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EAN : 9782756114040
176 pages
Léo Scheer (11/01/2023)
3.58/5   25 notes
Résumé :
En 1977, la narratrice vient d’avoir 18 ans. Trois ans plus tôt, elle a fait ses débuts de comédienne. Un soir, après le spectacle, un visiteur se présente dans sa loge du Théâtre de la Ville pour la saluer. Commence alors, avec cet homme hors du commun, de trente-sept ans son aîné, une véritable passion amoureuse. C’est en voyant réapparaître par hasard, au fond d’un tiroir, un Polaroid pris par sa sœur à l’époque, que la romancière a eu, après toutes ces années, l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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«La main dans la main, par les rues nous irons»

Dans son nouveau roman, Nathalie Rheims raconte sa rencontre avec Marcel Mouloudji et leur liaison à la fin des années 1970. L'occasion de revivre cette période intense et de rendre hommage à un artiste aussi talentueux que tourmenté.

Il arrive que certains textes s'imposent d'eux-mêmes, comme portés par une impérieuse nécessité. Nathalie Rheims travaillait sur un roman lorsqu'elle a ressenti comme une évidence le besoin de poursuivre l'exploration de sa vie. Après avoir raconté son initiation amoureuse à 14 ans avec un homme mur dans Place Colette – qu'aucun éditeur ne pourrait publier aujourd'hui sans s'exposer au lynchage – elle se devait de raconter sa liaison avec Marcel Mouloudji.
C'est dans sa loge qu'elle rencontre le chanteur, dont jamais elle n'écrira le nom. Accompagné d'un ami, il était venu féliciter la jeune comédienne de 18 ans pour sa prestation aux côtés de Maria Casarès dans La Mante polaire. «Il me tendit la main, et me dit qu'il avait beaucoup aimé le spectacle. Que ma présence l'avait à la fois ému et impressionné. Je n'en revenais pas d'entendre ces mots, si gentils, manifestement sincères, et remplis d'une douceur insaisissable.»
Après avoir réussi le concours d'entrée au Conservatoire, et réussi ainsi à quitter le milieu scolaire qu'elle détestait, elle était parvenue à décrocher ce rôle, sorte de bréviaire pour la gloire.
Elle avoue à son admirateur qu'elle adore ses chansons, que «Faut vivre» est sa préférée, et lui promet qu'elle viendrait assister à son tour de chant à la villa d'Este. Mais elle sait déjà qu'un coup de foudre vient de tonner, malgré leurs 35 ans d'écart.
C'est après ce spectacle, en novembre 1977, qu'ils déambulent dans Paris, se racontent leurs vies respectives, se prennent la main et finissent par s'embrasser.
Commence alors pour l'amoureuse une exploration intensive de la vie et de l'oeuvre de cet artiste aux talents multiples. Elle se plonge dans ses livres, écoute tous ses disques, découvre son enfance difficile auprès d'une mère qui finira internée en asile psychiatrique. À 12 ans, il rencontre Jean-Louis Barrault et fait ses débuts sur scène. Au fil des rencontres, il va alors toucher non seulement au théâtre, mais aussi au cinéma, à la peinture, à la littérature et à la chanson. Au moment où commence sa relation avec la narratrice, il vient de perdre ses trois pères adoptifs: «Raymond Queneau, son protecteur chez Gallimard, était parti le premier, le 25 octobre 1976, Marcel Duhamel, son protecteur dans la vie, ne tarda pas à le suivre, le 6 mars 1977, et enfin Jacques Prévert, son ultime père, le 11 avril 1977».
Prévert et le groupe Octobre qu'il fréquenta longtemps avant d'être admis au sein du clan Sartre, de faire corriger ses textes par Simone de Beauvoir.
L'occasion pour le lecteur de constater alors combien Paris comptait de talents et combien les arts se nourrissaient les uns des autres. C'est aussi à cette source que la jeune comédienne, passionnée par la chanson française, vient s'abreuver. Même s'il n'a rien d'un pygmalion, le nouvel homme de sa vie est riche d'une belle expérience, a connu bien des hauts, mais aussi des bas et avance dans la vie avec le regard vif, mais teinté de mélancolie. Il sait combien sa liaison est fragile, qu'il doit composer avec une femme jalouse et qu'il ne peut offrir un avenir à sa nouvelle conquête.
Il ne reste désormais qu'à profiter des quelques rencontres furtives. Il ne reste que l'amour. Intense et sincère, même s'il n'est vécu que par brèves séquences.
Nathalie Rheims raconte cet épisode de sa vie avec la fraîcheur de ce moment. Sa plume est vive, plein d'allégresse. Elle nous fait partager ses découvertes en plongeant dans la vie et l'oeuvre de Mouloudji comme dans une folle farandole. Et c'est avec ce même bonheur qu'on se laisse entraîner avec elle.


