AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Claude Riehl (Traducteur)
EAN : 9782267012279
115 pages
Christian Bourgois Editeur (07/03/2001)
4.35/5   10 notes
Résumé :
ARNO SCHMIDT MIROIRS NOIRS
Avec Miroirs Noirs, le lecteur est reconduit sur les lieux où se déroulait déjà l'action de Scènes de la vie d'un faune et Brand's Haide, les deux premiers volets de la Trilogie Enfants de Nobodaddy. Mais cette fois-ci Ârno Schmidt tâte de l'anticipation : tout se passe entre 1960 et 1962, la Troisième Guerre mondiale, nucléaire, est terminée depuis des années (le roman fut rédigé en 1951, en pleine guerre de Corée) et elle a dévast... >Voir plus
Que lire après Miroirs noirsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Dans ce roman d'anticipation où le monde de 1960 a été dévasté par une Troisième Guerre mondiale, Arno Schmidt se penche tant sur l'humanité que sur l'écriture.

Le narrateur, unique rescapé, survit et lit : des ouvrages de ses auteurs favoris au Reader's Digest (auquel il écrit une lettre endiablée) en passant par des cartes postales aux expéditeurs et destinataires morts. Et comme un prisonnier parcourt les murs de sa cellule avec une craie, ce narrateur écrit, seul dans ce monde en ruines, même s'il n'a pas grand-chose à raconter si ce n'est sa quête de bois, de vivres, ses banals déplacements, etc. ; même s'il n'y a plus de lecteur (« je peux tout écrire et crier : puisque je suis seul !! ») La lune et le vent deviennent des personnages, des compagnons oniriques, le temps devient abstrait. le narrateur cartographie son existence de survivant post-apocalyptique, comme autant de touches impressionnistes, où solitude et fin de l'humanité sont la plus grande des bénédictions.

« Les mots, mon seul bagage. »
Un de mes chers éclaireurs (le cool bilouaustria) disait qu'avec Arno Schmidt, il réapprenait à lire. En plongeant dans Miroirs Noirs, j'entraperçois enfin ce qu'il voulait dire : L'écriture est un jouet. Certains auteurs aiment briser ce jouet et avec les morceaux, créer un autre jouet à leur image, à l'image de leurs jeux, auxquels le lecteur sera bien entendu convié. Céline l'a fait, Joyce en a fait un art, et même de nos jours, des auteurs comme Danielewski s'amusent comme d'espiègles petits fripons goguenards.

Ainsi, Schmidt crée sa forme, sa propre grammaire, comme au cinéma, la Nouvelle Vague a pu le faire : les fragments de l'Allemand sont comme des jump cuts. C'est une écriture de la coupure, au service d'une forte misanthropie et d'un certain malthusianisme. On sent cependant que l'auteur ne fait que s'échauffer, qu'il peut encore aller plus loin, et on veut aller plus loin avec lui.

Sous cette forme clinique et cette grande érudition, le tour de force de l'écrivain réside dans sa façon de distiller une envoûtante poésie, culminant lors des pages où il relate des souvenirs de son enfance (que je me retiens de citer intégralement).

« …si clairs et vides le monde et des grands espaces au pur et froid jeu de couleurs. du haut des larges ponts de bois, on voyait les rails du chemin de fer qui, dans un excitant manque de mansuétude, couraient droit vers le ciel pâlissant ; les champs retournés s'étiraient à perte de vue dans l'azur ; dans les buissons d'épines – figés barbelés – des alizes pendaient tel du feu en grappes ; des gerbes isolées, comme des fagots de fils d'or dodelinant dans les champs ; partout du feuillage s'envolant couleur de magie et du vent cornant d'entre des branches rouges. le long des routes nues des faubourgs, des villas blanches reposaient derrière des jardins aux grilles dissuasives ; les pas bruissaient dans l'or froid du soir. Et lorsqu'on ramassait une de ces grandes feuilles jaunes, qu'on la tenait par la tige molle et froide, se découvrait dessous un étincelant marron rouge : noble demeure pour tel esprit déliré au manteau de soie rouge. Alors s'en venait une brève bourrasque glaciale qui retournait les feuilles traînaillantes, et l'on savait que c'était un genre de créatures à part, dont un grand nombre habitaient ce vaste faubourg mugissant. »

Un miroir noir, c'est peut-être aussi un livre sans lecteur, car sans lecteur, pas de reflet, seulement la réflexion de l'auteur, dans sa zone. «J'éprouve du plaisir à fixer dans les mots des images de la nature, des situations, et à pétrir des histoires brèves.» Et au final, peu importe l'absence de lecteur ou même l'absence d'évènement, tant que la lune colore les nuages, tant que le vent souffle, il faut écrire, pour se rappeler, pour imaginer ; pour montrer ce que l'Homme est capable de produire, en oubliant ce qu'il est surtout capable de détruire. Et alors, un miroir sera peut-être tendu dans le miroir, pour créer une image, une vision d'infini — comme la poésie.

