Dans ce livre, je retrouve beaucoup de ce que j'aime, il est donc fort possible que je m'autorise quelques digressions pour appuyer ce qui me passe par la tête. Comment faire autrement puisque ce livre parle d'une famille d'artistes-peintres dont l'auteur est un descendant. Oui comment faire autrement que de passer d'une idée à l'autre comme si je faisais moi aussi des mélanges sur la palette de mon clavier numérique ? Je ne connaissais pas
Jean-Marie Rouart, ou du moins son nom ne m'était pas familier.
"
Une jeunesse à l'ombre de la lumière" n'est pas un récit linéaire mais une sorte de confession, il n'y a pas de plan prévisible mais un cheminement qui est celui du coeur, et le fil du récit raccomode les amours et les peines, les humiliations et les jouissances de toutes sortes. Cette subtile autobiographie est celle d'un homme devant faire face à sa vie, avec ses interrogations, ses déceptions, ses fuites en avant, ses passions, ses amours, ses renoncements, vécus sous la lumière ou plutôt dans l'ombre gigantesque de l'aura de ses aïeuls. C'est ainsi que je ressens le livre que je termine à peine. Ce livre offre tellement de choses que j'aime, qu'il me semble le connaître depuis toujours. Je citerai pour exemple quelques petites choses à la volée comme des pièces emportées : Venise,
Jean d'Ormesson,
Berthe Morisot, Saint-Sulpice, L'Académie française, le marronnier et j'en oublie. Toutes ses choses qui vivent avec moi depuis si longtemps qu'ils sont un peu à moi.
L'auteur est un idéaliste. Il voit son père peindre comme un artiste, sans chercher l'argent ni la gloire, ce qui le fait vivre une jeunesse assez chiche malgré la fortune familiale.
Jean-Marie a décidé de devenir écrivain, mais peut-il y croire ? Il doute (mais pas nous !). Il a peur de faire fausse route, pourtant c'est dans cette voie que son coeur l'entraîne et nous partons avec lui sur les traces de Leopold Robert, un peintre du début du XIXème qui s'est suicidé, et dont
Jean-Marie se préoccupe au point de faire les mêmes voyages, les mêmes séjours.
Nous sommes embarqués pour un voyage dans le temps, par petites touches, par grands élans brossés à travers le regard de
Jean-Marie enfant, jeune homme, adulte. C'est un livre où les personnages de l'histoire, les écrivains, les peintres et les poètes revivent. Mais ils ne viennent pas à nous sous les traits d'icônes plus ou moins respectés, mais sous l'apparence charnelle d'hommes et de femmes avec leurs faiblesses, leurs dérives, leurs folies.
Ce que j'ai retenu de ce livre témoin d'un temps, c'est que vivre en désaccord avec sa conscience entraîne la chute ; vivre en équilibre entre deux mondes sujets à tremblements est comme de vivre sur une ligne de faille. Lorsque l'on s'en rend compte, quand la fissure se réveille et se révèle, la chute est douloureuse, d'autant qu'elle est brusque.
L'auteur fera plusieurs séjours au château
Du Mesnil, il y trouvera les fantômes impressionnants des célèbres artistes qui y ont séjourné. La mort est présente partout dans ce livre, mais elle est nécessaire, comme il nous le rappelle avec ce poème de Leconte de Lisle :
Et toi, divine mort, où tout rentre et s'efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé,
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l'espace
Et rends-nous le repos que la vie a troublé
et comme lui-même nous le décrit si délicatement dans ces deux extraits choisis :
Je me souviens de son cercueil qui traversa lentement un petit village des Pyrénées, de cette impression que j'éprouvai, si nouvelle pour moi, de la mort. Lola ne m'a jamais quittée. Je lui parle parfois. Je sais qu'elle est quelque part dans un repli de l'irréalité, bienfaisante, dans ce monde si lointain et si proche que nous découvrirons un jour.
(il parle de sa tante)
et aussi dans ce passage où il nous parle de sa mère, restée en retrait mais mise en lumière au moment de sa disparition :
Ma mère en me quittant dans son apparence réelle s'est glissée en moi et je sens sa présence. Il n'est pas un instant, ..., que je ressente cette impression qu'elle est non seulement là, mais qu'elle s'est tissée dans les fibres de mon être ; ... , mon coeur qui bat n'est plus seulement le mien, il bat à l'unisson avec celui de ma mère. Il me semble que désormais c'est avec ses yeux que je regarde le monde.
C'est superbement dit ! très émouvant. Je m'arrête là pour ce livre que je recommande à ceux qui veulent gratter un peu la surface des choses sans avoir peur de se noircir les mains mais découvrir au contraire que tous, nous avons un rôle à jouer dans notre vie et que personne ne peut choisir à notre place.