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Tout commence par un Polaroid trouvé dans un fond d'un tiroir. Il avait été pris par la soeur de Nathalie Rheims et montre Nathalie en compagnie d'un homme plus âgé dans un moment de complicité.
Elle nous préviens qu'il ne s'agit pas d'un récit biographique pour autant mais il reste très intimiste. J'ai parfois été limite gênée, j'avais l'impression de faire du voyeurisme.
Pour vraiment apprécier ce livre, il faut connaitre les références des oeuvres citées ou faire des recherches pour découvrir qui est cet homme que l'on pense déjà connaitre
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Nathalie Rheims a choisi d'être à contre-courant de l'actualité dénonçant l'emprise exercée par des hommes d'âge mur sur de très jeunes filles pour les abuser sexuellement.
Je ne lirai probablement pas son roman d'autofiction "Place Colette" mais ici, dans "Au long des jours" elle annonce qu'à dix-huit ans, elle sait ce qu'elle fait et qu'elle aime les vieux. Elle a le droit et je pense effectivement qu'il peut y avoir des histoires d'amour passionnelles avec une grande différence d'âge.

Il faut dire qu'elle tombe amoureuse de Marcel Mouloudji et on peut comprendre qu'elle soit sous le charme de cet homme dont la douceur semble être à la hauteur de son talent. Il pétille du haut de ses cinquante-cinq ans et ils passent beaucoup de temps à marcher et parler ensemble en cette année 1977. Période un peu difficile pour lui après la perte de ses amis et protecteurs du groupe Octobre, on comprend aussi qu'il aime se réfugier à l'occasion dans les bras de celle qu'il appelle "sa gamine". Des gamins il en a déjà eu deux hors mariage et il avoue sans mentir qu'il aime les femmes, une façon de dire son infidélité permanente.
Elle le vouvoie alors qu'il la tutoie mais on les sent complices. Jusque-là c'est plutôt une belle histoire d'amour dont on sait qu'elle ne durera pas. Nathalie Rheims, jeune comédienne prometteuse à l'époque, la raconte aujourd'hui probablement parce qu'il y a prescription sur le secret de cette relation qu'elle s'était juré de garder.

Si j'ai aimé ces beaux moments intimes et secrets ponctués par les chansons poétiques de Mouloudji comme ce titre de "Au long des jours", je trouve qu'elle utilise un peu trop souvent les textes de ses livres en citations. Bon, on peut dire que cela donne envie de se plonger dans ses récits et romans écrits depuis les années 1940. Malheureusement, je la trouve beaucoup moins fair-play dans sa façon de dresser un portrait à charge de Liliane Patrick, la compagne officielle de celui qu'elle aime et dont il ne cesse de se plaindre pour sa jalousie maladive (il semble qu'il y a de quoi).
Pour autant, cela m'a permis de réécouter les belles chansons de Mouloudji qui sont toujours aussi émouvantes.


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Je ne m'attendais à rien de spécial en ouvrant ce livre, mais j'ai pourtant été déçue. Nathalie Rheims dresse l'autobiographie d'une partie de son enfance, une enfance peu commune, où il est question de sexe, de passion et d'amour. A 18 ans, elle s'éprend d'un homme marié, de trente-sept ans son aîné, avec qui elle va entamer une douce histoire, éloignée des normes conventionnelles, qui peut perturber voire choquer les esprits parfois étriqués.

