Musique française, fantaisie pour la pluie,
Mérédith le Dez, La Part commune, septembre 2023, 17. 90 euros
Voici un roman jubilatoire ! C'est le mot. Me suis bien amusée en le lisant ! On n'en pas tant l'occasion en ce moment. L'histoire est très habilement racontée : il s'agit du récit chronologique, quasiment heure par heure, comme sur une chaîne de « pseudo-info » en continu, de la disparition, un soir de réélection (à l'arrache !), de « Monsieur », à savoir le Président de la République lui-même. En pleine nuit, sans personne, sans réseau, la tuile ! En plus, il pleut sans discontinuer, on patauge dans la boue sous toutes ses formes.
"Mais où est donc Ornicar ?" Quelle lubie a pris le Président de s'éloigner tout à coup du droit chemin ? Et même de s'éloigner tout court ? On imagine l'angoisse du chauffeur une fois réveillé de son petit somme automobile, le désordre dans le staff de campagne alors que tout était prévu pour rouler, c'est le cas de le dire : les solutions à inventer dans l'urgence, les pions à jouer pour que… avant que… D'autant que le rythme du Boléro de Ravel accompagne l'emballement, pour ne pas dire la cavalcade qui s'ensuit. le lieu choisi, la maison du célèbre compositeur à l'orée de la forêt de Rambouillet comme point de départ à cette rocambolesque nuit électorale, a son mot à dire. Et quel mot ! La ligne de basse des métaphores musicales rythment le roman depuis son titre, tel un running gag.
Le style de Mérédith le Dez à l'humour bien dosé fait mouche. La satire est sentie, celle d'un monde politique et médiatique où se joue la comédie du pouvoir, avec son lot de basses oeuvres, manigances, faux-semblants, jalousies, rancoeurs, haines recuites, retournements de vestes, le tout raconté sur le mode décalé de la satire plus ou moins mordante. Les fake-news vont bon train, la rumeur aussi. À absurde, absurde et demi : est-on sûr que le président ne soit pas un sosie du vrai ? Vous avez vu ses yeux ? Et si… et si… ? Les hypothèses et autres supputations font le buzz. Et, finalement, n'est-ce pas le principal ?
On sourit en reconnaissant les traits de personnalité d'untel, d'unetelle, les propos, les situations, les événements. Même si l'histoire est ancrée en 2022, « Monsieur » est un savant patchwork des présidents qu'on a connus ces dernières années sous la Ve République (
Charles de Gaulle n'avait-il pas disparu lui aussi pendant six heures cruciales en pleine crise de mai 68 ?). La plupart des noms sont détournés, mais on reconnaîtra facilement les événements récents comme les manifestations des Gilets jaunes. Seul le président actuel
Emmanuel Macron est cité à la fin du roman mais comme ancien ministre de l'Économie.
Les protagonistes de ce microcosme bien gardé, hommes et femmes, sont excellemment campés, avec relief et cocasserie, chacun ayant ses failles, ses écarts, ses territoires secrets aussi. On les entend, voix et langage, on les voit officier ici et là, plus vrais que nature malgré (à cause de !) la caricature, l'un servant de faire-valoir à l'autre comme dans les films comiques. À certains passages, on se croit d'ailleurs dans une BD drolatique à la
Pétillon ou un film burlesque. Les Tontons flingueurs ne sont pas loin, soirée bien arrosée et gouaille forestière au rendez-vous.
Les personnages les plus touchants par leur authenticité sont le jeune Suédois
Gunnar Gunnarsson amoureux de Ravel, devenu par les circonstances et le fait du prince majordome du Président dans sa maison de campagne, et l'épouse de ce dernier, en instance de divorce. La lucidité de Surya Sainte-Rose contrebalance l'esprit barbouze des gardes du corps. Que sortirait-il de son stylo-plume si elle s'avisait de « conduire l'orchestre à son tour » ?
Au dernier chapitre, langue de bois oblige, on se dit qu'on serait capable d'écrire mot pour mot le discours du Président de la République ! Finalement on connaît la musique.
Moralité : "Zig et zig et zig", il faut se méfier de la pluie qui joue sa partition dans une tête de Président, elle peut lui tambouriner ses quatre vérités.
Marilyse Leroux, jeudi 28 septembre 2023