Quand il attendait aux premiers rangs, dans une évidence trop manifeste,
Louis-Ferdinand Céline,
Paul Léautaud ou
Thomas Bernhard, certes pris en compte ici, le lecteur apprend davantage (dans le désordre alphabétique) de
Louis Aragon,
Aristote,
Antonin Artaud,
Georges Bataille,
Charles Baudelaire,
Cicéron,
Pierre Drieu La Rochelle,
Gustave Flaubert,
Jean Genet,
Victor Hugo,
Henri Michaux,
Richard Millet,
Friedrich Nietzsche,
Paul Nizan, Ambroise Paré,
Charles Péguy,
Arthur Rimbaud,
Jean-Paul Sartre,
Germaine Tillion,
Jules Vallès,
Théophile de Viau,
Michel Vinaver, et de beaucoup d'autres, plus ou moins évoqués ou cités dans cette passionnante promenade traversant de multiples époques et espaces linguistiques ou géographiques.
Ce recueil d'études consacré à ce dont
Jean Genet, qui savait de quoi il parlait, fait l'éloge, «l'extraordinaire pouvoir de la colère», s'ouvre sur un brillant avant-propos de
Jean-Pierre Martin dont on apprécie la vivacité quasi primesautière du style, postulant que la colère des écrivains qui n'ont pas «mis le couvercle sur la bouilloire» (portraits de Michaux et Nizan en «colériques congénitaux») leur vient de l'enfance et qu'il s'agit peut-être là de l'enfance de la littérature, même si l'on se réjouit plus loin de la souriante remarque de
Jean-François Louette: «Les jeunes gens en colère ? Allons donc : voyez plutôt du côté des vieillards.»
Jamais les contributions de ce livre qui se lit avec un plaisir passionné – pour qui se passionne pour la littérature, s'entend, et même si peu féru de philosophie – ne s'enlisent dans quelque jargonneux délire d'analyse ou de didactisme «universitaire» quand elles se trouvent toutes signées d'enseignants des plus solides facultés. Au contraire, elles fournissent une foultitude d'informations et d'observations clairement énoncées et souvent mal connues, qui ne laissent d'intéresser, voire d'étonner.
Érudition n'est pas ennui. Cependant, presque toujours employée péjorativement, l'épithète universitaire «suscite aujourd'hui une réaction d'inappétence» reconnaît, un rien autocritique,
Claude Burgelin, lequel enseigna la littérature française à Lyon 2, dans le texte qui ferme judicieusement ce volume; ici défendus et illustrés, même si égratignés, ses pairs savent aussi – dont acte – écrire mieux, beaucoup mieux et captivant (reprenons ses mots) qu'une prose de second rang, pesante, empesée, raide, une langue de bois marquée par la lourdeur et le verbiage, sans inattendu, ni… colère.
À l'opposé de la mélancolie romantique, la colère littéraire («furor poeticus» des anciens, «pensée poétique de la colère» de Artaud, de Michaux) concentre – citons à nouveau
Genet, ce «grand furieux» (
Martine Boyer-Weinmann) –, un «extraordinaire pouvoir de création verbale» puisque «l'écriture doit être capable de faire hurler le papier» (
Jacques Neefs). Colère qu'il faut certes savoir, avec
Aristote, distinguer de l'indignation. Colère qui, dépassée et féconde, se convertit en roman, en poème… (Martine Boyer-Weidmann) pour produire quelque chose de plus grand qu'elle-même. Ainsi de
Baudelaire, cité entre cent, affirmant que «la colère m'a fait faire un bon livre sur la Belgique» – on notera que l'auteur de Amoenitates belgicae ne dit pas «contre les Belges»…
Un ouvrage riche, neuf, substantiel et nécessaire, auquel revenir.
On voudra souligner, pour finir, compliment que ne méritent pas tous les éditeurs, «petits» ou «micros», «gros» ou «grands», que le soin, particulièrement typographique et, oui, orthographique, que Cécile Defaut apporte à la fabrication de ses livres est non pas courant sinon «normal», mais rare, très rare, et digne d'éloges appuyés.
Sous la direction de
Martine Boyer-Weinmann et
Jean-Pierre Martin. Textes de
Daniel Bougnoux,
Martine Boyer-Weinmann, Catherine Brun,
Claude Burgelin,
Belinda Cannone,
Dominique Carlat,
Bruno Chaouat,
Jean-Michel Delacomptée,
Jean-François Louette,
Jean-Pierre Martin,
William Marx, Hélène Merlin-Kajman,
Jacques Neefs.
Critique parue dans, "Encres de Loire" n° 49 page 20, automne 2009
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http://www.paysdelaloire.fr/..