Sans jamais citer le nom du mystérieux homme qui partage désormais sa vie, les plus aguerris pourront aisément reconnaître un homme à la célébrité avérée, autant chanteur, qu'auteur, compositeur, interprète, peintre et acteur. Les références à ses oeuvres, les extraits de ses chansons, les mentions de ses amis… sont autant d'indices qui nous permettent de mettre un nom sur la personne qui pose en couverture à côté de l'auteure. Je n'avais personnellement jamais entendu parler de cet homme, mais j'ai écouté quelques-unes de ses chansons, par pure curiosité, histoire de le rendre encore plus vivant sous les pages.

Cette histoire aurait pu être attendrissante, mais je me suis souvent sentie gênée en lisant les passages de ce livre. Il faut dire que cette liaison, entre une adolescente de 18 ans et un homme de 55 ans n'est pas commune, d'autant quand on sait qu'elle n'est pas fictionnelle. Nathalie Rheims nous dévoile en toute intimité sa rencontre avec cet homme, leurs rendez-vous clandestins, des scènes intimistes qui se jouent entre eux et nous parle en toute franchise, avec un peu de pudeur, de ses sentiments, qui ne m'ont pas l'air d'être réellement réciproques. J'avais l'impression de voir naître une histoire d'amour à sens unique, avec une passion dévorante d'un côté et une aventure dans la retenue et le secret de l'autre. Car cet homme, du haut de ses 55 ans, était à cette époque-là marié à une femme avec qui il avait des enfants.

Honnêtement, je ne pense pas être le public cible de ce livre, qui doit être plus orienté vers les 60-70 ans, qui ont grandi avec l'ensemble des artistes mentionnés, qui peuvent reconnaître et comprendre les références sans toutefois aller chercher sur Internet à qui ou de quoi parlent chaque page. Enfin, je suis restée quelque peu étrangère à toute l'histoire qui se déroulait sous mes yeux et je n'ai pas été touchée par les élans d'affection de ces deux êtres que tout (ou presque) oppose.

Une autobiographie intimiste, où Nathalie Rheims nous dévoile avec candeur et pudeur sa liaison passionnée avec un homme de trente-sept ans son aîné. Malgré une plume soignée et travaillée, je suis restée hermétique à l'histoire, qui ne m'a pas forcément plût.
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Nathalie Rheims se raconte de roman en roman, et j'avoue que j'aime cette écriture intime et universelle à la fois. Ici, c'est un vieux Polaroïd la représentant avec un homme et pris par sa soeur qui est à l'origine de son 23e roman.
Dans Au long des jours, le lecteur part à la rencontre d'une jeune Nathalie de 18 ans. Depuis des années elle rêve de faire du théâtre. Une condition imposée par son père lorsqu'il rend les armes et accepte qu'elle quitte l'école si elle réussit à rentrer au Conservatoire.
C'est chose faite alors qu'elle a à peine 15 ans. Et la voilà qui joue rapidement avec des troupes d'acteurs plus âgés qu'elle, jeune artiste en devenir, adolescente sage qui s'endort avant les autres lors des tournées dans les théâtres de province.

Un soir, une amie arrive dans sa loge avec son ami qui est accompagné d'un homme bien plus âgé qu'elle. Pour Nathalie c'est le coup de foudre, immédiat, instantané. Un regard, quelques mots échangés, et lui vient aussitôt l'envie d'aller l'écouter chanter, car elle l'a reconnu et aime ce qu'il propose aux spectateurs et amateurs de ses textes et de sa musique.

