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Alastair B. Duncan (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782707303523
261 pages
Editions de Minuit (01/02/1961)
4.16/5   64 notes
Résumé :
Ce roman tourne autour des hésitations de Louise. Elle ne sait si elle doit quitter son mari pour son amant, si sa vielle tante va mourir, et les dilemmes qu'elle subit en font un personnage déchiré entre ces choix. Les dix jours d'agonie de Marie font prendre conscience à Louise de son incapacité à partir.
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
A la recherche des temps perdus…

L'Herbe fait partie de ces livres, vous savez ces livres que nous qualifions peu à peu de chef d'oeuvre au fur et à mesure de notre lecture tant nous sommes émerveillés, conscients de la plume magnifique et singulière qui se déploie sous nos yeux, qui nous enveloppe, cette plume d'ailleurs qui ne veut jamais s'arrêter de voler avec Claude Simon, de précisément énoncer, de préciser, cette plume qui ne cesse de vouloir épingler l'indicible, qui arrive à étirer le temps, l'allonger, l'accélérer, à coups de parenthèses enchâssées en autant de tableaux fragmentés et sensibles.

Je ne remercierais jamais assez Anna (@Annacan) qui, en me mettant sur le chemin de l'acacia, m'a d'abord fait faire un détour dans L'Herbe sur laquelle je me suis en premier lieu assise prudemment, puis couchée avec confiance, pour finir par me rouler dedans, avec délectation. Je viens de découvrir un auteur incroyable. Claude Simon, Prix Nobel de littérature en 1985. Je n'ai aucune base de comparaison avec ses autres livres, celui-ci étant le premier de cet auteur que je lis, et sa plume fait partie sans conteste des expériences de littérature dont je raffole tant.

« Louise, maintenant étendue dans l'herbe, inerte, sans un mouvement, comme morte, pouvant voir au-dessus d'elle le ciel devenu semblable à une plaque de verre devant laquelle ou plutôt sur laquelle semblaient peintes les petites feuilles en forme de coeur, d'un vert presque noir maintenant, dessinées avec précision, avec leurs fines et délicates nervures ton sur ton, et, à présent, parfaitement immobiles elles aussi, les branches parfaitement immobiles, l'air immobile, tandis que s'apaisait en elle par degrés ce tumulte, cette rumeur : éprouvant cette sensation du nageur qui remonte à la surface, traversant l'une après l'autre les couches successives, de plus en plus lumineuses, reprenant conscience de son poids, comme si la terre sous elle se reconstituait, reprenait peu à peu sa rude et dure consistance, pouvant percevoir, incrustés dans son dos, chacun des brins d'herbe écrasés, comme si elle pouvait voir (aux saillies de son corps, aux omoplates, aux reins) les taches jaune-vert sur sa robe claire, sentant l'odeur, la senteur végétale, humide, la pénétrant, comme si ce n'était pas de l'herbe foulées qu'elle s'exhalait mais des profondeurs, du sein même de la terre, pensant : Voilà. Je suis morte -, pensant : C'est bien. J'étais tellement fatiguée, tellement… ».

L'histoire pourtant semble banale de prime abord : Louise souhaite quitter son mari, Georges, et a d'ailleurs un amant. La vieille tante de Georges, Marie, vit ses derniers jours et pour cette raison la famille se réunit autour d'elle. Il y son frère Pierre et sa femme Sabine, leur fils Georges et donc leur belle fille Louise. Huit-clos d'une dizaine de jours.
Marie, ancienne institutrice issue d'une famille rurale du début du XXème siècle, a tout sacrifié avec sa soeur Eugénie, pour élever le petit frère Pierre, de quinze ans son cadet, et en faire un professeur.
Louise traverse ainsi une double crise : celle de la mort d'un être cher, qui l'aime sans rien demander en retour, et qui l'a toujours interpellée et celle d'une décision à prendre. Louise, en partant, pourra-t-elle se libérer de l'emprise d'une belle-famille provinciale bourgeoise et décadente ? Marie, en lui léguant, à elle, elle "qui ne lui est rien", une vieille boite à berlingots rouillée dans laquelle il y a quelques bijoux et des carnets de compte, ne l'oblige-t-elle pas ?

