Une lecture est une porte ouvrant souvent certains chemins de divers horizons, qui s'éparpillent entre détours, contours, bifurcations, raccourcis et plus direct telle à lisière d'un précipice, une chute se perdant dans l'abime de la lecture, comme le récit d'
Eugène Durif,
Lucia Joyce, folle fille de son père, où je me suis noyé dans des recherches salvatrices sur l'ombre de la vie du célèbre écrivain Irlandais
James Joyce, auteur d'
Ulysse et
Finnegans Wake,
Samuel Beckett était son grand amour, Lucia, danseuse étoile sublime de l'opéra de Paris aura sa lumière, sous les mots de
Carol Loeb Shloss,
Lucia Joyce : The Poignant and Dramatic Story of Joyce's Only Daughter, ce roman biographique n'a toujours pas encore eu de traduction en France, par contre celle plus romancée d'
Annabel Abbs dans sa biographie
La fille de Joyce, l'est ! Je m'aventure dans cette magie littéraire d'
Eugène Durif, Lucia Joyce danse de mots en mots sous sa plume poétique pour faire vivre son père à travers ce regard brillant, exaltant, fougueux et fou, ce roman résonne à la première personne, ce « je » catalysant l'appropriation du récit au lecteur, un écoulement communiant, nous liant à cette jeune femme héroïne oubliée, emprisonnée dans un asile psychiatrique pour Schizophrénie pendant plus de 45 ans de sa vie, abandonnée de tous, d'un père nobélisé et d'une carrière de danseuse étoile trop filante pour être oubliée.
Sous le prisme de Lucia Joyce,
Eugène Durif nous emporte dans la vie de la famille de
James Joyce, sous le regard affectueux de cette jeune fille aimant son père, à le vénérer au-delà de la raison, on découvre une Lucia Joyce d'une sensibilité attachante. L'ouvrage périlleux où s'aventure
Eugène Durif est un exercice de style déstabilisant, cette vie cachée de la fille de
James Joyce, oubliée pour beaucoup, ignorée pour d'autres, s'articule dans l'imaginaire dans son l'écriture, laissant vagabonder son esprit dans celui de Lucia qui se perd dans des méandres du sien, folle pour beaucoup, incomprise pour son père, des vagues successives se fracassent dans l'incompréhension de son entourage, dans l'agitation émotive d'une fille abandonnée par la grâce d'être reconnue comme une artiste, danseuse déchue par sa famille, amoureuse éconduite par
Samuel Beckett, la chair à fleur de peau,
Eugène Durif traverse cette agitation d'une grâce poétique et d'une émotion chorale.
De page en page, la folie s'agglomère de plus en plus dans le récit narratif de l'auteur, la pluralité des voix qui habitent la jeune Lucia dans la deuxième et troisième partie du livre, sont la chorale du refrain de la vie d'internement de Lucia, la psalmodie légère de cet emprisonnement chantonne des leitmotivs propres à une vie de recluse, sa pensée ricoche dans les murs de ces asiles,
Eugène Durif caresse du bout des lèvres, ce murmure intérieur planant dans l'esprit de Lucia, la rédaction d'un livre sur son père est présent, comme cette mélodie, You're the cream in my coffee, cette chanson est l'ombre de Lucia pour son père, ce roman est une obsession pour Lucia, une promesse, un lien qui la lie avec
James Joyce le romancier, l'auteur littéraire qui empoisonne tout son entourage, elle désire un roman ‘fait de toi, un roman pour toi », au titre protecteur « La vraie vie de
James Joyce », « parlera que de toi », Lucia se meurt du succès de
James Joyce, une jalousie se glisse dans sa chair, coupant dans sa jeunesse, les fils du téléphone, pour ne plus entendre les admirateurs de son papa, désirant avoir la primauté de cette gloire ! Son échec dans la danse, la lithographie pour les livres de son papa, Lucie s'enferme sur elle-même, son échappatoire de la danse la cloitre dans ce milieu familiale qui l'oppresse dans sa psychose, cette névrose d'un père écrivain qui attire toute la lumière sur lui, Lucia, cette petite fleur sensible désire être aimée, l'amour pour
Samuel Beckett est une attraction vitale pour Lucia, sa chair désire éprouver l'amour d'un corps, le trouble physique et émotionnelle de cette jeune femme sont cette oeuvre d'art d'une architecture fragile et complexe, proche du vertige sensoriel de la folie.
Eugène Durif, à la fin de son roman, dans la note de l'auteur, donne les différentes références qui lui ont permis d'imaginer cette belle histoire de Lucia Joyce, où l'émotion nous emporte vers des chimères perdues, beaucoup sont anglophiles, comme celle de
Brenda Maddox, Nora - La vérité sur les rapports de Nora et
James Joyce traduite par
Marianne Véron, celle-ci travailla aussi sur différents articles pour des revues littéraires spécialisées étasuniennes, sur Lucia, dont un intitulé « A Mania for Insects », publié pour le « Time Literary Supplement » en 2004, le titre est une référence au roman
Finnegans Wake, du jeu mot entre « insect » et « incest », et du texte que j'ai cherché à lire consacré à Chaplin « Charlie et les gosses » de Lucia. La force de cette lecture est la curiosité qu'elle éveille, l'émotion légère qui vient en vous pour troubler l'instant, cette sensation de vouloir découvrir cette femme qui se perd dans les pages de ce livre, qui, enfermée pendant presque toute sa vie, fût un fantôme venant errer dans mes nuits, habitant mes rêves, mes pensées, ces instants chronophages sur internet pour connaitre cette femme oubliée.
Eugène Durif nous emporte dans les errements de sa folie poétique et de la vie de cette Lucia Joyce comme une tresse, entremêlant par l'écriture la folie émotive de Lucia, un roman sensible qui happe les émotions.