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Jean-Paul Manganaro (Traducteur)
EAN : 9782020314688
436 pages
Seuil (03/10/1997)
4/5   10 notes
Résumé :
La recherche de la langue parfaite. Au cours des siècles où l'unité linguistique et politique du monde romain entre en crise et où commencent à résonner ces langues que l'Europe parle aujourd'hui encore, la culture européenne médite de nouveau l'épisode biblique de la confusion linguarum , et tente de guérir la blessure de la Tour de Babel en essayant de récupérer la Langue Adamique, ou de la reconstruire comme Langue Parfaite. Quelques-unes des personnalités les pl... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
D'abord inspiré par le mythe de Babel, on a cherché à retrouver la langue originelle : n'était-ce pas l'hébreu ? Et puis le Moyen Âge oublie son existence. Alors naît la Kabbale : par des combinatoires, on tente de retrouver le sens véritable du Pentateuque. Isidore de Séville invente des étymologies fantaisistes. Dante essaie ensuite de deviner quelle langue parlait Adam. Ramon Llull, depuis Majorque, tente par un nouvel art combinatoire de réunir les trois religions du livre. Nicolas de Cuse puis Guillaume Postel reprennent l'idée de l'art combinatoire, dans des versions non moins délirantes ; et toujours sans succès.

Au XVIIème siècle fleurissent les idées sur les langues, tout le monde donne son opinion : Hobbes, Locke, Leibniz, Spinoza, Vico, Descartes. Leibniz pense que la langue d'Adam est irrécupérable ; Descartes qu'il est illusoire de créer une langue universelle. Mersenne s'amuse à calculer combien d'énoncés vrai ou faux on pourrait créer avec un alphabet limité. le chiffre est très grand.

On fait alors des hypothèses nationales : aux "Pays-Bas", en Suède, en Bretagne (la petite et la Grande), en Irlande, en "Allemagne", on se persuade que la langue nationale est la première de toutes. On pense aussi à des langues magiques, comme les membres de la confrérire de la Rose-Croix. Un symbole permettrait de créer tous les énoncés énonçables sur le monde.

Malgré tout cela, Bacon y croit dur comme fer et suggère une thérapie des langues, pour les débarrasser de leur confusion. Il lance une tradition britannique de la recherche de la lanque universelle. Wilkins, Dalgarno, Lodwick rédige des taxinomies linguistiques qui confondent classification et définition. Elles restent inachevées. Comenius, de Bohème, propose la Panglossie. Leibniz applique les mathématiques et ouvre la voie vers le calcul binaire. Mais pas vers celle d'une langue parfaite.

Aux XVIIIème et XIX siècles, d'une part est fondée la philologie et d'autre part, les projets s'enchaînent, et de partout. On propose comme langage de signes la musique, le Solrésol, les nombres, le français (ben tiens), etc. Boole échoue encore mais crée sa logique en recherchant les lois de la pensée, Wittgenstein, Carnap et Russell souhaitent comme Bacon, un épurement de la langue.

Pendant ce temps, on tente de mettre au point des grammaires universelles : soit on compare les langues pour en extraire les principes ; soit on prend une langue et on cherche à l'épurer. C'est ce que propose la Grammaire de Port-Royal. Condillac, Condorcet, Jaucourt ne croient pas à une langue unique pour tout le monde.

Au XXème siècle, on met au point des langages informatiques, à la syntaxe sommaire, et s'appuyant sur des langues existantes (if...then...), mais du moins compréhensibles partout. On invente aussi des langues internationales auxiliaires : Volapük et Espéranto. le problème du Volapük est que sitôt diffusé, il perd en audience et crée sa propre concurrence. Celui de l'esperanto est qu'il ne tient aucun compte d'autres langues qu'européennes, ce qui réduit fortement ses prétentions "universelles" ou de "perfection". La différence étant qu'une langue parlée par tout le monde n'est pas forcément parfaite et inversement.