« Finally his language touches me, because he talks to that part of us which insists on drawing profiles on prison walls. A piece of chalk to follow the contours of what is not, or is no longer, or is not yet; the handwriting each one of us will use to compose his own list of 'things that quicken the heart,' to offer, or to erase. In that moment poetry will be made by everyone, and there will be emus in the 'zone.' » — Sans Soleil, Chris Marker
Commenter  J’apprécie          10
Dans « Miroirs Noirs », écrit en 1951, on est déjà plus loin dans le temps, entre mai 1960 et mai 1962, après la Troisième Guerre Mondiale. « Il faudrait un récit où Ulysse et le Hollandais volant seraient un seul et même personnage ». Un homme pédale, avec une petite charrette, seul rescapé apparemment. « Bombes atomiques et bactéries avaient fait du bon boulot ». Dans une seconde partie, le narrateur découvre une autre personne vivante, ce sera Liza, qui a fait quasi un tour de l'Allemagne, sans rencontrer âme qui vive. « L'autopsie nous apprend donc que toute l'Europe centrale est déserte ». Lui écrit. « Elle demanda : « Pourquoi écris-tu encore ? - D'ailleurs pourquoi as-tu écrit des livres ?». Elle siffla la marche de la cavalerie finnoise : pupupi : pupupi : pupupupérupupu (og frihet gar ut fra den ljugande pol) ; elle dit renfrognée : « Donc jamais pour des lecteurs, hein ? Tu ne t'es jamais senti un devoir militant ou «moral»? ».
Mais déjà le texte a changé de forme. Les textes se présentent sous forme de petits paragraphes indentés et justifient d'une typographie spécifique. Chaque paragraphe est précédé d'un titre court en italique, chose qui était déjà dans « Brand's Haide ». Cette dernière est explicitée de façon théorique dans trois essais « Calculs I », « Calculs II » et « Calculs III » publiés dans « Roses et Poireau ». La technique sera bientôt la règle dans « On a marché sur la Lande ». Il s'agit de son dernier roman avant les deux tapuscritts que sont « Abend mit Goldrand » et « Zettel's Traum », dont seul le premier a été pour l'instant traduit en « Soir Bordé d'Or ».
Commenter  J’apprécie          00
Une étonnante balade solitaire dans une Allemagne sans humains post-échange nucléaire entre Grands.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/03/30/note-de-lecture-miroirs-noirs-arno-schmidt/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Le coin de lune fut enfoncé dans un nuage, qui s’écartela lentement ; une lumière ténue, margarinienne, tomba sur la photo de sous-officier à côté de la porte : le remerciement de la mère patrie : en ce bon vieux temps après la Première Guerre mondiale, cela signifiait : un orgue de Barbarie, et un écriteau au cou . (Mais par deux fois les Allemands réclamèrent de nouveau à grands cris des « Garde à vous ! » et des « Qu’il est beau d’être soldat ! » : they asked for it, and they got it !)
Commenter  J’apprécie          40
Frein-pédale : (qui couine quand je m’arrête ; je m’en vais te huiler demain). Par précaution je braquai le canon de ma carabine sur l’épave crasseuse : épaisse couche de poussière sur les vitres ; je dus taper dessus avec la crosse pour que la portière s’ouvre un peu. Vide à l’arrière ; une madame squelette au volant (donc comme toujours depuis ces cinq ans !) ; well : vous souhaite bien des félicités ! Mais il commençait déjà à faire sombre, et je ne faisais toujours pas confiance au créatorium : fougères-traquenards, railleries d’oiseaux : j’étais paré avec dix coups dans l’automatique : donc tricotez gambettes !
Commenter  J’apprécie          20
Couvertures déroulées et sur les éternels terrains de chasse de l’imagination : il faudrait un récit où Ulysse et le Hollandais volant seraient un seul et même personnage. Le vent se leva et les grands sapins parlèrent d’une voix grave et mugissante. Que l’humanité ait dû effectivement recourir aux 3 géométries pour se faire une représentation du monde est un sujet qui mérite encore réflexion : l’euclidienne du temps d’Homère (l’oikoumenê en tant que surface plane) ; puis Comas, dont le terrarium représente en fait un morceau de pseudo-sphère avec la pour pôle, et qui a prévalu pendant des siècles ; et enfin la surface du géoïde ; intéressant. La lune apparut triste et brillante au carreau de la fenêtre. Je n’avais plus vu d’être humain depuis cinq ans et n’en étais pas fâché ; c’est-à-dire. Avec cette clarté jaune mat, on ne pouvait pas lire non plus ; je sortis un livre de la mallette : non, juste le titre ; je fis un signe de regret avec les mains (trop paresseux pour rallumer la lumière). Mieux vaut dormir. – La montre ? Tictaquait sur la tablette de la fenêtre. Ne plus penser. Le renard aussi devait vouloir dormir, à preuve les chuchotis derrière les murs comme de petites bêtes et de paille folle. J’étais en sûreté.
Commenter  J’apprécie          00
Je pris à l’arrière le pied-de-biche et le pistolet : < SUHM > il y avait marqué sur la porte, et à côté une réclame pour le loto. J’enfonçai la pointe du lourd burin en haut dans le bois ; puis en bas ; la serrure sauta en glapissant, flash and report.
Commenter  J’apprécie          20

>Littérature (Belles-lettres)>Littérature des langues germaniques. Allemand>Romans, contes, nouvelles (879)
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (19) Voir plus



Quiz Voir plus

Portraits d'écrivains par des peintres

Bien avant de devenir Premier peintre du roi, et de réaliser les décors de la galerie des Glaces à Versailles, Charles Le Brun fut élève de Simon Vouet. De quel tragédien fit-il le portrait en 1642 ?

Corneille
Desmarets de Saint-Sorlin
Molière
Racine

12 questions
38 lecteurs ont répondu
Thèmes : portraits d'écrivains , Peinture française , peinture anglaiseCréer un quiz sur ce livre

{* *}