Publié en 1755, dans La Nuit et le Moment ou Les Matines de Cythère, Crébillon-fils magnifie dans un savoureux dialogue, celui de la belle Cidalise et de Clitandre, l'art subtil de la narration et de la séduction. plaisant sujet.
Ainsi donc, la nuit tombée, Cidalise reçoit dans sa chambre la visite inattendue de son impétueux ami Clitandre. Celui-ci ne s'en cache pas: il avoue, tout impétueux, que c'est mû par le seul désir de gagner le coeur et les charmes de Cidalise qu'il est venu jusqu'ici. Cependant sa réputation (celle d'une courtisan aux multiples conquêtes amoureuses) l'a semble-t-il précédé. Bien informée, Cidalise ne se soumet pas aisément aux avances de son visiteur et exige, pour le tenir à distance, qu'il lui confie par le détail le récit de ses aventures amoureuses, celles en tout cas qu'on lui connaît... Clitandre se soumet. Contrarié et présomptueux, il ne manque cependant pas de ressources et d'arguments pour revenir à l'objet de son désir. Et si le coeur de Cidalise n'est pas facile à prendre, il ne demeure pas insensible...
La Nuit et le Moment est, dans la littérature libertine du XVIIIème siècle, un véritable petit bijou. L'éloquence, le raffinement, la gravité et la légèreté des propos et de la scène font de cette oeuvre comme un délicieux petit bréviaire sur la séduction, sur l'amour naissant, ce toujours doux compromis entre passion et raison.
Un beau et plaisant moment de lecture.
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Un pur délice que ce dialogue libertin entre un homme et une femme qui se confient leurs expériences amoureuses et font leur conquête réciproque en utilisant toutes les ressources du discours galant dans un raffinement stylistique incomparable au cours d'un nuit où ils partagent une intimité complice dans le même lit.
Crébillon excelle à croquer ses contemporains, cette aristocratie désoeuvrée qui fait des jeux de l'amour (et du sexe) sa principale occupation. La liberté de moeurs du 18ème siècle n'a rien à envier au monde contemporain et la grivoiserie des situations est particulièrement audacieuse alors que le discours ne fait que suggérer sous un voile pudique le déroulement des faits...
Je me suis régalée à cette lecture particulièrement coquine bien faîte pour rappeler que l'on peut trouver dans la littérature érotique bien mieux que "Cinquante nuances de Grey"
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On se plaît, on se prend. S’ennuie-t-on l’un avec l’autre ? on se quitte avec tout aussi peu de cérémonie que l’on s’est pris. Revient-on à se plaire ? on se reprend avec autant de vivacité que si c’était la première fois qu’on s’engageât ensemble. On se quitte encore, et jamais on ne se brouille. Il est vrai que l’amour n’est entré pour rien dans tout cela ; mais l’amour, qu’était-il un désir que l’on se plaisait à s’exagérer ? Un mouvement des sens, dont il avait plu à la vanité des hommes de faire une vertu ? On sait aujourd’hui que le goût seul existe ;
Son imagination s'embrasait; elle se revoltait contre la froideur de ses sens, et mettait tout en usage pour la vaincre. Cette ardeur dont elle se sentaît brûler, et qui se repandait dans toutes ses veines, devenait enfin un supplice pour elle, et je l'ai vue plus d'une fois pleurer d'être livrée à des désirs si violents, et de ne pouvoir ni les éteindre, ni les satisfaire.
Il est, permettez-moi de vous le dire, bien singulier que m’aimant autant que vous me le dites, vous ayez pu vous attacher si fortement à d’autres, et que vous ne m’ayez même jamais parlé de vos sentiments
La réputation que mes premières affaires me firent, m'en attira nécessairement d'autres, et sans avoir formé le projet d'avoir toutes les femmes, bientôt il n'y eut point dans Paris de celles, que leurs vices, encore plus que leurs agréments, mettent sur le trottoir, qui ne se crussent obligées de m'avoir, et qu'à mon tour je ne me crusse obligé de prendre.
Vous croyez la haïr, et quand on hait encore ce qu'on a tendrement aimé, il s'en faut beaucoup que le cœur soit guéri.