Guilly Christophe – "
No society : la fin de la classe moyenne occidentale" – Flammarion / Champs-actuel, 2019 (978-2-0814-5180-3)
– réédition en format poche de l'ouvrage publié en 2018, augmentée d'"avant-propos" (pp. I à X) inédit consacré au mouvement dit "des gilets jaunes".
Cet auteur avait publié en 2014 un ouvrage intitulé "
La France périphérique" (cf recension) qui avançait et démontrait une thèse à l'époque très novatrice, à savoir l'existence d'une population regroupée dans des territoires désignés par le terme à connotation essentiellement géographique "France périphérique".
Dans les analyses de Guilly, ce concept désigne grosso modo tous les territoires n'appartenant pas à une des grandes zones urbanisées du territoire français, instituées depuis en collectivité territoriale sous le terme de "métropole", une réforme glissée sournoisement et fort discrètement dans celle – ubuesque ou kafkaïenne – de la refonte des régions, qui servit de paravent alimentant les débats médiatiques.
"
La France périphérique" est un ouvrage de type documentaire, le propos s'appuie sur de nombreuses analyses, études, statistiques et enquêtes ; son succès public fut accompagné de violentes "dénonciations" émanant de la "gauche bien pensante", celle des certitudes et des anathèmes, toujours promptes à dénoncer tout ce qui n'entre pas dans le moule dit "progressiste" qu'elles et ils définissent du haut de leurs certitudes et préjugés.
Par la suite, en 2016, Guilly a publié "
Le crépuscule de la France d'en haut" que je n'ai pas encore lu, mais qui fit également l'objet d'attaques virulentes de la part de la nomenklatura s'autoproclamant "progressiste".
Le présent ouvrage est un pamphlet : las des attaques subies, l'auteur tente de répondre à ses détracteurs.
Malheureusement, il le fait souvent à l'emporte-pièce, sur un ton polémique, et sans appuyer suffisamment ses assertions sur des données précises et attestées. Il a même tendance à brasser un peu tout avec n'importe quoi, parsemant par exemple fréquemment son propos – centré sur la situation en France – d'allusions à la situation aux États-Unis ou en Angleterre ou dans de nombreux autres pays, allusions qui ne sont pas vraiment utiles à la démonstration voire la fragilise.
Ceci étant, son mérite consiste à dénoncer la "bunkerisation" de la classe dominante dans des centres hyper-urbanisés, tout en se prétendant "ouverte sur le monde" car fréquentant ses semblables tout aussi standardisés de par le monde, tout en méprisant sa population d'origine, jugée "blanche", attardée, rétrograde, passéiste, raciste et donc "fasciste".
Sur ce point, l'auteur n'a qu'à enfoncer des portes ouvertes, tant le mépris et l'arrogance caractérisent aujourd'hui la gouvernance d'un Macron. Et encore, l'ouvrage fut publié avant la crise sanitaire déclenchée par l'épidémie du coronavirus (COVID), qui est et restera dans les annales comme un modèle archétypal de gestion infantilisante, dé-responsabilisante, exercée par le biais de "commissions de spécialistes" créées sans aucune consultation des instances idoines : la comédie menée autour du port du masque lors du premier confinement, suivie de la fermeture des librairies et petits commerces jugés "non essentiels" et plus dangereux que les hypermarchés (!!!) lors du second confinement témoignent (s'il en était encore besoin) du mépris abyssal de cette caste de technocrates hors sol pour les "petits" et autres premiers de corvée. Pire encore, le Macron s'entoure ni plus ni moins que d'un "conseil de défense" composé de spécialistes auto-proclamés dépourvus de la moindre légitimité démocratique...
La première partie de l'ouvrage est résumée par son titre : "sur les ruines de la classe moyenne, le monde des périphéries a émergé". L'auteur y retrace la destruction systématique de la classe moyenne, dans les pays industrialisés et surtout en France, durant les quatre dernières décennies.
La désindustrialisation fut alors menée tambour battant par nos énarques bureaucrates, persuadés qu'elles et ils allaient "tertiariser" (cf p. 48) notre économie. J'ai moi-même entendu ces âneries à cette époque, proférées par de savants "professeurs" et "spécialistes", se résumant à une formule lapidaire : les pays du
Tiers-Monde (dont la Chine) produiraient les biens industriels, tandis que nos grands esprits bureaucratiques géreraient tout ça. Une assertion qui trahissait un mépris abyssal pour les "sous-développés" et révélait une cécité caractéristique de cette nomenklatura confinée dans ses précieux dossiers, ne se déplaçant que d'aéroport en aéroport (comme un
Attali) en se proclamant ainsi les champions de "l'ouverture sur le monde" !
L'auteur devrait appuyer ses propos sur des références beaucoup plus nombreuses, car les études ne manquent pas. Il fait par exemple allusion à la liquidation du bassin sidérurgique lorrain dans les années 1960 (j'y étais, j'ai vu et vécu ce désastre de mes propres yeux d'enfant), ainsi que celle du bassin minier du Nord, laquelle région avait juste auparavant connu le massacre de son industrie textile. Ces exemples mériteraient d'être approfondis.
