Les enfants de boulangers, la plupart du temps, ont les jambes arquées et les cheveux en broussaille. Les jambes arquées, parce que, tout jeunes, ils doivent porter des charges très lourdes, et les cheveux en broussaille à cause de la farine. Les enfants de bouchers sont gras, les enfants de mécaniciens ont toujours les ongles en deuil, etc. Il me suffit de regarder mes camarades pour savoir quel est le métier de leur père. Je n'ai de problèmes qu'avec les riches. Ils ont tous des cheveux soyeux, des mains fines, des jambes bien droites et ne connaissent rien à rien. L'autre jour, Joseph a expliqué à un de ces petits chéris que ce n'étaient pas les anges qui l'avaient mis au monde, mais sa mère, parce qu'elle avait couché avec son père. Eh bien, le nigaud s'est mis à chialer, en disant que jamais sa mère ne ferait une chose pareille. Mais Joseph ne voulait pas en démordre. Il est venu me trouver pendant la récréation et a sollicité mes lumières sur la question. J'ai répondu ce que je savais. Le môme a dû écouter tous les témoins que Joseph était allé chercher. De retour chez lui, le crétin a refusé de toucher à son repas et, le soir, il a exigé de coucher entre son père et sa mère. L'un et l'autre étaient sans doute très portés sur la chose ce soir-là ; en tout cas, ils ont très mal pris la plaisanterie et, à force de cajoleries, ils ont fini par découvrir la raison de l'étrange comportement de leur petit chéri. Aujourd'hui, le père est venu à l'école pour se plaindre de Joseph, et le pauvre s'est fait punir sévèrement, sous prétexte qu'il a perverti un petit innocent.
Je trouve le père vraiment dégueulasse. Il couche avec la mère mais n'a pas le courage de ses actes et appelle les anges à la rescousse. Mon père hurle bien trop souvent à mon gré qu'il est mon géniteur !
(p. 22-24)
+ Lire la suite