Les sexes sont peut-être plus parents qu'on ne le croit ; et le grand renouvellement du monde tiendra sans doute en ceci : l'homme et la femme libérés de toutes leurs erreurs, de toutes leurs difficultés, ne se rechercheront plus comme des contraires, mais comme des frères et soeurs, comme des proches. Ils uniront leurs humanités pour supporter ensemble, gravement, patiemment, le poids de la chair difficile qui leur a été donnée.
Poème « Fille amoureuse »
C'est ma fenêtre. A cette minute,
je suis sorti si doucement
du sommeil, j'y flottais encore.
Où a sa limite ma vie
Et où commence la nuit ?
Je pouvais imaginer que tout autour de moi
n'était encore que moi ;
Comme la profondeur d'un cristal, profondément
muet, translucide, éteint.
J'ai de l'espace à revendre en moi
Pour les étoiles aussi : si plein d'espace
Sent mon cœur ; si légèrement
cela lâcherait-il celui que,
pour autant que je sache, j'ai commencé
à aimer, il se peut que ce soit le serrer dans mes bras.
Étrange, comme si elle n'avait jamais été cartographiée,
ma fortune reste incalculable.
Pourquoi suis-je couché
Sous cet infini,
Parfumé comme un pré,
Je me déplaçais ici et là,
appelant, mais craignant que
quelqu'un n'entende le cri,
destiné à disparaître
dans un autre moi.
Est-ce la force qui me manque ? Ma volonté est-elle malade ? Ou est-ce le rêve en moi qui entrave toute action ? Les jours passent, quelques fois j'entends passer la vie. Et rien ne s'est encore produit, il n'y a encore rien de réel autour de moi ; je ne cesse de me diviser et de me perdre en ruisselets, quand je voudrais n'avoir qu'un lit et grandir. Car il doit en être ainsi, Lou, n'est-ce pas : nous voulons être comme un fleuve, et non nous canaliser pour irriguer des prairies ? N'est-ce pas, nous devons nous rassembler et gronder ? Peut-être aurons-nous le droit, un jour, quand nous serons très vieux, tout à la fin, de céder, de nous répandre en un delta... Chère Lou !
Nous sommes les abeilles de l'Invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible, pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'Invisible.
Rodin, né dans la pauvreté et de basse condition, a vu mieux que personne que toute beauté, dans l'homme, l'animal ou les choses, est menacée par les circonstances et par le temps, qu'elle est un moment, une jeunesse qui passe à travers tous les âges, mais ne dure pas.
"L"heure grave"
Poème de Rainer Maria Rilke, chanté par Colette Magny