Pour finir, la vie est dure pour les inventeurs de langues universelles. Les langues qui s'exportent prennent une autre nature et deviennent différente de la langue d'importation (portugais du Brésil), les langues véhiculaires (anglais) sont contingentes à une situation économique et restent utilisées pour des besoins réduits (commerce). Il faudrait imposer par une institution politique une langue internationale. Cela serait pratiquement possible, surtout avec les moyens de communication moderne. Mais la tendance semble être à la reconnaissance des régionalismes et au droit de parler la langue que l'on souhaite, ce qui ne va pas du tout dans le même sens. Au final, il faut sans doute se faire une raison : on ne réduira pas le polylinguisme. Il vaut donc mieux s'en réjouir et s'en émerveiller ; quelle serait la capacité d'invention d'une langue, si elle était la seule au monde, si elle n'était pas en interaction avec d'autres langues ?
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À l'issue de cette lecture très enrichissante, très engageante, où l'érudition d'une histoire intellectuelle remontant au Moyen-Âge se rattache à pensée contemporaine, je me pose une question – à laquelle hélas Eco n'est plus là pour répondre – : quelles frustrations, quelles insuffisances les esprits les plus brillants de huit siècles de culture européenne ont-ils bien pu éprouver à l'égard de leurs langues (naturelles) et/ou de leur aptitude à en apprendre d'autres le cas échéant, pour qu'ils aient ressenti le besoin d'en rechercher ou d'en créer une de leur cru, ambitionnant la perfection à leurs yeux, mais objectivement incomparablement moins performante que celles qu'ils pratiquaient ? La croyance biblique que la multiplicité des langues était une punition divine suite à la Tour de Babel (Genèse 11) ? Même pas : Genèse 10, 5 donne de cette multiplicité une interprétation différente et non punitive. Un ressenti culpabilisant vis-à-vis du latin déclinant ou peut-être de l'hébreu insuffisamment maîtrisé ? Peut-être. Il me semble toutefois que la réponse se trouve ailleurs : même si Aristote semble avoir eu l'intuition de ce que Saussure appellera la nature arbitraire (donc conventionnelle) du signe linguistique, il a fallu huit siècles à la pensée européenne pour se départir de l'idée fantaisiste contenue dans le Cratyle de Platon que le mot comporterait une relation intrinsèque avec ce qu'il représente. La langue parfaite était donc soit la langue d'un Adam sommé de nommer tous les êtres vivants de la Création (Genèse 2, 19), soit une autre construction langagière jugée apte à restituer une telle relation intrinsèque entre signifiant et signifié, et enfin entre signe et pensée, fût-ce celle de l'intelligence artificielle... Histoire d'une utopie fondée sur une erreur conceptuelle, histoire d'échecs incessants parce qu'inévitables, des frustrations conséquentes, mais aussi histoire des « effets collatéraux » multiples et très fertiles pour toute la pensée – philosophique, logique, mathématique – occidentale, jusques et y compris l'invention par Leibniz de la numérotation binaire qui constitue la base de l'informatique.

