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EAN : 9782277240945
188 pages
J'ai lu (04/01/1999)
  Existe en édition audio
4.11/5   578 notes
Résumé :
Innsmouth... C'est le hasard qui m'y conduisit, durant cet été où je fêtais ma majorité en parcourant la Nouvelle-Angleterre. Je voulais me rendre à Arkham, mais le prix du billet de train me fit hésiter. C'est alors que l'employé des chemins de fer me parla de ce vieil autobus, que presque personne n'empruntait. Parce qu'il passait par Innsmouth... Mais pourquoi les gens évitaient-ils cet ancien port de pêche, comme si ses habitants avaient la peste? Après cette ho... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (46) Voir plus Ajouter une critique
4,11

sur 578 notes
Dans ce recueil de nouvelles, le maître de Providence nous emmène une fois de plus au plus près des horreurs cosmiques et de leurs adorateurs inhumains.

Six textes, d'un intérêt pas tout à fait égal, constituent cette édition.

1) le cauchemar d'Innsmouth

Un jeune homme en quête d'informations généalogiques veut consulter les registre d'Arkham. Mais, en chemin, il entendra parler d'Innsmouth et sera piqué de curiosité... Ce qu'il y rencontrera sera encore en deçà de ce qu'il découvrira...

Cette longue nouvelle de plus de 70 pages donne son titre au recueil.
Dans l'univers de Lovecraft, le toponyme Innsmouth revient régulièrement, et il se peut que le lecteur l'ait déjà rencontré avant même la lecture de ce récit long à démarrer et paraissant "banal" au premier abord (j'entends par là qu'on retrouve les mécanismes bien rodés employés par HP Lovecraft : un narrateur que l'on peut croire ou considérer comme fou, une xénophobie exacerbée qui pourrait être à l'origine d'une forme de paranoïa, des horreurs indicibles ou hallucinées, etc.). Mais là où on pourrait voir un coup d'essai mêlant difficilement réalité et fiction, le lecteur trouvera en fin de compte une conclusion magistrale et inattendue qui fait tout l'intérêt de cette nouvelle par rapport aux autres, et qui la classe au rang de pilier de l'univers lovecraftien. le ressort employé par l'auteur est génial et vient parfaitement conclure l'histoire (ou en débuter une nouvelle...).

2) La maison de la sorcière

Un jeune homme s'intéresse de près à l'histoire d'une sorcière de Salem condamnée au bucher mais échappée comme par magie de sa cellule. Certain que les pouvoirs de cette vieille folle lui venaient de son habitation, il va louer la chambre maudite...

Ce récit est intéressant à plusieurs niveaux. Il montre l'intérêt combiné de l'auteur pour les sciences et le folklore, car c'est par les angles incongrus que l'on accède à la quatrième dimension. Mais l'horreur n'est pas loin et celui qui cherche à communiquer avec l'au delà pourrait bien être le récepteur plutôt que l'émetteur... Rajoutez à cela une ambiance huis clos, sabbat et course contre la montre, des manifestations inexplicables et des rats étonnement malins, et vous obtiendrez une nouvelles intense et perturbante.

3) Celui qui hantait les ténèbres

Robert Blake a été retrouvé mort derrière sa fenêtre, figé dans une expression horrifiée. Les enquêteurs ont conclu à un choc nerveux dû aux éclairs d'orage d'une nuit d'août particulièrement agitée. Une nuit sans lune où la foudre avait fait basculer la ville dans le noir et coupé toute alimentation électrique, et donc toute source de lumière...

Cette nouvelle est également très bonne mais pose plus de questions qu'elle ne donne de solutions. C'est à la fois dommage et agréable car sa brièveté en fait un récit intense et perturbant. A relire avec plaisir !

4) Air froid

Le narrateur nous explique son étrange phobie du froid, survenue depuis un jour d'été particulièrement chaud...

Cousu de fil blanc, ce récit est tout de même constitué d'éléments plutôt rares chez Lovecraft (la force de la volonté et l'absence de toute référence au mythe de Cthulhu) en faisant un texte à part. Pas d'horreur cosmique, pas de cultistes fous, pas de narrateur suicidé. Digne successeur d'Herbert West (en plus court et en plus percutant), on apprécie différemment.