A plusieurs reprises, dans le texte, l'auteur fait des allusions au soutien massif dont nos bureaucrates destructeurs bénéficièrent de la part du monde universitaire et médiatique : malheureusement, il ne fait à chaque fois qu'effleurer le sujet, sans approfondir ni fournir de références complémentaires.
C'est bien dommage, car c'est là un point essentiel, comme le montre le paragraphe (page 50) dont toutes les phrases commencent par "à la marge" car "depuis les années 1980, la crise de l'industrie et la relégation de certains territoires et de certaines catégories sociales sont habilement présentées comme une crise des marges".
Il oublie de citer le cas bien particulier de ces capitaines d'industrie qui naufragèrent sciemment les fleurons de l'industrie française créée par le gaullisme : l'histoire d'Alcatel fournit un exemple archétypal des agissements criminels de ces sinistres sbires. Ces dernières années, que ce soit en tant que ministre de l'économie ou que Président de la République, le Macron a de près ou de loin validé la vente d'Alstom-énergie à General Electric, d'Alcatel-Lucent à Nokia, de Technip à FMC-Technologies (ces "coïncidences" ont amené le député
Olivier Marleix a demandé l'ouverture d'une enquête du PNF visant à vérifier si ces larges faveurs ne correspondraient pas – par le plus grand hasard – aux largesses et "dons" ayant permis le financement de la faramineuse campagne dudit Macron), sans oublier l'accord avec le Mercosur accentuant encore l'étranglement de l'agriculture européenne au mépris de toute précaution environnementale et sanitaire.
Il serait préférable de se concentrer sur des exemples précis plutôt que de piocher ça et là des exemples pris dans l'un ou l'autre pays, comme l'auteur le fait par exemple dans le sous chapitre "le processus de disparition de l'ancienne classe moyenne est engagé" (pp. 62-66), dans lequel on voit défiler des allusions à l'Allemagne, la Grèce, les USA, le Royaume-Uni et l'Espagne.
Le paragraphe consacré à la proche spoliation des retraités (pp. 66-70) relève lui aussi (pour l'instant) du pamphlet, mais seule l'épidémie du COVID parvint à arrêter – temporairement – la destruction pure et simple des caisses de retraite prévue par Macron et ses sbires, au nom d'une "justice" fallacieuse (sous le slogan "un euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous", l'une de ces lapalissades délibérément mise au point pour enfumer de larges catégories de gens, qui devront ensuite investir du temps pour comprendre comment ils se font gruger).
Le troisième sous-chapitre de la première partie (pp. 77-95) intitulé "qui veut être un déplorable ?" est l'un des plus intéressants, mais il est hélas tout aussi peu documenté. L'auteur y esquisse une réflexion sur la véritable mise à mort culturelle, sociale et politique dont la classe ouvrière et plus largement les catégories populaires d'origine européenne furent l'objet depuis les années 1980.
Son propos est hélas mal argumenté, et il ne cite pas les études approfondies déjà consacrées à ce thème : depuis les sketchs de
Coluche et ses "histoires d'un mec", la nomenklatura bobo n'a cessé de salir et insulter cette catégorie de population (le "petit bllanc" obtu, macho, patriarcal, judéo-chrétien etc etc). L'auteur devrait par exemple citer les articles d'un mépris effarant publiés dans le journal "Le Monde" lorsqu'il s'agissait de rendre compte du mouvement de la "Manif pour tous"... sans oublier ceux concernant l'électorat du Front National, régulièrement réduit dans ces mêmes colonnes à une cohorte de sombres abrutis bas de plafond.
C'est là d'ailleurs une autre grande faiblesse de ce pamphlet : l'auteur n'aborde pas du tout la relégation culturelle portant sur les "évolutions de société" si tant plein "progressistes" imposées sans la moindre consultation populaire par la gauche caviar (abolition de la peine de mort, mariage dit "pour tous", adhésion à l'Europe, légalisation des drogues dites "douces", sans oublier la PMA et GPA à venir, accompagnés des manipulations et de la vente des embryons humains – déjà pratiqués).
Il n'aborde pas non plus la destruction systématique de la famille élargie (années 1960), réduite aux seuls parents pour devenir "monoparentale", puis la véritable chasse au mâle blanc dorénavant ouverte à tout vent via les réseaux dits "sociaux" (délation pétainiste généralisée avec "#metoo", harcèlement, destruction sociale de l'individu visée par la "cancel culture" etc). Il oublie d'évoquer la participation active de l'appareil judiciaire à ces lynchages médiatiques organisés.