C'est cette rencontre que l'autrice nous fait vivre ici. Mais aucunement de façon déplacée, au contraire, il y a la fois fois une grande pudeur et une étonnante sincérité dans les mots qui disent les regards, les échanges, les discussions, les gestes, qu'elle a avec cet homme qui a plus de 35 ans de plus qu'elle mais dont elle se sent si proche.
Si elle ne donne jamais son nom, sa photo en couverture du livre, son sourire, mais surtout les textes de ses chansons nous le dévoilent sans aucune hésitation.
Mouloudji, français par sa mère, musulman par son père comme il le chantait, est un beau brun ténébreux au sourire dévastateur. C'est aussi un homme marié qui aime les femmes et ne s'en lasse pas, sans doute une conséquence de son enfance malheureuse auprès d'une mère malade. Loin de vouloir être voyeur ou d'étaler son intimité, ce roman, car c'en est un, nous faire pénétrer dans l'âme et les sentiments d'une jeune fille des années 70 bien dans sa vie, dans sa peau, dans son coeur et son corps.
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critiques presse (2)
LaLibreBelgique
03 février 2023
Impressionniste et troublé comme les amours cachées, saupoudré d'un parfum de nostalgie qui replonge le lecteur dans le Paris des années 70, et parfois 30, aux belles heures...
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeMonde
16 janvier 2023
A la manière de la photo retrouvée – un Polaroid –, Nathalie Rheims polarise la lumière, de son écriture immédiate et sensible, sur la personnalité complexe du chanteur.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Le trac, la gorge serrée. Sur le clavier, mes mains tremblent. Pourquoi raconter cette histoire?
Celle de ma relation précoce avec Pierre, dans Place Colette, n’avait-elle pas suffisamment fait parler d’elle ?
Avec ce récit de ma première liaison, sorti il y a huit ans, j’ai eu le sentiment d’être miraculeusement passée entre les gouttes. L’initiation sexuelle d’une jeune fille de quatorze ans qui assume sa démarche, refusant de se présenter comme victime, aujourd’hui, aucun éditeur ne pourrait la publier sans s’exposer au lynchage.
Alors, qu’est-ce qui me pousse à révéler la suite de ma vie la plus intime, d’en écrire le chapitre suivant? J’avais dix-huit ans, un âge où la question du consentement ne se pose plus, sinon autrement.
Pourtant, ce n’est pas ça qui m’a donné envie de replonger, une fois de plus, dans les recoins invisibles de ma mémoire.
Un roman, un vrai. Je viens de passer plusieurs semaines à tenter d’en écrire un. Mais à quoi bon?

