Ce petit ouvrage est une autobiographie mémorielle d'Erri de Luca (Non ora, non qui). Il s'agit de son premier livre. On y trouve quelques passages émouvants, qui ont sans doute comptés pour l'auteur qui a su nous transmettre cette émotion. L'intérêt se limitera là car il n'y a pas de développement particulier. L'écriture est faite de touches plutôt impressionnistes de ses souvenirs d'enfance. Quelques pages attachantes.
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Je dois à la franchise de dire avoir été déçue par ce livre d'autobiographie. Possible que je ne l'ai pas compris, mais il m'a plutôt ennuyée.
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Elle nous donna son congé parce qu'elle n'arrivait plus à faire face à son travail de la maison.
Je t'en parle, car jusqu'ici l'occasion ne s'était jamais présentée et ne se renouvellera plus. Nous avons vécu avec des personnes que nous aimions sans le savoir, que nous maltraitions sans nous en douter : un beau jour elles disparaissent et on n'en parle plus. Elles ont laissé une odeur d'eau de Javel dans notre main qu'elles ont serrée, une caresse rêche et maladroite, elles ont lavé nos sols en chantant avec une gaieté que nous n'avons jamais ressentie. Telle fut leur vie irréductible que nous avons ignorée tant qu'elle fut parmi nous et dont aujourd'hui nous prenons conscience seulement parce que nous l'avons perdue. Je t'en parle, maman, car il en sera de même entre nous.
Seul entre tous les enfants je réussis une fois à être regardé. Je jouais avec les pierres en cherchant en elles le point de repos qui permet l'équilibre instable. Je réunis sais ces points, j'élevais les cailloux l'un sur l'autre. Alors que j'étais penché sur ce jeu fragile dans un coin du petit jardin, elle arriva. Je levai la tête et sous la mèche lisse de son front ses yeux brillèrent. Je les vis d'en bas, là où j'étais accroupi : contre le ciel sa tête blonde me regardait de ses deux fentes vides. Il me sembla que son visage avait deux trous à travers lesquels on pouvait voir le ciel. Moi je le voyais. A travers les miens peut-être voyait-elle la terre.
L'étonnement nous figea, puis elle rit, puis les pierres tombèrent, puis sa mère l'appela d'un nom suave que je ne veux pas me rappeler. Jamais elle ne revint.
Aujourd'hui les Américains habitent dans des quartiers qui leur sont réservés. Aucun enfant venu d'une ruelle n'habite plus près d'une petite Américaine blonde, ni ne rougit sur son passage, ni ne l'admire.
C’était justement le faible enthousiasme de ce mariage qui me rassurait, la faible ardeur de sa décision. J’ai eu peur de l’ équilibre instable sur lequel reposent les sentiments forts, les yeux fiévreux qui enveloppent la personne aimée puis la dépouillent.
...
Pour moi c’était une femme que de nombreuses légèretés faites ou subies avaient rendue experte, mais pas désenchantée. Je n'étais pas pour elle l’eau de vaisselle d’un rêve qui avait mal tourné, mais plutôt les gestes lents d’un réveil. Je représentais pour elle la réalité qui est parfois la découverte du banal sous un jour meilleur. Elle s’y sentait prête.
Par tempérament et non par conviction, j'étais hostile à la méthode qui nous incitait à rivaliser entre nous.
J'ai vu des femmes tomber dans l'âge suivant comme on rate une marche, par mauvais calcul, pour avoir voulu retenir trop longtemps le précédent.
Rencontre animée par Olivia Gesbert
De la bibliothèque paternelle à l'ombre de laquelle il a grandi jusqu'aux chantiers où il a été ouvrier, Erri de Luca a noué avec la lecture, puis avec l'écriture un rapport particulier pour bâtir une oeuvre double, celle d'une fiction romanesque aux forts accents autobiographiques et celle d'une réflexion sur l'Écriture. Depuis trente ans, c'est une oeuvre foisonnante et protéiforme qu'il bâtit, caractérisée par un style limpide, poétique, épuré. Ponctués de pensées, de métaphores, d'aphorismes, ses récits endossent souvent la forme d'une fable, d'une parabole empreinte d'une touche de merveilleux, dans une langue unique.
Pour cette édition Quarto, ont été retenus une dizaine de textes publiés auxquels s'adjoignent cinq textes inédits, qui portent en eux la puissance de l'écriture d'Erri de Luca dans des genres littéraires variés, sa réflexion sur l'appartenance et l'identité, le poids du passé et l'importance de l'histoire, sur la fragilité et l'importance des relations humaines.
« Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie. »
Trois chevaux, Erri de Luca
À lire – Erri de Luca, Itinéraires, Gallimard, coll. « Quarto », 2023.
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