5) L'indicible

Deux jeunes gens débattent quant à la nature sensorielle ou indicible des horreurs cosmiques, du chaos et des créatures maléfiques. Prêts à tout pour se convaincre, ils vont finir par tomber d'accord...

Une nouvelle à côté de laquelle je suis passé sans l'apprécier. Les récits enchassés et ce narrateur romancier au discours tarabiscoté m'ont perdu. Temps, lieu et personnages se mêlent et sont difficilement identifiables. Dommage. À relire, peut-être.

6) le monstre sur le seuil

Depuis qu'Edward Derby a rencontré Asenath, Dan ne le reconnait plus. Lui qui avait l'air d'un enfant prend des airs d'homme sûr de lui. Lui qui ne s'affirmait pas et n'osait rien entreprendre devient ferme et téméraire. Oh, et sa femme vient d'une famille d'Innsmouth...

Tout est dit dans ce dernier terme... Innsmouth, comme on se retrouve ! Une récit génial qui commence par ces mots "Il est vrai que j'ai logé six balles dans la tête de mon meilleur ami, et pourtant j'espère montrer par le présent récit que je ne suis pas son meurtrier."
Je vous laisse vous en délecter. La relecture en est encore meilleure. Iä ! Iä !
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« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, on va parler d'un recueil, le cauchemar d'Innsmouth et autres nouvelles, de ce cher Howard Phillips Lovecraft.

Or donc, un jeune homme féru d'architecture voyage en Nouvelle-Angleterre et décide de faire un crochet par Innsmouth, une ville ruinée.

-Et ?

-Bah il n'aurait pas dû.

-Waaaah, on peut dire que tu sais ménager tes effets…

-Oui, hein ?

Alors, la première chose qui m'a surprise, c'est la première page. Quelle baffe !

-La première page ?

-Oui ! La première page t'explique ce qui s'est produit après le voyage du narrateur à Innsmouth. J'en ai frémi jusqu'au tréfonds de mes moelles. J'avais complètement oublié ce passage, occulté par l'épouvante qui occupe le centre de l'intrigue, et par la conclusion.

-Et… pourquoi tant d'émotion ?

-Pour une raison simple intitulée Providence, l'intégrale, d'Alan Moore. Cette première page y est dessinée. Il y est même fait plusieurs fois allusion dans la BD, mais je pensais naïvement qu'il s'agissait de… mmmh… l'effet de l'histoire avec un H. Et c'est le cas, l'allusion est évidente, mais il ne s'agit pas seulement d'un chapitre sinistre du milieu du XXe siècle, il s'agit également du texte original.

-Tu veux dire que Lovecraft avait prévu ce qui arriverait ?

-Non, pas du tout. Je dis qu'il a imaginé un fait plausible et qu'Alan Moore non seulement l'a repris, mais lui a donné une autre résonnance aussi. En fait, Moore a considérablement enrichi des textes qui déjà recelaient une grande profondeur.

-Haha, « profondeur… »

-Je regrette de ne pas être plus précise, mais je tiens à ne spoiler personne. Relire Lovecraft après Providence vous donne un autre regard sur ces deux oeuvres.

-Moi, j'aime pas la description des trajets qu'il prend, je ne trouve pas ces passages-là visualisables, et la carte demeure parfaitement illisible ! Et je trouve la fin artificielle, quand même.

-Moi pas. Qu'est-ce qui fait de nous des humains à part entière ? Comment ne pas céder à la tentation de devenir plus fort, plus puissant ?

-Les histoires ne sont pas toutes égales, hein… L'indicible est confus et trop bavard, trop dans la démonstration rhétorique. Ca fait pas peur. Et puis, certaines ficelles sont trop grosses !

-A quoi penses-tu ?

-A l'étudiant en maths dans La maison de la sorcière. « Oh, je ne me sens pas bien, il faut que je consulte… » et il ne le fait jamais alors qu'il ne va pas bien, c'est une évidence !