Il ne fait qu'une rapide allusion à l'action de "la gauche" mitterandienne, celle qui détruisit le Parti Communiste (identifié comme le parti de la classe ouvrière, ce qui était certes très abusif) en privilégiant délibérément l'appel à toutes les "minorités" se proclamant victimisées (à commencer par "les jeunes" et "les femmes", "les minorités sexuelles", "les minorités ethiques" etc etc, notions attrape-tout s'il en est, pp. 88-90).
Cette brillante idée leur venait de leur pays idôlatré, les Etats-Unis (cf John Judis & Ruy Texeiras "the emerging democratic majority" publié en 2002).
La deuxième partie est centrée sur deux thèmes : la nouvelle caste des hyper-riches est délibérément "asociale" (p. 103-104) et se fiche éperdument des sociétés qu'elle vampirise (ce qui n'est guère contestable, mais aurait mérité de plus amples développements), car elle entérine l'abandon de la notion même de bien commun. Là encore, l'auteur devrait citer quelques études comme celle de
François Flahaut "
Où est passé le bien commun ?" (Fayard, 2011).
Lorsqu'il tente d'expliquer la "victoire" d'un Macron (p. 110) en citant les statistiques de votes supposés par catégories sociales, il oublie de mentionner d'emblée ce qui pourtant constitue une caractéristique essentielle, à savoir l'abstention massive qui augmente dorénavant inexorablement de scrutin en scrutin, témoignant du peu de foi accordé au système démocratique représentatif par des franges de plus en plus nombreuses de l'électorat.
Les deux paragraphes suivants s'intitulent "de l'antifascisme d'opérette au 'c'est plus compliqué que ça" (pp. 114-127) puis "la fuite de Varennes ou les nouvelles cités-Etats" (pp. 127-135). Là encore, il eut été judicieux d'approfondir les exemples concrets (qui finance "Terra Nova" ? avec quels effets ? p. 120) et surtout, pour ce qui concerne la "ghettoïsation par le haut des sociétés occidentales" (p. 127) dans des métropoles réservées, des "cités-états" (p. 132), l'exemple – certes probant – de la Catalogne ne suffit pas.
Le chapitre sur "l'abandon du bien commun" (p. 137-158) est beaucoup trop lacunaire (cf ci-dessus), et l'exemple suédois s'avère là encore fort insuffisant.
La fin de l'ouvrage (pp. 159-240) semble curieusement optimiste : croire que les classes populaires disposent encore de la faculté d'effrayer la caste des hyper-riches au point de les amener à "réintégrer la communauté nationale" (p. 229) ne semble guère crédible...
Dans la liste des points fondamentaux oubliés ici par
Christophe Guilluy figure une omission de taille : lorsqu'il évoque l'électorat ayant contribué à la victoire d'un Macron (p.110), il met en relief le vote des fonctionnaires et des retraités (celles et ceux qui auront le plus à perdre des "réformes" destructives macroniennes).
Ce faisant, il oublie cette caste très particulière réunissant les cadres de haut niveau de formation, qui acceptent de vivre dans des conditions de vie dégradantes d'hyper-urbanisme, de travailler sans mesure ni limite dans des conditions pitoyables pour espérer monter en grade en écrasant leurs collègues, de sacrifier leur vie personnelle à leur si précieuse carrière. Ce sont elles et eux qui auraient "spontanément" financé par leurs "dons" massifs la campagne du Macron (cf le rapport de la Cour des comptes), alors qu'elles et ils se font littéralement broyer lors de "restructurations" sans fin : leur style de vie est magistralement rendu dans le roman de Vincent message intitulé "Cora dans la spirale" Seuil/Points, 2019 (à lire absolument). Cette caste des valets en livrée dorée n'est pas étudiée dans l'ouvrage, peut-être faut-il se référer à l'ouvrage du même auteur publié en 2016 "
Le crépuscule de la France d'en haut" (à vérifier).
Pour donner une idée du style employé, voici deux paragraphes bien sentis :
"Dans tous les pays occidentaux, la vision irénique d'un multiculturalisme à 5.000 ou 10.000 euros par mois a pris le pas sur la réalité du multiculturalisme à 1.000 euros par mois" (p. 150)
"Si les élites mondialisées participent partout à la même captation des richesses et au même abandon du bien commun, dans aucun pays on ne croise des classes dominantes qui se sont autant dépouillées de leur histoire, de leur culture, de leur cadre national. Jamais une classe médiatique, politique et universitaire n'a autant dénigré, ostracisé, insulté son propre peuple duquel elle se retrouve isolée." (p. 178)
Pour conclure : c'est là un pamphlet, qui brasse beaucoup de sujets dont l'auteur n'est pas forcément spécialiste de sorte qu'il les effleure. En tant que géographe, je pense que Christophe Guilly devrait approfondir sa réflexion sur cette "métropolisation" des castes dirigeantes et ce rejet géographique de la "France périphérique".
Ses compétences dans ces domaines lui permettent de produire des ouvrages argumentés, ce qui plus intéressant qu'un pamphlet.