est une perspective tout à fait impossible pour Stanton Brose, l'un de ceux qui jouit du pouvoir :
«Qu'est-ce qui se passerait si la terre s'entrouvrait pour laisser sortir ces millions d'humains emprisonnés quinze ans sous la surface, jusqu'alors persuadés qu'une guerre faisait rage à l'air libre, que la planète entière était un champ de bataille couvert de décombres, ravagé par les missiles et les bactéries ? le système des domaines subirait un coup mortel, et l'immense parc qu'il survolait deux fois par jour redeviendrait une zone densément habitée, pas tout à fait autant qu'avant-guerre, mais il s'en faudrait de peu. Les routes referaient leur apparition. Ainsi que les villes. Et, en fin de compte, une autre guerre éclaterait» (p. 75, l'auteur souligne).
Décrire la situation des habitants privés de surface amène Dick à évoquer les «Nibelungen, les nains au fond des mines» mais aussi, via un discours de Talbot Yancy, une parabole (cf. p. 91 pour ces deux références) censée apporter quelque consolation à celles et ceux qui écoutent la «matière verbale» du Protecteur, unique lien avec la surface censée être dévastée. Il est à noter que c'est Lantano qui a composé le discours que le robot Yancy sera chargé de prononcer, ce même Lantano qui assume le rôle de l'auteur de la Sauterelle pèse lourd dans le Maître du Haut Château, même si le pouvoir qu'il détient semble infiniment plus dangereux et trouble voire mortel (cf. p. 113) que celui du tout-puissant Stanton Brose : c'est lui qui dit la vérité aux captifs, qui leur apprend que l'univers dans lequel ils vivent depuis des années est truqué, mais il possède pourtant la faculté de se déplacer dans le temps, et est même la source de plus d'une distorsion dans la réalité historique, ayant assumé plusieurs fois, comme il l'apprendra à l'un des personnages, des rôles de chefs et de dirigeants, apparaissant sur des films de propagande où Dick s'amuse, à partir d'une situation bien réelle, à la saturer de mensonges (cf. p. 108). En d'autres termes, David Lantano est le représentant d'une puissance occulte, que Dick a toujours figurée avec crainte, et qui n'est autre que le temps, ou bien, alors, la volonté insoupçonnable, mystérieuse, qui s'y cache et s'amuse avec les hommes. Nous apprendrons même que la marionnette Talbot Yancy n'est autre que... le double de Lantano, ce dernier lui ayant prêté ses traits, puisqu'il était l'acteur d'un des films de propagande qui a éduqué des millions de réfugiés ! de fait, il est clair qu'un «personnage supplémentaire, que ni moi [Foote], ni Runcible ni Brose n'envisageons, est descendu dans l'arène afin de s'immiscer dans la lutte pour le pouvoir» (p. 185, l'auteur souligne), et ce personnage n'est autre que Lantano.
Dick résume ces jeux constants avec la réalité historique et la vérité, qui n'est jamais celle que l'on croit, par cette formule ironique mais probablement, en réalité, désespérée : «Quand nous passons notre temps à fabriquer des mensonges, nous sommes fatalement voués, un jour ou l'autre, à faire des bourdes» (p. 112), tout comme Dick lui-même d'ailleurs, lorsqu'il semble par exemple oublier que l'un de ses personnages, Joseph Adams, est marié, alors qu'il ne manifeste qu'une seule hâte : se réfugier, mais sans sa femme, dans un abri souterrain pour échapper à la menace qui pèse sur lui, ou bien lorsqu'il greffe, sur l'habituelle trame d'une réalité fausse, des distorsions temporelles et des jeux improbables d'identités, qui embrouillent le récit, sans réelle ni profonde utilité.
La force de ce roman n'en est pas moins réelle, ne serait-ce que par sa description d'une vie réduite, parquée, cachée, coupée de la réalité prétendûment luxuriante et qui n'est qu'un leurre, une vie falsifiée par le seul pouvoir d'une immense et constante manipulation médiatique. La critique est imparable et, plus d'un demi-siècle après la parution de ce roman, nous ne pouvons que saluer le génie visionnaire de l'auteur qui, stigmatisant les travers de notre époque, semble avoir vu la nôtre bien mieux que tant de romanciers contemporains qui, après tout, profitent de l'imposture bien davantage qu'ils ne la dénoncent. En effet, en quelques mots résumée, l'histoire de L'avant-dernière vérité est d'une simplicité biblique (la Bible, souvent citée dans ce roman, notons-le) et rejoint celle d'Ubik dans sa dessillante violence (Je suis vivant et vous êtes morts) : Nul homme n'est jamais libre, et le moins libre de tous les hommes est encore celui qui à tout prix veut briser ses chaînes, et ce ne sont pas les derniers mots, inquiétants, du roman qui pourraient nous laisser espérer quelque libération définitive.