-Pas si évident que ça quand tu es dans ta peau. Il peut très bien penser qu'après tout ce n'est pas si grave et qu'il est trop occupé pour faire autre chose. T'as envoyé ces mails qui traînent depuis un mois, toi ?

-Non, je suis trop occupée, mais ce n'est pas pareil, madame, je ne risque pas l'enfer, Moua.

-On verra ce qu'en pensent les chefs la semaine prochaine... Bref, j'ai également beaucoup apprécié le monstre sur le seuil. Voilà de la bonne horreur, mais pas trop crade, bien épouvantable ! J'aime beaucoup l'oscillation entre les faits et leur interprétation erronée par le narrateur qui comprendra tard, très tard, les malheurs de son ami. Et là encore, Moore a ajouté des aspects… mmmhhh… que Lovecraft n'a pas exploités, faute de malséance. Une fois que j'ai relu ce conte, je me suis posé des questions sur le couple…

-Mouais. Moi, je regrette un peu les motifs qui se répètent trop souvent. Dans les nouvelles, rien ne permet d'affronter les monstres, et n'importe quelle vieille baraque abandonnée devient le palais de l'impiété et de la hideur… c'est lassant, cet univers qui regorge de créatures malfaisantes et inconnues.

-Moi, j'aime bien, justement ! Ce que l'on connaît se change en inconnu et les histoires de Lovecraft explorent les choix que nous faisons face aux mystères et aux puissances que nous ne maîtrisons pas, et nous prenons les mauvaises décisions, comme fuir ses parents, emménager au mauvais endroit, jouer au oui-ja ou regarder une vidéo maudite…

Sans mauvaises décisions, sans cécité sur nous-mêmes, point de bonnes et effrayantes histoires. »
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Cette histoire ne pouvait que commencer de façon étrange. Je commencerai pas vous dire que je n'ai jamais ouvert ce livre. Pourquoi alors me fendre d'une critique alors ? Et pourquoi vous l'avouer sinon ? Simplement pour vous parler de l'expérience à laquelle je me suis livré : J'ai écouté " le Cauchemar d'Innsmouth ", produit en 2008 par Sonobook et Otoprod.

Ne cherchez pas le port d'Innsmouth sur une carte du Massachusetts. Au mois de février 1928, il fût le lieu de plus vaste déploiement de force fédérales jamais orchestré. En pleine Prohibition on parlât de guerre contre le trafic d'alcool. Internements, enfermements en prison militaire, faible mobilisation des " associations libérales ", atermoiement des journalistes. Un village oublié, des événements oubliés...
Écoutez le récit de celui qui causât sa perte : A la mi-juillet 1927, Robert Martin Olmstead choisit de se rendre à Innsmouth... et c'est ventre à terre qu'il s'en évadât...
Innsmouth était situé entre Newburryport et Arkham et " depuis toujours " - comme dit l'expression consacrée - elle inspirait une instinctive aversion aux gens des alentours. Un certain entre-soi que cultivaient ses habitants, mais surtout une certaine décadence collective qu'on appelait " le masque d'Innsmouth " : Issus de l'alliance d'habitants du cru avec quelque peuplade " kanake " venue des iles du Pacifique avec le vieil armateur Obed Marsh, les gens développaient une sorte de dégénérescence physique : Des traits anormalement batraciens, des yeux globuleux, une sorte de maladie de peau la rendant squameuse et de profondes cicatrices laissant à penser à des ouïes aquatiques. On prétendait que les plus vieilles et délabrées maisons de la ville abritaient des spécimens aux traits si contrefaits qu'il leur était plus possible de se montrer au grand jour.
On prétendait aussi que la richesse de la ville venait d'une pêche anormalement abondante et de la fonderie d'or étrangement prospère - Trésor de pirates affabulait-on - Mais les bijoux arrachée aux profondeurs abyssales n'appartenaient à aucune civilisation reconnue... Tout comme le culte prépondérant de la ville : L'Ordre Ésotérique de Dagon était nimbé d'une ténébreuse aura.
C'est probablement attiré par ces rumeurs et sa grande curiosité qu'Olmstead pris le bus de Newburryport pour Innsmouth. Ses premières impressions confirmèrent les on-dits : Désolation et délabrement de la ville, contre-façon des traits de ses habitants... Son récit est surtout constitué des propos recueillis auprès d'un certain Zadog Allen. Un ivrogne presque centenaire devant les yeux duquel la décrépitude de la cité se déroulât. Conte Hallucinatoire et incohérent évoquant paganisme indigène dédié à de sous-marines divinités, pactes sanglants et sacrifices humains dans une quête effrénée de richesse de de promesse d'immortalité.
Olmstead parlera de sa fuite, de son empressement à faire agir les autorités contre cet indicible fléau. Mais surtout de cet étrange caprice du destin qui le frappât enfin...