Voilà donc le drame provincial bien anodin qui constitue la trame de ce livre. de ce drame, Claude Simon va faire un chef d'oeuvre.
La jeune femme est secouée par des émotions contraires et, en se plaçant de son point de vue, Claude Simon va restituer à la perfection l'expérience de la jeune femme en nous donnant à vivre ses émotions à l'aune des sens : sons, odeurs, vue…

Des odeurs de roses fanées, l'entêtante senteur des poires pourrissantes, donnent une ambiance surannée à ce livre, un charme indéfinissable, la nostalgie des campagnes provinciales. Dans lesquelles il y a « Rien que cet entêtant et sans doute imaginaire parfum de fraîcheur, de virginité et de temps accumulé ».
Les sons d'insectes, de train, de monologues absurdes (les monologues pathétiques de Sabine m'ont fait penser aux tropismes de Nathalie Sarraute) et d'échanges mouvementés rythment ce récit, parenthèse hors du temps.
La vue enfin, comme ceux des visages : la vue du visage de Marie comme momifié, de celui de Sabine, masqué par le lourd maquillage et les bijoux, de celui de Pierre, enflé par l'embonpoint, permet de voir les effets ravageurs du temps et de la vieillesse, ou plutôt l'essence de chaque être qui se dévoilerait précisément en vieillissant.

Avec la mise en valeur des sens, Claude Simon nous donne à contempler des tableaux fragmentés immersifs comme cette scène où chacune des femmes, Louise et Sabine, sont dans leurs salles de bain respectives séparées par une mince paroi (nous avons l'impression d'assister à une scène de théâtre avec un plan en coupe de la maison, les deux femmes parallèles l'une et l'autre par rapport aux éviers). Louise, tout en fixant son propre regard dans le miroir, figée, entend la scène de jalousie pathétique de Sabine envers Pierre qui se joue de l'autre côté du miroir, imaginant sa belle-mère sur le déclin, aux cheveux teints en rouge, outrageusement maquillés, aux nombreux énormes bijoux cliquetants, dans un décor rococo avec des meubles délicats et précieux, sur un tapis aux roses délicat, vêtue de son peignoir sur lequel sont peints des fleurs, des lianes, tandis qu'elle, jeune et belle, est dans la quasi-obscurité, contraste saisissant entre les deux lieus. Tableau sombre et fixe d'un côté, tableau clair et en mouvement de l'autre…Le décor rococo qu'imagine Louise s'abat sur elle lorsque le couple à côté vient à tomber suite à une dispute, et la projette en même temps dans ses souvenirs, dehors, sur l'herbe avec son amant, allongés par terre…c'est une scène inoubliable où se mélangent différents tableaux de longueurs inégales, des tableaux sombres et des tableaux clairs, et où le temps est mélangé entre le présent, le passé, le réel et les souvenirs, où le passage de l'un à l'autre des tableaux se fait par des correspondances que met en place l'auteur grâce à la magie de son écriture. du grand grand art !

Avec cette exemple de scène, nous touchons ici à l'un des piliers du roman à savoir le temps qui passe, non linéaire car différent de ce que nous percevons, avançant plutôt en spirales dans nos têtes, en allers-retours incessants entre le présent, le passé et le futur, entre le réel, les souvenirs et les fantasmes. Mais en même temps, cette perception du temps non linéaire vient se fracasser au temps tel qu'il s'écoule dans la réalité, inexorable et bien linéaire, comme le montre par exemple le rayon de soleil, la poudroyante lumière de l'été s'immisçant dans une fente, en forme de T, qui traverse chaque jour les volets de la chambre de Marie à l'agonie se déplaçant d'un mur à l'autre, comme le prouve également le train qui passe, s'arrête et s'éloigne chaque jour à heures fixes ou encore comme le démontrent les carnets de Marie qui, jour après jour, inexorablement, donnent toutes les dépenses, les menues dépenses comme les plus grandes. le temps s'inscrit dans une « terrifiante répétition, une terrifiante suite de jours ».

A noter que la construction du roman même n'est pas linéaire. Nous ne voyons pas ces dix jours de réunion familiale, nous découvrons un entrelacement de temps présent, laissant place tout à coup, alors qu'un sens est mis en branle, au temps passé (soit un souvenir de Louise, soit une scène du passé de Marie que tente d'imaginer Louise, soit encore un reproche obsessionnelle de Sabine envers son mari qui date de quarante ans), laissant ensuite place d'un coup à une scène d'amour dans l'herbe fantasmée, imaginée ou déjà vécue, nous ne savons pas. C'est bien toute l'originalité de ce roman que de parler de la différence de perception entre temps vécu et temps objectif en se basant sur une construction elle-même éclatée…