Lien : http://www.juanasensio.com
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Avec Philip Kindred Dick, c'est tout ou rien. Soit j'adore, soit je déteste. Et à ce petit jeu-là ce ne sont pas ses chefs-d'oeuvres – selon les bibliophiles – qui sont mes préférés. J'ai trouvé Philip Kindred Dick excellent sur les formats courts (notamment sur les nouvelles) et trop souvent décevant sur les plus longs. Il est vrai que j'ai une certaine affinité avec les récits catastrophes et post-apocalyptiques, c'est pourquoi, j'ai été attiré vers « La vérité avant-dernière ».

L'idée de départ donne des frissons d'extases : Suite à une guerre nucléaire, les êtres humains se sont terrés dans des abris anti-atomiques. Ils occupent leurs temps à fabriquer des robots qu'ils envoient sur la surface de la Terre pour combattre dans une atmosphère chargée de radiation. Seulement voilà, un jour un des techniciens doit impérativement obtenir une greffe d'organe. le seul moyen de le récupérer est d'aller chercher un organe synthétique à la surface de la Terre.

Hé bien, avec un début aussi alléchant, je m'imaginais avoir entre mes mains un vrai coup de coeur. Sauf que… Philip Kindred Dick à tout gâcher. le potentiel du livre se résume à une intrigue politique où il est question de manipulation, de mensonges, de paranoïa, de machination,…

Si on passe outre une histoire qui tend vers le complot politique, l'atmosphère est typique Dick. On y trouve une avancée technologique où les robots vivent au service les humains. On se retrouve dans le futur, qui est désormais le passé pour nous. Un avenir technologique un peu gauche quand on pense à l'antique ordinateur à carte (ceci n'est qu'un exemple, d'ailleurs il n'existe pas dans le récit) qui côtoie des armes lasers. J'ai d'ailleurs souri quand l'auteur a parlé de cabines téléphoniques.

Bien que le récit soit court, il n'en reste pas moins complexe par sa thématique – sans divulguer l'intrigue, il est question de Seconde Guerre mondiale avec les nazis. Un livre que j'ai eu beaucoup de mal à lire. J'ai d'ailleurs passé rapidement les dernières pages. Les personnages sont peu ou pas intéressant.
Je suis bien évidemment dégoûté de ne pas avoir eu entre mes mains un roman à la Fallout (je parle du jeu vidéo). Au lieu de ça, c'est une intrigue politique qui a pris le dessus sur l'action. Dans un registre plus ou moins similaire, je conseille « Dr. Bloodmoney », plus accessible, plus intéressant, mais surtout cette touche de fantastique.
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Présentation :

Plus le mensonge est gros, plus les foules ont des chances de le gober. Le tout est d'avoir l'art et la manière de l'enrober de tous les apprêts du vrai. C'est la logique que suit Philip K. Dick dans "La vérité avant-dernière" pour montrer jusqu'où peut aller une oligarchie dictatoriale afin de conserver d'immenses privilèges et de maintenir les populations dans des situations à la gomme. Et c'est peu dire lorsqu'on apprend comment vivent depuis quinze ans des millions d'individus qui s'entassent dans des abris souterrains aux allures de fourmilières géantes. Ces prisonniers malgré eux pensent se protéger des gaz mortels et de la radioactivité qui ont envahi la surface de la planète en guerre. Mais on ne verra aucun être de chair et de sang se jeter dans la bataille pour la bonne raison que ce sont les confinés eux-mêmes qui fabriquent les robots guerriers chargés de se battre à leur place. Riche idée d'ailleurs que ces «solplombs», puisqu'en plus d'évacuer les problèmes d'états d'âme… les androïdes se montrent insensibles aux radiations et à d'autres abominations comme la fièvre gonflante et la contractivite, auxquelles un humain lambda s'exposerait immanquablement s'il s'aventurait au-dehors.

