Vienna is Different

" VIENNE EST DIFFÉRENT "
Sous-titre : " Auteurs Juifs en Autriche du fin de siècle au présent "

Hillary Hope Herzog, professeur à l'université de Kentucky aux États-Unis de littérature allemande, est une autorité en matière de la littérature provenant d'auteurs autrichiens, d'origine juive. Certains noms nous sont bien familiers, à commencer par le grand Stefan Zweig, un Joseph Roth, Arthur Schnitzler, Hugo Bettauer, Robert Menasse, le Nobel Elias Canetti (1981) et la Nobel Elfriede Jelinek (2004), mais l'auteure en liste 14 de plus, auxquels elle consacre au moins un chapitre !

Comme information et repère pour les lectrices et lecteurs, je reprends la liste des 21 écrivaines et écrivains de l'auteure, et dans l'ordre établi par elle (qui est largement chronologique), en mentionnant seulement si plus d'un seul chapitre lui est dédié et, le cas échéant, la chronique que j'ai faite de leur oeuvre, avec la date entre parenthèses.

01) Arthur Schnitzler : 2 chapitres
02) Adolf Dessauer
03) Felix Salten
04) Stefan Zweig : 2 chapitres. Chroniques de Laurent Seksik : Les derniers jours de Stefan Zweig (28-04-2017) et le monde d'hier (17-07-2017)
05) Hugo von Hofmannsthal
06) Karl Kraus
07) Theodor Herzl : Chronique de L'État des Juifs (11-12-2017)
08) Richard Beer-Hofmann
09) Joseph Roth : Chroniques de Juifs en errance (10-06-2017) et La fuite sans fin (02-01-2018)
10) Hugo Bettauer : Chroniques de le tueur de femmes (24-09-2017) et Sans freins (14-04-2018)
11) Elias Canetti
12) Veza Canetti
13) Ilse Aichinger
14) Friedrich Torberg
15) Hilde Spiel
16) Ruth Beckermann
17) Robert Schindel
18) Doron Rabinovici
19) Robert Menasse
20) Eva Menasse
21) Elfriede Jelinek

Les livres de ces auteurs que je peux recommander sont : d'Arthur Schnitzler "Le chemin solitaire" et "Vienne au crépuscule" ; d'Elias Canetti "Le coeur secret de l'horloge : Réflexions" et "Le territoire de l'homme" ; de son épouse Veza Canetti (née Venetiana Taubner) "Les Tortues" ; de Friedrich Torberg "L'Elève Gerber" ; d'Eva Menasse "Vienna" et d'Elfriede Jelinek "La Pianiste".

L'auteure explique, dans une introduction fort intéressante, que son titre du livre vient d'une campagne publicitaire du bureau de tourisme de la ville de Vienne des années 1990 "Wien ist anders" - "Vienne est différent". Un slogan qui fut plus tard modifié en "Wien bleibt Wien" ou "Vienne reste Vienne".

Hillary Hope Herzog distingue dans son ouvrage 4 grandes périodes, à savoir : la fin du XIXe siècle (jusqu'en 1914) ; l'entre 2 guerres ; les Juifs et la seconde république (à partir de 1945) et les Juifs de Vienne depuis l'élection de Kurt Waldheim comme président (1986) à Haider et au-delà. L'ouvrage date de 2011, mais l'exemplaire que j'ai en mains est une version augmentée et révisée de 2013, avec une abondante bibliographie et un registre très utile en fin de volume. Il compte 289 pages.

C'est évidemment la première partie qui est la plus développée. Elle y trace l'arrivée de nombreux Juifs à Vienne après l'accord entre l'Autriche et la Hongrie de 1867 et sa coïncidence avec leur émancipation civile, politique et religieuse. La suppression des restrictions de résidence, qui dataient du moyen-âge, ont eu un effet considérable sur la migration des Juifs vers Vienne. D'à peine 1% de la population viennoise en 1857, ils passent à 13% en 1910, faisant de la communauté juive de Vienne la 3e plus importante du monde.

Cette émancipation a été accompagnée de l'assimilation d'un grand nombre de Juifs et même de la conversion religieuse d'un certain % parmi eux, ce qui ne veut nullement dire qu'avec cette intégration tous leurs problèmes furent résolus. Il suffit de lire de l"L'État des Juifs" du journaliste Theodor Herzl de 1896, pour se rendre compte des inégalités de traitement et des tensions entre les 2 communautés.

Ces tensions historiques sont importantes même dans les oeuvres d'écrivains juifs contemporains. Sans vouloir reprendre l'histoire de l'annexion de l'Autriche par le Reich, ni de la shoah, je crois qu'il est utile de mentionner l'affaire Waldheim. En 1986, Kurt Waldheim (1918-2007) est élu président de la république, or il se trouve que pendant la guerre il a été officier de renseignements dans l'armée allemande en Grèce, au Monténégro et en Macédoine. Sans qu'il ait entrepris des actions contre la population locale personnellement, il est sûr qu'il était de par sa fonction au courant des exactions nazies, sans qu'il ait pris position pour autant. L'affaire Waldheim a signifié pour les Autrichiens un examen de conscience, qui s'est reflété dans la littérature.

Plus récemment, il y a eu la controverse Haider. Jörg Haider (1950-2008) est devenu président du parti d'extrême droite, pangermaniste, FPÖ et a réussi à créer un climat malsain plein de tensions par son programme politique et boutades. de la Nobel, Elfriede Jellinek, par exemple, il a affirmé que son oeuvre littéraire est celle d'une "dégénérée".
L'année dernière eurent lieu les élections législatives qui ont été remportées par le Parti populaire (ÖVP) du jeune Sebastian Kurz, 31 ans, qui a formé un gouvernement de coalition avec le FPÖ, en décembre dernier. Bien qu'il soit un peu tôt d'avancer des jugements, mettons que la présence du dernier parti cité au pouvoir ne promet rien de bon.

Personnellement, je considère l'ouvrage d'Hillary Hope Herzog un outil fort utile pour mieux interpréter et comprendre les oeuvres littéraires des écrivain(e)s d'origine juive de Vienne.
J'avais trimbalé ce bouquin avec moi, dimanche dernier à mon club de lecteurs d'Ostende, et plusieurs de mes amis m'ont demandé de le leur prêter. Ce qui prouve qu'il s'agit d'une oeuvre de référence excellente, mais qui risque de voyager pas mal les mois à venir !