Voici un livre qui m'a mise mal à l'aise, d'où une difficulté à en écrire une critique.
Laurence Barraqué, la narratrice (est-elle un double de
Camille Laurens ?), a le malheur de naître
fille dans une famille où c'est très mal vu. D'abord, on attend un garçon, une
fille, c'est "rien".
Elle reçoit une éducation stricte, son père tente de les élever comme des garçons, elle et sa soeur. C'est une éducation où transpirent les humiliations et la culpabilité.
Tout est passé au crible depuis la naissance de Laurence, ses souvenirs, ses jeux, sa scolarité, l'adolescence jusqu'à sa vie adulte et ses difficultés à être mère. Rien n'est positif. Il n'y a que des inconvénients à être une
fille. Et c'est là que c'est dérangeant : aucune résilience n'est possible, comme si cette éducation étouffait la moindre révolte. Elle permet juste à Laurence d'éprouver honte et culpabilité.
L'épisode qui met le plus mal à l'aise est le récit des attouchements subis par Laurence de la part de son oncle, au vu et au su de tous. Sauf qu'il ne faut pas en parler. Personne ne se préoccupe de ce qu'elle ressent.
Dans un style cru,
Camille Laurens nous emmène dans l'intimité de cette
fillette perdue, honteuse, soumise à l'autorité des adultes jusqu'à se nier elle-même. Elle est passive, incapable de se défendre.
Puis vient l'adolescence, avec une sexualité débridée, une recherche éperdue de tendresse et d'amour ; la vie adulte et la difficulté d'être mère, la perte d'un enfant, un garçon. Enfin la naissance d'un deuxième enfant, une
fille...
La violente complicité du père médecin défendant le corps médical défaillant contre sa propre
fille laisse sans voix...
Ce qui me dérange est qu'il semble n'y avoir pour Laurence la moindre possibilité de résilience, la moindre capacité à s'opposer à ce qu'elle subit.
Bien sûr, tout est possible, mais il aurait été sans doute plus efficace de nuancer les propos, car malgré le machisme ambiant, les femmes peuvent se sentir intelligentes, cabables, fortes et même supérieures aux hommes. Quelques nuances auraient pu rendre ce portrait moins caricatural et donc plus sympathique.
La difficulté à être mère est aussi dans l'éducation de sa
fille, Laurence se sent coupable de l'homosexualité de sa
fille. Là aussi on est dans la caricature la plus grossière.
Ce livre a malgré tout l'intérêt de dire les violences faites aux
filles et aux femmes à travers l'éducation et les comportements familiaux, certaines "douces violences" du quotidien ayant un effet dévastateur sur les êtres, les rendant soumis et incapables de penser par eux-mêmes, agir et se défendre.
Il montre aussi que la rémission est difficile et parfois même impossible.
Beaucoup de chemin reste à faire pour parvenir à une prise en compte des victimes d'inceste et autres violences sexuelles ou non.