Table (brièvement commentée) :
Chap. 1 : « D'Adam à la confusio linguarum », avec l'ambiguïté biblique et « un modèle sémiotique de langue naturelle »
Chap. 2 : « La pansémiotique kabbalistique », tradition combinatoire cosmique et « langue mère »
Chap. 3 : « La langue parfaite de Dante », Dante et la langue vulgaire illustre, sa grammaire universelle, Dante et Aboulafia
Chap. 4 : « L'Ars Magna de Raymond Lulle »
Chap. 5 : « L'hypothèse monogénétique et les langues mères » : à la Renaissance, le retour de l'hébreu, l'utopie universaliste de Postel ; puis la naissance et le développement des polygénétismes jusqu'au nationalisme ; enfin la dialectique entre les deux.
Chap. 6 : « Influences de la kabbale et de Lulle dans la culture moderne » : les langues parfaites sont des langues secrètes et leur combinatoire est aussi un système mnémotechnique. Giordano Bruno : combinatoire et mondes infinis.
Chap. 7 : « La langue parfaite des images » : le Hieroglyphica de Horapollon redécouvert et le nouvel engouement pour l'égyptologie par Athanase Kircher, qui a aussi une réflexion sur les idéogrammes chinois.
Chap. 8 : « La langue magique » de John Dee : encore sur la perfection et le secret.
Chap. 9 : « Les polygraphies » : premières tentatives de langues parfaites par l'organisation des contenus.
Chap. 10 : « Les langues philosophiques a priori » : Francis Bacon, Jan Comenius, Descartes et Mersenne, les « primitifs » et l'organisation des contenus.
Chap. 11 : « George Dalgarno ».
Chap. 12 : « John Wilkins » : les tables et la grammaire, le dictionnaire : synonymes, périphrases, métaphores, Wilkins précurseur de l'hypertexte.
Chap. 13 : « Francis Lodwick ».
Chap. 14 : « De Leibniz à l'Encyclopédie » : la « caractéristique » et le calcul, les « primitifs », l'alphabet de la pensée, la « pensée aveugle », le Yi-Jing et la numérotation binaire, la « bibliothèque » de Leibniz et l'Encyclopédie.
Chap. 15 : « Les langues philosophiques des Lumières à aujourd'hui » : des projets du XVIIIe s. à l'Intelligence Artificielle et aux messages envoyés dans l'espace : phantasmes de la langue parfaite.
Chap. 16 : « Les langues internationales auxiliaires » avec une attention particulière pour l'Espéranto, ses objections et contre-objections théoriques, ses possibilités et limites « politiques » et quant à sa capacité d'expression.
Chap. 17 : « Conclusions » : revalorisation de Babel, le problème de la traduction, et un excipit sur la lecture – extra-européenne et musulmane – d'Ibn Hazm (Xe-XIe s.) : la langue originaire contenait toutes les autres à venir.
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Et là, vous vous demandez ce qu'un bouquin pareil vient foutre sur un blog d'amateurs de fantasy. Car vous ne venez pas là pour prendre un cours de sémiologie mais pour avoir votre tranche d'évasion médiévale-fantastique. Et si je vous disais que j'ai commandé ce livre à cause de la fantasy, justement ? Je m'explique.

Je cogite beaucoup en ce moment sur les systèmes de magie des univers imaginaires. Ceux où les sortilèges sont en latin. Ceux où le sorcier incante en noir parler. Ceux où il faut connaître le Vrai Nom des choses pour les commander. La magie a un lien direct avec le langage. La magicien, c'est celui qui sait donner des ordres à l'univers en utilisant la haute langue. C'est généralement un idiome ancien, oublié des gens du commun. Sans doute un don des dieux que les hommes ont oublié par bêtise ou par malédiction. En fait, le magicien n'est pas tant un type qui s'y connait en boule de feu qu'un linguiste spécialisé dans une langue morte. La magie, ce n'est pas secouer une baguette mais connaître les déclinaisons, les verbes irréguliers et la grammaire du monde.

L'Histoire européenne est bourrée de types qui ont essayé de comprendre pourquoi l'humanité parle des langues différentes. le mythe de la tour de Babel est n'est que la partie émergée de l'iceberg chrétien. Quand dieu a dit "Que la lumière soit", dans quelle langue était-ce ? Quelle langue utilisait Adam pour draguer Ève ? Qu'ils soient persuadés que l'hébreu soit la mère de tous les langages ou qu'ils pensent que la permutation des consonnes de la Torah soit le plus sûr moyen de tutoyer dieu, ils veulent tous être des magiciens. Mais les plus intéressants, à mes yeux, sont les penseurs qui se sont donnés pour but dans la vie de créer des langues parfaites. Ce sont des hommes qui ont travaillé fort pour essayer de faire tenir le monde physique et le monde des idées dans un système linguistique créé de toutes pièces par eux. C'est passionnant. Ces bonhommes sont pour moi plus proches des sorciers qu'Albert le Grand.

Évidemment, c'est un ouvrage plutôt pointu. Je mentirai si je disais que j'ai compris toute la subtilité de l'approche kabbalistique du langage ou les détails très techniques dont Umberto Eco usent pour faire ses démonstrations. En gros, la moitié du livre m'était inaccessible soit parce que les citations en latin n'était pas traduites soit à cause des propos trop théoriques pour mon petit cerveau. Reste toutefois une grande masse d'informations sur l'histoire des idées. Ça reste étonnant de voir ces intellectuels de haut vol pondre des systèmes qu'ils pensaient parfaits et aptes à élever l'humanité vers quelque chose de plus beau. Des idéalistes. Des doux dingues. Des nationalistes. Des utopistes.

