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Contribution inspirée d'une conférence prononcée par Tausk en 1915, reprise et enrichie des considérations d'Abraham, enfin publiée en 1917 par Freud. On suivra le raisonnement qui nous permet de croire que la mélancolie n'a pas rien à voir avec le deuil. Alors que le deuil est un phénomène naturel lié à la perte d'un objet (humain, idée, matériel), la mélancolie est un processus de deuil pathogène car lié à la perte d'un objet qu'il est impossible d'identifier. On pourrait dire qu'elle se manifeste comme deuil sans mort. Ce n'est pas étranger aux propos que tenait Kierkegaard lorsqu'il parlait de la perte originelle dont il se sentait la victime, et qui justifiait son indéfectible mélancolie. Sigmund Freud n'en reste pas là et il essaie d'identifier la nature de cet objet mystérieux, perdu, pas identifié, malheureux. Il reste surtout étonné de ne rencontrer que des mélancoliques masochistes qui étalent avec une certaine complaisance leur haine et leur dégoût d'eux-mêmes. Après un peu de réflexion, Freud remarque que leurs reproches contre eux-mêmes pourraient aussi très bien, sinon mieux, s'appliquer aux êtres qui leur sont les plus proches, qu'ils aiment et haïssent à la fois. le comportement pathologique serait une manière déguisée de faire éclater sa violence aux yeux du proche entourage : « […] Les malades, habituellement, parviennent encore, par le détour de l'auto-punition, à exercer leur vengeance sur les objets originels et à tourmenter ceux qui leur sont chers par l'intermédiaire de l'état de maladie, après qu'ils se sont livrés à la maladie, afin de ne pas être obligés de leur manifester directement leur hostilité. » C'est aussi une manière de ne jamais résoudre l'ambivalence des sentiments. On préfère retourner l'agressivité contre soi-même pour se dissimuler ce constat glaçant : j'ai mal choisi l'objet de mon amour. Et alors ? Dans ce cas, il suffirait de s'en détourner. Mais le mélancolique ne le peut pas car il a choisi narcissiquement son objet d'amour. Ainsi, s'il le répudiait à présent, il aurait l'impression de se renier lui-même, ce qu'il ne supporterait pas. Sigmund Freud est bien conscient du caractère spéculatif de cet essai. Il le souligne dans sa conclusion. Il n'empêche, il fournit des pistes de réflexion stimulantes. Bonus : ça se lit vite et facilement. + Lire la suite |
Pourquoi tant d'écrivains mélancoliques se sont-ils suicidés, alors qu'ils étaient déjà célèbres et en train d'écrire leurs oeuvres les plus prometteuses ? Franz Kaltenbeck montre comment l'écriture est devenue mortelle en elle-même pour des auteurs comme Kleist, Stifter, Nerval, Celan, Foster Wallace.
Alors que l'écriture d'une oeuvre peut soutenir son auteur jusqu'à lui éviter la folie, comme on le voit chez Joyce et d'autres artistes, certains, au contraire, en meurent. C'est à résoudre cette contradiction, qui a dans chaque cas des coordonnées singulières, que s'attache Franz Kaltenbeck en lisant des écrivains mélancoliques célèbres du xixe au xxie siècle. Il les considère comme des puits de savoir sur leur mélancolie, longuement décrite à travers leurs fictions. Il s'appuie sur sa solide connaissance de Freud, dont il tire des arguments nouveaux grâce à Kafka. On comprend, à le suivre, que ce qui a d'abord résisté à la mélancolie chez ces auteurs a subi par la suite une défaite mortelle. L'écrivain américain David Foster Wallace met particulièrement ce phénomène en évidence : il dit qu'une catastrophe, qu'il identifie de loin sans pouvoir la maîtriser – la transformer – par l'écriture, l'attend au tournant comme un cyclone. À l'instar de Kleist, Stifter, Celan, Nerval avant lui, il s'est suicidé au sommet de son art.