Un jour une grave maladie du pancréas emporte Maury Souza, le mécanicien-chef du Tom Mix, l'un des abris les plus vastes. Or sans lui, le quota de solplombs ne peut être atteint. Comme dans toute dystopie qui se respecte, un malheur n'arrive jamais seul et la disparition de Souza risque d'entraîner des représailles sur l'ensemble des habitants du refuge. Une petite étincelle d'optimisme va toutefois briller dans l'obscurité : la mort n'a rien d'irrémédiable et aussitôt l'arme passée à gauche, le super mécano se retrouve en hibernation. Tous les espoirs restent permis d'autant que Nicholas Saint-James, le président du Tom Mix, va, au péril de sa vie, chercher un grefforg, le pancréas artificiel censé refaire vivre Souza. À la surface, Saint-James va découvrir que la guerre a en réalité cessé depuis très longtemps. Il ne s'agit-là que de "la vérité avant-dernière", qui donne son titre au roman et que le lecteur découvre bien avant les occupants des abris, lesquels devront encore attendre pour qu'elle leur soit révélée. Vérité avant-dernière, qui elle-même cache la vérité ultime, à savoir que la Terre à présent libérée de toute radioactivité offre bien des potentialités.

Comme décidément l'être humain a un réel souci avec la vérité… la fin ouverte du roman nous invite à envisager diverses alternatives.

Mon analyse :

C'est toujours avec une sophistication emberlificotée que Philip K. Dick aborde des questions d'une simplicité biblique. Citation qui en dit long :

"Nous sommes, décida Adams, une race maudite. La Genèse a raison ; il y a sur nous un stigmate, une marque originelle. Car seule une race maudite, marquée d'une tache, peut utiliser ses découvertes comme nous le faisons."

L'humain qui a donc tout pour être heureux s'échine à vivre mal et à déployer tout un arsenal de mesures pour mettre le reste de l'humanité au diapason.
En l'occurrence tout tourne autour du thème de la désinformation ayant pour corollaire une manipulation à grande échelle.
Depuis leurs terriers post-apocalyptiques, les réfugiés gardent un lien avec l'extérieur grâce à des écrans géants où apparaît le Grand Protecteur, un certain Talbot Yancy, qui parle avec gravité de l'évolution du terrible conflit opposant la Dém-Ouest à la Pacif-Pop. Or il s'avère que son apparition n'est rien d'autre qu'un leurre. Cette image artificielle se borne à débiter les discours que les maîtres auto-proclamés de l'information ont savamment rédigés afin d'entretenir l'illusion.

Cependant, pour employer un terme politiquement correct, comment autant de gens ont-ils pu se laisser berner aussi longtemps en se montrant si "naïfs" ? Excellente question ! Le système a bien quelques failles puisque des anomalies ont filtré des écrans. Celles-ci auraient pu passer inaperçues mais elles ont alerté la vigilance de quelques uns. D'autres avant Nicholas Saint-James sont ainsi remontés des abris. Aléa que l'architecte de choc Louis Runcible a prévu avec la construction de cités-prisons, l'idée étant d'empêcher les fugitifs de retourner en bas pour prévenir les copains... Mais rebelote. C'est dehors désormais que ces pauvres bougres continuent de boulonner en fabriquant des pièces pour les solplombs… Infernale quadrature.

La Terre est donc devenue une sorte de terrain de jeux gigantesque que se partage une élite dirigeante, les Yancees. Chacun vit dans d'immenses villas avec des solplombs comme zélés serviteurs. Voilà comment le bien-être de quelques uns vaut bien le sacrifice du plus grand nombre...

Dans ce récit, l'humour désenchanté mais ravageur de Dick a encore frappé. Toute dictature a son maître du monde, incarné ici par Stanton Brose. L'individu pourrait sembler du dernier ridicule or il est dangereux. (Très) vieux, (très) gras, il roule plus qu'il ne marche et ne tient debout que grâce aux grefforgs qui ont progressivement remplacé ses vrais organes. Le seul vestige d'origine est son cerveau ; un cerveau hélas pétri de mégalomanie et de paranoïa.
Le propre du récit d'anticipation est de trouver une inquiétante résonance dans la réalité. Brose, métaphore vivante de la vanité, renvoie à tous ceux qui, même réduits aux dernières extrémités, se croient indispensables à l'agencement des choses. Les dictateurs finissent mal en général et ce cerveau retors voit clair dans le jeu de son entourage car en effet, ça complote dur dans le vaste dos de Brose.