Il y a dans cette quête du langage parfait une résonance des archétypes de la magie fantasy, tout simplement parce que notre fantasy se nourrie souvent des mythes des religions du Livre. Les grimoires, les litanies apprises par coeur, l'importance des incantations... tout cela participe symboliquement à faire survivre la croyance d'une langue plus puissante que les autres et capable de déplacer les montagnes. Et quelque part, la sémiologie est une sorte d'étude de la magie du Verbe dont découle tout notre imaginaire de sword & sorcery.
Lien : http://hu-mu.blogspot.com/20..
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Avant la Babel déroutante des langues décrite dans la Genèse, l'humanité n'avait qu'une seule langue parfaite, originaire du jardin d'Eden,
c'est du moins ce que les théologiens et les philosophes ont cru depuis l'âge des ténèbres jusqu'à la Renaissance.
Ce livre très érudit exploite une mine de connaissances ésotériques alors qu'il enquête sur un chapitre négligé de l'histoire des idées.

Il commence par la proposition de Dante pour une langue vernaculaire universelle à la place du latin, et le système combinatoire de lettres et de symboles du frère catalan Raymond Lulle conçu pour explorer les connexions métaphysiques. Il examine ensuite la recherche kabbalistique de messages cachés dans les textes sacrés hébreux, l'écriture symbolique de la société rosicrucienne dans l'Allemagne du XVIIe siècle et l'invention par les penseurs français des Lumières de langages philosophiques organisés autour de catégories fondamentales de connaissances.
Il étudie également la recherche d'une langue primordiale supposée par Augustin être l'hébreu et par les chercheurs de langue maternelle ultérieurs être l'araméen ou diverses autres langues.

C'est ainsi que nous aimons Umberto,
un homme d'une érudition gaie, jamais pesante -
et toujours inventive.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
[Frédéric II] voulut faire une expérience pour savoir quels seraient la langue et l'idiome des enfants, à leur adolescence, sans qu'ils aient jamais pu parler avec qui que ce fût. C'est ainsi qu'il ordonna aux nourrices d'allaiter les enfants [...] avec la défense de leur parler. Il voulait en effet savoir s'ils parleraient la langue hébraïque, qui fut la première, ou bien la grecque, ou la latine, ou l'arabe ; ou s'ils parleraient toujours la langue des parents dont ils étaient nés. Mais il se donna de la peine sans résultat, parce que les enfants ou les nouveau-nés mouraient tous.

SALIMBENE DE PARME
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Il n'est pas vrai, comme on l'affirme dans certains département de philosophie des Etats-Unis, que pour philosopher il n'est pas nécessaire de reparcourir l'histoire de la philosophie. Ce serait comme si l'on disait que l'on peut devenir peintre sans avoir jamais vu un tableau de Raphaël, ou écrivain sans avoir jamais lu les classiques. Cela est théoriquement possible, mais l'artiste "primitif", condamné à l'ignorance du passé, est toujours reconnaissable comme tel, et à juste titre appelé "naïf".
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Une Europe de polyglottes n'est pas une Europe de personnes qui parlent couramment beaucoup de langues, mais, dans la meilleure des hypothèses, de personnes qui peuvent se rencontrer en parlant chacune sa propre langue et en comprenant celle de l'autre, mais qui, ne sachant pourtant pas parler celle-ci de façon courante, en la comprenant,m ême péniblement, comprendraient le "génie", l'univers culturel que chacun exprime en parlant la langue de ses ancêtres et de sa tradition.
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"Quand tous les hommes de la terre s'accorderaient aujourd'hui pour parler la même langue, bientôt, par le seul fait de l'usage, elle s'altérerait et se modifierait de mille manières différentes dans les divers pays, et donnerait naissance autant d'idiomes distincts, qui iraient toujours s'éloignant les uns des autres."

Destutt de Tracy.
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Ainsi, à l'article "Langage" de l'Encyclopédie, Jaucourt rappelait que, puisque les différentes langues naissent des génies différents des peuples, on peut affirmer décidément tout de suite, qu'il n'y en aura jamais d'universelle, puisqu'on ne pourra jamais conférer à toutes les nations les mêmes coutumes et les même sentiments, les mêmes idées de vertu et de vice, car ces idées procèdent de la différences des climats, de l'éducation, de la forme de leur gouvernement.
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