J'ai vécu cette étrange double expérience. Celle de recueillir ce témoignage glaçant mais surtout celui de l'entendre conté avec une précision de lecteur. Chez Lovecraft, pas de demi-mesure : L'horreur vous fait face. Pas de bruits indistincts, pas de silhouettes dans l'ombre. C'est sous le clair de lune que les monstres poursuivent leur proie coassant à qui mieux-mieux. Ne laissez pas dériver votre imagination, ce qui se produit na pas besoin d'interprétation. Installez-vous, chaussez vos écouteurs et laissez-vous guider. La lumière ne vous sera même pas nécessaire.
A moins que...
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C'est une première pour moi : je ne mets pas d'étoiles..... En fait c'est très compliqué de noter ce texte pour diverses raisons.

Petit retour en arrière : parmi les auteurs proposés au Challenge Solidaire (chaque lecture équivaut à une somme donnée ensuite à une oeuvre caritative) figure Lovecraft. Petit coup au coeur.... mais pas parce que j'adore cet auteur ! Non non.......

Bon ça fait des années que je me dis qu'il faudrait que j'essaie. C'est un grand auteur de fantastique, mon mari a toutes ses oeuvres aux Editions Bouquin (les gros pavés lourds à porter), et surtout il les a toutes lues et toutes adorées....
J'ai alors choisi la solution de facilité : j'ai demandé à mon mari de me choisir le texte qui pourrait le plus (je n'ose dire "me plaire" !) me convenir. Pas facile pour lui : il sait que je n'aime pas le fantastique, Lovecraft est le spécialiste du fantastique et il le vénère.... Son choix est tombé sur "le Cauchemar d'Innsmouth".
Le Challenge Solidaires fonctionne sur le principe 1 critique = 10 centimes d'euros pour une association. Donc je dois faire une critique mais afin de préserver mes relations avec mon cher et tendre, je vais éviter de noter ce texte.

En fait je crois que ce texte en particulier et Lovecraft en général est fondateur pour tout fan de fantastique mâtiné d'horreur.... ce que je ne suis pas malheureusement. J'ai un côté très terre-à-terre et le charme de ce type de littérature m'échappe....
Revenons au texte. Un jeune homme arrive à Innsmouth, petite ville portuaire du Nord des Etats-Unis, dont il a entendu dire pis que pendre (c'est justement cette mauvais réputation qui le fait y aller). Evidemment ces mauvaises rumeurs ont un fond de vrai. Plus qu'un fond en fait ! Un fond abyssal dirais-je même....

Je n'ai pas accroché mais je reconnais un joli style (je me suis amusée des expressions religieuses, "démoniaque" revenait souvent notamment) et la fin est vraiment bien, je ne m'y attendais pas ! Là je reconnais la supériorité de l'auteur.
Honnêtement, je vais retourner à mes livres et je ne pense pas ouvrir un autre texte de Lovecraft (sauf si cet auteur est dans le Challenge Solidaire 2022).
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Je ne connaissais Lovecraft que de nom et de réputation. Je savais, sans ne jamais l'avoir lu, à quel genre de littérature m'attendre. Je ne me suis pas trompée. Je l'avais deviné sans le connaître. Je savais précisément qu'il s'agirait d'un genre tout à fait à part, d'univers sombres et inquiétants, mais, chose étrange, je jure être tout à fait incapable de me souvenir comment je l'ai su.