Pourquoi inventer une fiction alors que le réel me fait signe? Tel un serpent, il s’enroule autour de ma mémoire sans plus laisser de place à l’imagination.
En fait, je me moque de ce qui n’a pas été vécu. Ce serait si facile de renoncer à vivre pour ne pas mourir. Je lance ce défi à tout ce qui n’a pas eu lieu, pour mieux affronter ce qui a véritablement pris corps. Ce n’est qu’une question de dosage entre la vérité pure et la matière évanescente de nos souvenirs.
À une époque où la grisaille a fini par nous envahir, où le passé a plongé dans l’obscurité ceux qui ne furent que des étoiles filantes, à l’image des réverbères allumés, la nuit, le long des quais de Seine, quelle serait la trace d’une vie ?
La jouissance d’un secret bien gardé, c’est la certitude de ne jamais être capturée par une image, jetée en pâture au regard de tous.
*
Le silence. Puis les trois coups. Un bruissement sourd montait depuis l’immense salle du Théâtre de la Ville. Plongée dans le noir. Nous étions en 1977.
C’était à la fin de ma première année au Centre dramatique de la rue Blanche. J’avais entendu parler d’une audition importante qui devait avoir lieu bientôt. Déjà, pour moi, avoir réussi le concours Au long des jours d’entrée de cette École nationale supérieure était un bonheur inégalable.
J’aurais préféré arrêter mes études avant la terminale. Je détestais l’école, je me trouvais nulle, je m’y sentais malheureuse en tout, sauf en français et en histoire, mes deux passions de toujours.
Mais rien à voir avec l’exaltation que me procurait le théâtre. À quelques mois du bac, j’en avais parlé à mon père. Il avait hésité et, après avoir réfléchi, il avait fini par me lancer ce défi: « Si tu réussis à entrer au Conservatoire, je t’autorise à arrêter le lycée. »
À l’âge de 15 ans, trois ans plus tôt, je m’étais déjà inscrite à un cours. Je répétais dans ma chambre durant des heures. Pierre m’avait initiée au sexe, mais il m’avait aussi ouvert le chemin de ce métier magique, qui ne peut exister que sur scène.
Je me sentais portée par un désir qui me dépassait.
À la fin du premier tour du concours d’entrée de « la rue Blanche », nous n’étions plus que cinquante candidats sur les six cents présents sur la ligne de départ.
Au deuxième tour, quinze jours plus tard, il fallait se confronter à ce qu’on appelle la « scène imposée », en l’occurrence, un monologue d’Elvire dans Dom Juan :
Ne soyez pas surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage.
Méchant contre-emploi, car j’étais plus proche de l’Agnès de L’École des femmes. Pour la scène de mon choix, je décidai de jouer Églé dans La Dispute de Marivaux.
Trois jours après, je découvrais mon nom parmi ceux des dix-sept survivants. J’étais prise
dans la prestigieuse classe de Michel Favory, que j’admirais tant. Le monde m’appartenait, c’était le plus beau jour de ma vie !
J’appelai mon père pour lui annoncer la bonne nouvelle. Après un court silence, il s’exclama :
« Ben alors, c’est la quille ! »
Mais c’était beaucoup plus que ça. C’était toutes les quilles de la Terre, le grand air, celui de la liberté.
Et me voici donc, jeune actrice, dans ce couloir du Théâtre de la Ville, assise sur ma chaise comme une présumée coupable, avant l’audience du tribunal, au milieu de toutes ces filles qui attendaient, elles aussi, que l’on décide de leur sort.
Déjà, passer une audition devant Jorge Lavelli, qui mettait en scène une pièce de Serge Rezvani, La Mante polaire, sur la vie de la Grande Catherine Au long des jours de Russie ; mais je savais qu’en plus, c’était Maria Casarès qui devait interpréter le rôle-titre.
Le metteur en scène cherchait une comédienne qui jouerait deux rôles : celui du « guide » des étudiants, au lever du rideau, puis, plus tard, Catherine enfant incarnant les rêves de la future impératrice. Trois filles avaient déjà été appelées, chacune était restée environ un quart d’heure.
Celles qui ressortaient de la salle étaient assaillies de questions par les autres, qui attendaient leur tour. Moi, je n’écoutais rien, je restais concentrée, le cerveau vide.
Vingt minutes plus tard, j’entendis quelqu’un prononcer mon nom. J’attrapai ma veste et mon sac. L’assistante ouvrit une porte qui donnait sur l’immense salle de théâtre.
Le trac commençait à monter. Je découvris un espace, dans la pénombre, éclairé seulement
par une lampe accrochée à un immense tréteau de bois posé sur des trépieds au milieu de la salle. Je distinguai cinq silhouettes installées derrière cet échafaudage improvisé. La scène ressemblait au pont d’un gigantesque navire voguant dans la nuit.
L’assistante me fit signe de rejoindre la scène.
Je montai les quelques marches qui séparaient les ténèbres du paradis, puis j’entendis un homme que je ne parvenais pas à reconnaître, à contre-jour, me demander avec un fort accent latino-américain de me présenter.
Je me lançai. Qui j’étais. D’où je venais. Ce que j’aimerais faire. Je les entendais rire, en face.
Il m’ordonna alors de lui réciter un poème.
J’avais choisi « Les Bijoux » de Baudelaire. Ensuite, il me dit de ramasser une brochure posée sur le sol du proscenium et de lire le premier monologue de la première page. Je m’exécutai.
