Avec un titre aussi peu accrocheur et une couverture aussi peu attrayante, soyons honnêtes, jamais
Doppler n'aurait fini dans ma bibliothèque s'il ne m'avait pas été chaudement recommandé.
En fait, ce n'est que lorsqu'on referme le livre qu'on en saisit l'harmonie. On comprend alors que la couverture et le titre sont, contrairement à ce qu'on imaginait jusque-là, en parfaite adéquation avec le contenu venimeux du livre.
Tous deux suscitent en effet un malaise chez le potentiel lecteur, malaise que je qualifierais de constructif et dont émane un tout aussi jouissif que corrosif "je vous emmerde, je ne veux pas que vous me lisiez et, surtout, je ne suis pas là pour vous plaire".
Oui car
Doppler n'est pas seulement une belle histoire d'amitié entre un homme et un élan, c'est aussi et surtout un regard incisif posé sur les travers de notre corps politique et social. Pour fuir la société normalisée et mondialisée qui le débecte ainsi que le contact humain,
Doppler décide de planter sa tente dans la forêt et applique ainsi le précepte du plus célèbre des misanthropes (celui de
Molière) : "et chercher sur la terre, un endroit écarté, où d'être homme d'honneur, on ait la liberté".
Notre Alceste des bois est toutefois plus radical. Il prône un retour à la nature, au troc et à l'oisiveté afin d'échapper à la société de consommation qui nous fabrique toujours plus de besoins et d'obligations – c'est d'ailleurs la réflexion la plus intéressante selon moi. Il remet par exemple en cause notre système de valeurs et son principe premier ("l'application") : "Je me suis tellement appliqué que c'est à en gerber. […] Pendant des décennies, j'ai pataugé dans cette mare d'application. Je me suis réveillé dedans, et je me suis endormi dedans. Je respirais l'application, j'ai respiré l'application et, peu à peu, j'ai perdu la vie."
Naturellement, le ton est à l'image du personnage : acerbe, mordant mais aussi touchant. La relation qui le lie aux deux autres personnages semble d'ailleurs symboliser les deux facettes de sa personnalité.
Doppler se montre en effet incisif avec le "mec de droite" en qui il ne voit qu'une marionnette dénuée de toute substance mais il est a contrario bienveillant avec Düsseldorf, un solitaire qui s'est mis en tête de reconstruire la bataille où son père a été tué en modèle réduit afin de lui rendre hommage.
Si ses thématiques (amitié, nature, relation avec un animal a priori non domestique, critique sous-jacente de la société) peuvent l'apparenter à
Arto Paasilinna, pour autant, la vision d'
Erlend Loe me semble plus sombre. Certes
Doppler se lie d'amitié avec un élan (Bongo) et certes ce Bongo a plus d'une initiale en commun avec le Belzebuth de Paasilinna (
Doppler tente de lui apprendre à parler et à jouer au loto animalier) mais l'atmosphère est dénuée d'optimisme chez
Loe, en témoigne les dernières lignes du récit ("c'est la guerre") ou même la scène d'introduction (la mort de la mère de Bongo), bien plus violente que celle qui explique comment Belzebuth est devenu orphelin.
Une récit loufoque donc, à la limite de l'absurde, exacerbé par un personnage à mi-chemin entre l'Alceste de
Molière et le célèbre philosophe Diogène, qui paradoxalement touche du doigt bon nombre des problèmes politiques et sociaux qui agitent notre siècle.
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