Je ne peux supporter l'horreur. Je n'ai jamais pu regarder un bête film d'horreur sans ressentir une sorte de tension d'angoisse presque intenable. Je hais le suspense effrayant qui précède la mort d'un protagoniste. le meurtre en lui-même ne me fait rien, c'est l'avant qui m'angoisse. L'attente d'un événement terrifiant, pourtant attendu, m'est une torture psychologique beaucoup moins supportable que la violence, ce qui amuse beaucoup mes aînés. Je suis « bon public » en ce qui concerne l'horreur psychologique. La vue du sang, d'entrailles, de têtes coupées me laisse de marbre, mais l'attente m'est insoutenable. Je tremble en même temps que l'acteur va se faire surprendre par une none ressuscitée ou une poupée possédée. Je vis la scène comme si c'était moi, et j'en suis physiquement atteinte et perturbée. Mon sang se glace, je ressens l'angoisse de manière viscérale, mes muscles se contractent et la tension nerveuse me donne des impatiences dans tous les membres. J'ai même le souvenir, plus jeune, d'avoir hésité à me lever la nuit de peur de trouver un spectre muni d'une hache ensanglantée derrière la porte de ma chambre. C'est irrationnel et pourtant mon esprit se refuse à l'admettre. Et cela m'effraie jusqu'au second degré : en ces moments, j'ai réellement craint pour ma santé mentale. Les visions d'anticipation de l'horreur me sont un calvaire et me poursuivent après le film. Voilà l'une des raisons pour lesquelles j'ai toujours évité ce genre en littérature.

Je l'ai longtemps dédaigné aussi comme l'on néglige ce que l'on considère, à tort peut-être, comme un genre mineur, une sorte sous-littérature, au même titre que la science-fiction ou le polar. C'est qu'il me semble que ce que l'on trouve dans ces catégories est généralement mauvais.

Néanmoins, j'ai eu envie de découvrir Lovecraft. J'ai choisi ce recueil puisqu'il prétendait regrouper les « cinq nouvelles les plus connues » de l'auteur. J'ai songé que c'était là une bonne manière d'introduction.

Les cinq nouvelles qui composent ce recueil sont de qualité et de longueurs inégales. J'ai été d'ailleurs très surprise de constater que l'auteur pouvait fort bien bâcler un texte ou plutôt l'alimenter d'inutilités et d'invraisemblances et livrer un chef-d'oeuvre la fois suivante. Je n'aime guère ce génie en dent de scie. Lorsqu'un artiste est capable de rendre une perfection, je considère qu'il le peut à chaque fois. S'il ne le fait pas c'est qu'il expédie volontairement ou par paresse, ce qui me déçoit fort.

La première nouvelle est très engageante. Plutôt longue et très réussie, elle donne une bonne impression et l'envie de poursuivre la lecture. L'appel de Cthulhu regroupe un ensemble de documents trouvés par Francis Wayland Thurston dans une étrange caisse, laissée en héritage par le défunt Angell, son grand-oncle. Anthropologue, Thurston est intrigué par ces coupures de presse, ces courriers et cette tablette d'argile tous regroupés en une sorte de dossier nommé « le culte de Cthulhu ». Il réalise bientôt qu'il s'agit du travail de recherche de toute une vie, réalisé par son grand-oncle, qui aura voué sa vie à l'enquête sur Cthulhu. Curieux et passionné, l'anthropologue va poursuivre cette quête en regroupant documents et témoignages. Avide de vérité et désireux de percer le mystère et de reconstituer toute l'affaire, l'homme ira jusqu'au bout. Sa quête le conduira en des lieux terribles, et ce qu'il trouvera fera froid dans le dos. La narration est originale et parfaitement menée. L'auteur retranscrit chaque document, lettre et article de presse, ce qui apporte au récit une impression de réalité supplémentaire. Loin d'être la meilleure nouvelle du recueil, elle est très bien construite. L'horreur, quant à elle, est décrite avec une telle violence qu'elle saisit littéralement. le de Lovecraft, précis, incisif, extrêmement riche en tournures et vocabulaire est un chef-d'oeuvre en lui-même. L'intrigue, enrichie par ces retranscriptions de documents à la façon d'un rapport occulte, est captivante et saisissante.