Mais une menace plus grande encore plane sur cet équilibre pervers. Mieux vaut peut-être un ennemi qu'on connaît qu'un grand saut dans l'inconnu. De quoi peut se montrer capable l'énigmatique David Lantano, ce rédacteur hors classe qui possède une longueur d'avance sur tout le monde car il est capable d'agir sur le temps ? Mystère…


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Votre vie est incomplète, au sens où Rousseau l’entendait en parlant de l’homme né avec une certaine condition, venu à la lumière en étant libre, et maintenant partout soumis à des chaînes. De même en ce jour et en ce siècle, soulignait le discours, eux, les habitants des abris, étaient nés à la surface d’un monde, et cette surface avec son air, son soleil, ses montagnes, ses océans, ses fleuves, ses couleurs et ses textures, et ses odeurs mêmes, leur avait été dérobée, et ils s’étaient entassés sous une lumière artificielle, respirant de l’air recyclé, écoutant un fond musical obligatoire et travaillant toute la journée dans des ateliers pour fabriquer des solplombs destinés à… mais là, même Lantano ne pouvait pas aller plus loin. Il ne pouvait pas dire : destinés à des rôles que vous ignorez en réalité.
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Rien d'étonnant à ce qu'ils soient tous tremblants, à ce que leurs nuits soient mauvaises. Ils servaient un mauvais maître... et le savaient.
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Incipit

Le brouillard peut venir de l'extérieur et vous envahir. A la grande fenêtre de sa bibliothèque − assemblage géant de débris de béton qui, jadis, avaient formé une bretelle d'entrée de l'autoroute de la baie −, Joseph Adams contemplait songeusement le brouillard en question : celui du Pacifique. Et comme la nuit et les ténèbres tombaient sur le monde, ce brouillard lui faisait aussi peur que l'autre, celui de l'intérieur, qui n'avait nul besoin de l'envahir pour tourner et s'étirer en lui, en remplissant toutes les parties vides de son corps. D'habitude, ce brouillard-là porte le nom de solitude.
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-Colleen, un jour j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu un écureuil.
-Non, fit-elle en le dévisageant.
-La queue ; on ne peut pas s’y tromper. Elle est grosse et ronde, comme un goupillon. Et ils sautent comme ça. (Il faisait de la main un mouvement en forme d’arceau, essayant de lui montrer et de se le remémorer.) J’ai crié ; j’ai dit à quatre de mes solplombs d’aller voir. (Il eut un mouvement d’épaules). Mais ils sont revenus en disant : « Il n’y a aucune créature pareille dehors, seigneur », ou quelque chose de ce genre.
Il garda un instant le silence. Bien entendu, il s’était agi d’une hallucination hypnagogique, engendrée par le manque de sommeil et l’excès de boisson. Il le savait. Les solplombs aussi. Et maintenant Colleen le savait à son tour.
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Et pourtant, à cause d’une nuit d’enfer, vous êtes condamnés à un destin funeste; vous payez chaque jour le prix de la folie qui vous a chassés de la surface comme les fouets des furies avaient au commencement des temps chassé du jardin originel Adam et Eve. Et ce n’est pas juste. Mais un jour, je vous l’assure, cette aliénation de vos droits prendra fin. Cette diminution de votre réalité, cette privation de votre vie légitime, cette terrible et injuste calamité, sera abolie, avec la soudaineté du cataclysme déclenché par le son de la trompette ultime. Quand viendra le jour du changement…
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Vidéo de Philip K. Dick
Depuis Jules Verne, de Philip K. Dick au groupe Limite, la science-fiction n'a cessé d'évoluer jusque dans ses propres définitions. Ainsi, ses différentes déclinaisons se démarquent d'abord entre elles pour mieux se mêler ensuite. Quand le genre mille fois déclaré mort sort du cadre et rebat les cartes pour mieux se réinventer…
Avec : Serge Lehman, Olivier Paquet, Hervé de la Haye, Guilhem Modération : Caroline de Benedetti
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Test Voight-Kampff

Un collègue de travail vous apprend qu'il a malencontreusement écrasé un petit insecte. Quelle est votre réaction ?

Vous êtes infiniment triste
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Vous compatissez, mais au fond, vous vous en fichez un peu
Tant mieux ! Vous detestez ces petites bêtes

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Thème : Blade Runner (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?) de Philip K. DickCréer un quiz sur ce livre

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