L'adolescence des filles, moins étudiée que celle des garçons, a de quoi fasciner les écrivains et plus souvent les écrivaines , avec ses amitiés exclusives qui préludent à la passion amoureuse, avec ses intermittences du sentiment qui torturent si bien des coeurs fragiles ou des âmes inquiètes, avec la promesse de ces vies d' adultes dont la trajectoire en filigrane soudain s'affirme, brusquement bifurque ou s'arrête, comme un cheval rétif qui refuserait l'obstacle.
Il y a , dans le roman de
Claire Messud, une pincée de
Carson Mac Cullers , une ombre de
Donna Tartt ou même un soupçon de
Sylvia Plath- toutes trois expertes à porter leurs sondes impitoyables dans le clair-obscur du féminin adolescent.
Une quatrième "fée-marraine",
Joyce Carol Oates, pour ne pas la nommer, s'est penchée, me semble-t-il, sur le berceau de cette Fille qui brûle, et lui a envoyé les ondes de la modernité: téléphone portable, réseaux sociaux, et american way or life.. .
On s'intéresse donc à ces deux filles, à Julia, la jeune narratrice, et à Cassie, son amie de coeur,
la fille qui brûle, si pâle, si
blonde, si fragile..
Leur amitié les protège d'abord en les isolant. Ce qui leur permet de découvrir la force de l'imagination, quand leurs jeux les entraînent dans l'ancien asile psychiatrique abandonné.
Mais progressivement la bogue s'ouvre et le monde extérieur, souvent hostile, l'école , discriminante, la famille, parfois toxique, et surtout les peurs inculquées aux filles et dans lesquelles elles grandissent, achèvent de projeter les petits marrons jumeaux qui y étaient blottis dans des trajectoires différentes: "Parfois, je me disais que grandir en étant une fille, c'était apprendre à avoir peur. Pas exactement à être parano, mais à toujours rester sur ses gardes et lucide, comme quand on vérifie l'emplacement de la sortie de secours au cinéma ou à l'hôtel. Vous découvriez, avec une acuité inconnue dans l'enfance, la vulnérabilité du
corps que vous habitiez, ses fortifications imparfaites."
Et l'univers qui s'ouvre est celui d'une perte d'autonomie et de liberté: "Vous grandissez, et à cause de toutes les histoires qu'on vous raconte vous apprenez comment est le monde, et vous commencez à perdre des libertés."
Se perd aussi cette amitié qui était comme un bouclier et chacune est contrainte d'entrer dans l'arène seule, sous le regard sans bienveillance des Autres:" nous nous sentions désormais en représentation dans un théâtre de l'étrange."
Cette cruelle "éducation"des filles retient l'attention, mais
Claire Messud, en flirtant avec le thriller, le roman noir, mais sans poursuivre, crée aussi d'autres attentes, et les déçoit. L'analyse perd en force, de même que la tension du récit se brouille et s'enlise elle aussi.
Qui trop embrasse...
Ce mélange des genres pourtant aurait pu être réussi - si les deux fils avaient été mieux tenus, plus intriqués et surtout leur tissage plus abouti. On court deux lièvres à la fois, et on n'en attrape aucun, m'a-t-il semblé.
Dommage.
Sans doute reviendrai-je vers cette auteure dont le propos ne manque ni de pénétration ni de justesse.