La nouvelle suivante est, contrairement à la première, fort impatiente. Aussi longue qu'un roman et en cinq parties, La Quête onirique de Kadarh l'inconnue énumère fort longuement les péripéties rencontrées par Carter lors de sa recherche de la cité de kadath, qu'il a vue en songes. Randolph Carter, personnage récurrent qui apparaît dans trois nouvelles, rêve, voilà tout. Il sort du monde de l'éveil pour rejoindre le monde du rêve, y fait d'étranges rencontres, souvent menaçantes, descend les 700 marches des cavernes de la flamme, voit des prêtres qui l'avertissent du grand danger qu'il encourt mais continue quand même. Il veut se rendre à Kadath coûte que coûte pour implorer les dieux en personne. Il serait le premier à voir kadath. Il ne sait même pas comment s'y rendre. Heureusement, ses amis les chats et les goules viendront de nombreuses fois à son secours. Vous n'y comprenez rien ou bien vous trouvez que mon résumé manque de logique ? Eh bien moi aussi ! le fantastique ne doit pas être une succession de n'importe quoi. Ce monde du rêve est si complexe que l'on ne sait pas au juste si l'auteur se moque de son lecteur, s'il écrit pour lui seul ou pour quelques initiés à son monde imaginaire. Par ailleurs, le prétexte du rêve est une facilité. Puisque le personnage rêve, peu importe la plausibilité ou une suite logique. J'ai lu quelque part que certains amateurs de Lovecraft considéraient ce texte comme son oeuvre majeure et j'en suis fort étonnée. le fantastique est pour moi un genre qui mêle réalité et irrationnel, c'est ce qui rend le récit hautement angoissant. La plausibilité permet de s'identifier, de sorte que le lecteur peut se figurer que cela pourrait lui arriver. le rêve en revanche est une triche qui permet à l'auteur de ne pas s'encombrer d'un effet de réalité. Cela empêche également le lecteur de ressentir tout danger, de s'imprégner du sordide et de l'horreur. Puisque le personnage rêve, on reste bien à l'abris, spectateurs incrédules et hallucinés de son rêve. Et l'on est bien obligés de subir le rêve jusqu'à la fin. Et c'est très long !

L'Affaire Charles Dexter Ward est ma préférée des cinq. Ce récit est une très longue nouvelle, qui peut être également un court roman. Charles Dexter Ward, âgé d'une vingtaine d'années, devient soudain fou après avoir enquêté sur l'un de ses ancêtres. Ce qui n'est au départ qu'une simple enquête généalogique glisse vers une forme d'étude obsessionnelle et puis vire enfin en quête satanique. Comme pour la première nouvelle, l'auteur intègre au récit des lettres, notes et témoignages anciens et actuels. C'est vivant, dynamique, effrayant car très plausible. Lovecraft a su, dans cette nouvelle, faire monter l'horreur et le suspense par paliers, jusqu'à l'épouvante finale, le grandiose, le sordide à son paroxysme.

Le Cauchemar d'Innsmouth raconte l'histoire de Robert Olmstead, également narrateur. Cet amateur de civilisations anciennes entreprend un voyage afin d'en apprendre plus sur ses origines. C'est presque par hasard qu'il découvre l'existence d'une ligne de bus passant par une mystérieuse et lugubre ville que tout le monde fuit et craint: Innsmouth. Étrangement curieux du dégoût qu'inspire la ville maudite aux habitants des villages voisins, il s'y rend. Il y rencontre des habitants peu obligeants et à la morphologie étrange, quasi batracienne. Par ailleurs, la ville est imprégnée d'une forte odeur de poisson. le jeune homme est tiraillé entre un certain dégoût lui aussi pour cette ville et une sorte d'admiration et d'attirance étrange pour elle. Obstiné et curieux, il mène l'enquête et découvre l'horreur. Apeuré, il va tenter de s'échapper d'Innsmouth, sans se douter de l'horrible vérité qu'il va découvrir plus tard sur ses propres origines. Cette nouvelle, tout comme la précédente, respecte tout à fait la nouvelle traditionnelle, avec une chute inattendue et vertigineuse. Pour le coup, la conclusion est magistrale et fort habile. Tout comme l'est ce récit, mêlant l'horreur et une sorte d'oppression en cette ville où le narrateur se retrouve presque à huis clos avec le sordide et l'horreur hallucinée. C'est excellent.