Puis le silence. J’entendis seulement des chuchotements. Les secondes passaient aussi lentement que des heures. Soudain, un : « Bon, on arrête là ! » me prit par surprise.
Je restai debout sur la scène comme une poupée inerte.
C’est alors que je sentis quelqu’un s’approcher de moi dans le clair-obscur.
« Je vous prends. Pour le reste, voyez avec mon assistante. »
J’avais beau ne pas avoir conscience de l’enjeu, ni des personnalités qui m’entouraient, je me sentis comme soulevée par une émotion irrésistible. Nul besoin de percevoir précisément ce qui m’arrivait, je le vivais comme l’aboutissement de ces quatre années d’initiation à la vie adulte.
Depuis le temps, ma relation avec Pierre s’était progressivement estompée, comme si j’avais fini par faire le tour de ce que j’avais osé appeler un «détournement de majeur», et que la véritable passion qu’il avait fait naître en moi, celle du théâtre, avait fini par prendre le dessus.
Je commençais à avoir une certaine expérience de ce milieu si fermé. En quatre ans, avant même de réussir ce concours d’entrée, je m’y étais sentie comme en famille, sans me poser de questions sur ceux avec qui je partageais la scène, comme si tout était allé de soi.
J’avais commencé par jouer au Théâtre Montansier de Versailles. Je n’avais alors que 15 ans. C’est Marcelle Tassencourt, la directrice, qui m’avait repérée dans la classe de Périmony. Elle m’avait proposé de les rejoindre, elle et son mari, Thierry Maulnier, figure intellectuelle de l’entre-deux-guerres et de la Libération. C’était pour
Le Médecin malgré lui, où je serais Lucinde. J’avais aussi joué dans Le Tartuffe, interprété par Roger Hanin. Nous étions partis avec la troupe en tournée à travers la France, mais comme je n’avais pas l’âge requis, c’est lui qui avait signé le document par lequel il s’engageait, pour le temps de la tournée, à devenir mon tuteur. Il avait pris son rôle très au sérieux. À l’issue de chaque représentation, il me raccompagnait à l’hôtel, puis, après m’avoir embrassée sur le front, il me disait : « File dans ta chambre ! »
Une fois dans mon lit, j’imaginais les grandes tablées, faites de rires, d’anecdotes et de vin. J’étais trop jeune pour les partager avec eux, mais cela ne m’empêchait pas d’être Marianne, chaque soir, avec passion.
J’étais en immersion dans le théâtre. Ce qui me laissait de moins en moins de temps pour le reste de ma vie. Juste après mon entrée à la rue Blanche, La Mante polaire m’avait semblé être une étape décisive.
Le fait de partager des moments avec un «monstre sacré» comme Maria Casarès m’apparaissait à la fois sublime et très simple, presque banal. Je ne comprenais pas vraiment ce que je vivais, ni avec qui. Je me laissais guider par mon instinct.
Je me tournai vers les mots avec avidité, ils étaient devenus ma nourriture quotidienne, mon principal repère dans cette destinée que je faisais mienne. Au début, j’avais principalement été éblouie par ceux de Molière ou de La Fontaine.
Puis, progressivement, le périmètre s’était élargi, et je m’étais mise à devenir curieuse de tous les grands textes, classiques comme contemporains.
*
La chaleur devenait plus intense, je la recevais comme une brûlure. Nous étions au début de l’été. Les répétitions de La Mante polaire avaient commencé sous le grand dôme niché au sommet du Théâtre de la Ville. C’était une vaste salle dont le parquet faisait résonner le moindre de nos pas. Nous étions tous pieds nus pour mieux en ressentir les vibrations.
Maria Casarès était présente chaque jour, avec ses éclats de rire, les cigarettes qu’elle grillait les unes après les autres au point de faire flotter dans l’air un paysage de brume. J’ai encore d’elle, en tête, tous les instants de grâce où son beau visage formait une œuvre d’art. Se
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À partir de là, il fut condamné à vivre dans la galère du donjuanisme, dont le symptôme est : "Plus il y en a, plus on est seul." J'avais bien connu cette "maladie" chez mon père, qui en était, lui aussi, très atteint. J'avais appris, à ses côtés, à force de lui servir d'alibi pour ses mensonges incessants, un certain "mode d'emploi".
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Et pourtant, je devinais, sans vraiment l’analyser, pourquoi je persistais dans cette reproduction amoureuse pour un homme comme lui. L'envie de conquérir un cœur beaucoup plus âgé me renvoyait à la peur panique, chez moi, d’être abandonnée.
Je savais, avec certitude, que je désirais cette histoire avec lui, quelle qu'en soit la nature, comme si ce désir obsédant de me retrouver dans ses bras me donnait des ailes pour me jeter tout entière dans mon autre passion: la scène. p. 51
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Il faut partir si vite. Déjà, mais où ? Pourquoi ?
Qu'ai-je vu ? Rien. Si tôt il faut plier bagage
Comment croire à la vie à n'importe quel âge
Puisque l'on sait d'avance où finit le voyage.
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La jouissance d'un secret bien gardé, c'est la certitude de ne jamais être capturée par une image, jetée en pâture au regard de tous.
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