Automne. Au-dessus du Havre, les feuilles mortes mènent la danse, tournoyantes. La ville portuaire est grise et morne à cette saison. Avec langueur, trois jeunes filles arpentent le bitume en trainant leurs guêtres, le corps enveloppé de tissus colorés et chamarrés, de superpositions de vêtements de longueurs différentes, la peau fardée, les lèvres d'un rouge écarlate, les yeux cernés de Khôl et le regard sombre. Elles ont quinze ans, bientôt seize. Elles s'appellent Lise, Nina et Marie. Marie, c'est celle qui raconte, qui décrit sentiments et impresssions. Des choses de leur âge. du présent qui ne cesse de fuir. Nous sommes en 1978.
Sur le Havre, la pluie tombe à verse et dégouline sur les filles, têtes baissées encapuchonnées, qui avancent pourtant. Une renault 16 couleur pistache ralentit puis s'arrête. Elles prennent place à l'intérieur. Et là c'est l'impact, le choc, le trouble, la sidération... Dans l'habitacle, une voix retentit, résonne, pénètre et explose au plus profond d'elles-mêmes. Attrapées et secouées par ce son, cette musique, ce rythme, ce rock, cette fougue et bouleversées par le chant, elles interrogent le chauffeur et filent se procurer le fameux album Parallel Lines de Blondie.
Elles découvrent alors la pochette du disque, noire et blanche, graphique et Debbie Harry, la chanteuse du groupe sexy à souhait, dans une robe blanche à bretelles, blonde platine, les poings sur les hanches, sûre d'elle, entourée de cinq hommes vêtus de noir. Lise, Nina et Marie ont trouvé leur idole. Elles s'imprègnent de son image, de sa beauté, de sa voix. Rien ne sera plus pareil désormais dans leur vie : les garçons, les fêtes, l'alcool, la liberté, le rêve d'un ailleurs, partir à New-York, la vie à cent à l'heure, le rock... une éclaircie dans leur existence d'adolescente.
Mais le trio si soudé va voler en éclats lorsque l'une d'elle entendra Kate Bush, sa voix de cristal étrange et étonnante, son exubérance, ses longues robes à l'esprit romantique, ses pas de danseuse classique, une fille solide comme un roc, déterminée, cérébrale.
À l'image de l'adolescence, les pages de ce roman filent à toute allure. Les filles cheminent vers le monde adulte avec plus ou moins de difficultés, en quête d'identité, de modèles, des envies d'indépendance et des rêves plein la tête. On retrouve avec plaisir l'écriture de Maylis de
Kerangal, son flot de mots, la musicalité de ses phrases, ses portraits d'adolescents si attachants et si touchants. Un petit roman à savourer d'une traite avec Heart of Glass ou Wuthering Heights en fond sonore.
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