Enfin, le Témoignage de Randolph Carter est un récit fort court. Retrouvé inanimé et en état de choc, ce dernier, interrogé par la police, prétend ignorer ce qu'il est advenu de son ami Harley Warren, introuvable depuis leur expédition nocturne dans un vieux cimetière. Il ne sait pas. Il a seulement attendu Warren tandis que celui-ci descendait seul dans la crypte. S'en sont suivis des hurlements d'horreurs, de ceux qui glacent le sang et assurent à celui qui les entend une épouvante insoutenable. Cette nouvelle extrêmement courte est à la fois mystérieuse et excellente. Elle laisse le lecteur, tout comme les enquêteurs, sur une faim terrible. L'horreur à son paroxysme ne se décrit pas et ne se comprend pas. Elle s'eprouve seulement. En un cri effroyable, dans un cimetière inondé de nuit effrayante. Superbe et terriblement efficace !

On retrouve des points communs, sans doute propres à l'auteur, dans ces cinq nouvelles. le langage chiffré notamment, incompréhensible jusqu'à ce qu'il puisse être décodé. de même, les récits sont emplis d'individus qui s'expriment en des langues gutturales incompréhensibles. Ni humain, ni animaux ni dieux, ils ne peuvent être nommés que créatures, ne ressemblant à rien de connu et récitant des incantations blasphématoires incompréhensibles. Ces langages écrits et parlés que l'homme ne peut comprendre le ramènent à sa petitesse d'humain. L'homme, inventeur du langage, se trouvant face à ce qu'il ne peut déchiffrer ou entendre, prend une sorte de leçon d'humilité. L'humanité est réduite à son insignifiance face à tout ce qu'elle ignore et ne peut comprendre avec ses propres critères logiques.

De plus, ses personnages principaux mènent toujours des sortes de quêtes avec une résolution si obstinée qu'ils se mettent en danger. Leurs recherches font fi des horreurs et périls, comme si un instinct profond et supérieur les poussait à persévérer jusqu'à l'horrible vérité. C'est à chaque fois comme une descente irrésistible. On a envie de leur hurler de ne point y aller, mais ils sont comme gouvernés par une volonté considérable, effroyable et presque inhumaine. Ces hommes d'ailleurs ne sont plus humains une fois qu'ils côtoient l'horreur. Paradoxalement, ils sombrent presque dans la folie au moment même où leur lucidité froide est à son paroxysme. Étrangement, ces personnages dotés de grandes capacités de raison, dont ils usent jusqu'à l'exacerbation, perdent leur santé mentale tout à la fois, ce qui est très intéressant. Ainsi, la quête de pure vérité sans oeillères et sans biais semble mener, selon Lovecraft, à un état second, à une sorte d'inhumanité effroyable qui a perdu tous les codes et qui ne peut faire machine arrière. J'aime infiniment cette idée que celui qui raisonne sans aucun apriori risque fort la folie. J'ai souvent songé que la raison pure frôlait l'aliénation, et me suis souvent interrogée à ce sujet.

J'ignore si ces nouvelles ont été regroupées en un même recueil parce qu'elle se ressemblent. C'est très probable. Cependant, je ne reviendrai pas à Lovecraft avant longtemps. Si le premier récit surprend d'atrocité, plonge dans un univers bien à part, original, inattendu et subtil, les suivants lui ressemblent tant que l'on déplore bien vite le fait que Lovecraft use toujours des mêmes stratagèmes, procédés et atmosphères. Il ne se renouvelle pas, voilà. Ce recueil laisse la mauvaise impression d'avoir fait le tour de l'écrivain, de n'avoir plus rien à en apprendre puisque l'on a saisit, avec redondance, ses façons de récit. Je ne connais pas Lovecraft. Cependant ces sortes de répétitions me laissent supposer que l'homme était tout à fait en dehors de toute réalité, vivant seul en un monde parallèle qui l'obsédait.

Si une seule des cinq nouvelles m'a fort déçue, les autres sont néanmoins d'une qualité remarquable. Lovecraft a crée tout un univers. Lugubre, inquiétant, mystique. Ses manières de mener l'intrigue sont fort habiles et son écriture est impeccable.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
C'est alors que j'éprouvai l'impression la plus horrible de tout ce que j'avais ressenti - celle qui anéantit mon dernier vestige de sang-froid et me lança frénétiquement vers le sud, le long des noires entrées béantes et des fenêtres au regard fixe de poisson, en cette rue déserte de cauchemar. Car à mieux regarder, je m'aperçus que les eaux éclairées par la lune entre le récif et le rivage étaient loin d'être vides. Elles fourmillaient d'une horde grouillante de formes qui y nageaient en direction de la ville ; même à cette distance et en u seul regard j'avais compris que les têtes qui dansaient sur l'eau et les bras qui battaient l'air étaient étrangers et anormaux au point qu'on pouvait à peine le dire ou le formuler consciemment.

Le cauchemar d'Innsmouth
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Je ne devais pas non plus m'appesantir sur ce que l'inspecteur du travail avait dit à l'employé de la gare de Newburyport au sujet de l'hôtel Gilman et des voix de ses occupants nocturnes - ni là-dessus ni sur le visage sous la tiare dans l'entrée obscure de l'église ; ce visage dont ma pensée consciente ne pouvait expliquer l'horreur. Peut-être aurait-t-il été plus facile de détourner mes réflexions de ces sujets troublants si la chambre n'avait pas autant empesté le moisi. Cette odeur atroce, hideusement mêlée à celle du poisson qui régnait dans la ville, ramenait sans cesse l'imagination à la décomposition et à la mort.

Le cauchemar d'Innsmouth
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Cette ville abritait des gens bizarres, et l’on avait incontestablement noté plusieurs disparitions. Était-ce là une de ces auberges où l’on tuait les voyageurs pour voler leur argent  ? Je n’avais sûrement pas l’air très fortuné. Ou bien les habitants avaient-ils tant de haine pour les visiteurs curieux  ? Mon intérêt évident de touriste, la fréquente consultation de la carte avaient-ils fait mauvaise impression  ? Dans quel état nerveux étais-je donc pour échafauder ainsi des hypothèses sur quelques craquements fortuits  ? Mais je n’en regrettais pas moins d’être sans arme.
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Ce fut la fin, pour ce qui me reste à vivre sur cette terre, de toute paix, de toute confiance en l'intégrité de la Nature et de l'esprit humain.
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Et je me rappelle qu'il me consola avec tact de ma faiblesse cardiaque en me répétant que la volonté et la conscience sont plus puissantes que la vie organique elle-même, si bien, qu'à une enveloppe physique précaire, mal développée, un traitement scientifique de ses qualités propres peut fournir une animation fondée sur le système nerveux malgré toutes les défectuosités fonctionnelles ou même les lacunes que représente l'arsenal normal des organes.
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Videos de Howard Phillips Lovecraft (129) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Howard Phillips Lovecraft
Jusqu'au 4 mai 2023, sur Ulule, découvrez notre nouveau projet hors-norme et complètement fou : l'édition de la correspondance de Robert E. Howard et Howard P. Lovecraft dans une traduction de David Camus et Patrice Louinet.
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L'Affaire Charles Dexter Ward

Dans quelle ville débute l'histoire ?

A Providence
A New York
A Los Angeles
On ne sait pas.

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Thème : L'affaire Charles Dexter Ward de Howard Phillips LovecraftCréer un quiz sur ce livre

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