Autre pilier du roman, l'antagonisme entre la vie et la mort, entre le végétal et le minéral, omniprésent. Alors que Marie vit une agonie de plusieurs jours, la vie semble cependant bruisser de partout. Déjà, malgré son état, la mort ne vient pas, le coeur ne cède pas, comme la syntaxe de l'auteur d'ailleurs, vivante, jaillissante…Ensuite, les insectes et les oiseaux dont les chants sont sans cesse décrits, sont symboles de vie ainsi que la nature, envahissante, cyclique, « l'inconsciente et folle végétation des hélianthes, leurs longues tiges s'entrecroisant, se bousculant, s'emmêlant, se détachant en clair sur le fond noir du fourré de rondes dans le bourdonnement des insectes », la nature indifférente aux petites histoires des humains. Ce que voudrait fuir Louise pour garder le contrôle de sa vie, soit par la petite mort de l'orgasme, soit en s'imaginant mourir alors qu'elle est allongée dans l'herbe, comme pétrifiée, heureuse de se confondre avec l'herbe


Je ressors admirative et émue de cette lecture exigeante. Je suis certaine que chaque relecture de ce livre donnerait à comprendre des éléments non appréhendés auparavant. Ceci est la force des chefs-d'oeuvre. En plus de l'écriture somptueuse avec laquelle il faut savoir se laisser porter, se laisser bercer, et qui demande parfois une lecture à voix haute pour en savourer toute la beauté, les thèmes du temps et de la mort sont omniprésents et sources de multiples messages de la part de l'auteur. Oui, il fait partie de ses livres, énigmatiques, le mystère se nichant derrière les très longues phrases, qui nous hantent une fois terminés et que nous relirons, assurément…
Énorme coup de coeur, de ceux qui marquent la vie d'un lecteur.

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Lire « L'herbe » de Claude Simon c'est s'immerger dans un monde oublié de sensations, ressentir de la nostalgie pour une époque que l'on n'a pas connue. Il faut, pour jouir pleinement de cette lecture, ouvrir ses sens, consentir à se laisser submerger par des paragraphes sans fin, par de longues phrases à la syntaxe et à la grammaire savantes, savoir régler sa respiration au rythme saccadé d'une chronologie bousculée.
Le drame bourgeois, provincial de Louise, de sa belle-famille et l'agonie sans fin de la tante Marie pourrait sembler d'une absolue banalité. Il en est tout autrement. L'auteur, avec un indéniable souci de réalisme, restitue à la perfection l'expérience sensible et fragmentaire de Louise. Les évènements sont narrés à travers sa conscience. Nous sommes au plus proche d'elle, de ses impressions, de ses réminiscences, de ses perceptions . Les tranches de vie se déploient à tour de rôle sans aucun souci d'ordre et de logique. « … elle ne se souciait même plus d'être entendue et encore moins de ce minimum de cohérence qu'il est obligatoire de donner à ses paroles pour se faire comprendre, c'est-à-dire, en y réfléchissant, pour ne pas se faire comprendre, parce que c'est assez comique et même complètement absurde d'être obligé de s'exprimer de façon cohérente quand ce que l'on éprouve est incohérent … » le temps ici progresse imperceptiblement. Une photo, une lettre, un carnet font ressurgir le passé. Les actions sont transformées en images. le roman est en effet composé d'une succession de tableaux sur lesquels on s'arrête plus ou moins longuement, passant de l'un à l'autre de façon inattendue au gré des discontinuités de la mémoire de Louise. Ces très belles lignes nous renvoient de façon saisissante à notre propre existence, à son rapport à l'histoire et au temps.
L'auteur souvent délaisse les personnages pour se concentrer sur la nature et cela donne aussi de très belles pages. Les plus belles ? La folle végétation, l'envahissant concert des moineaux, l'odeur lancinante des fruits trop murs, la vie des insectes, la nature secrète, terrible font partie intégrante du récit. « L'herbe » est un très, très beau texte qui permet, me semble-t-il, une entrée facile et inoubliable dans l'oeuvre du prix Nobel de littérature.
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L'Herbe, Claude Simon (1958) _ Oeuvre matrice du grand Simon, prix Nobel en 1985.


Ce roman est la chronique de la fin de vie de Marie, accompagnée durant ses derniers jours par son frère Pierre et sa femme Sabine et surtout par Louise, leur belle-fille.
Marie, ancienne institutrice issue d'une famille rurale du début du XXème siècle, a tout sacrifié pour élever Pierre et en faire un professeur.
Louise, belle-fille de Pierre et femme de Georges, quant à elle envisage de quitter son mari pour suivre son amant.
Durant ces quelques jours elle se rapproche de Marie qui, murée dans un mutisme d'agonie, lui révèle à sa manière ses secrets en lui transmettant une boîte à souvenirs. Dans cette boîte Louise va découvrir la vie simple et parfois cachée de Marie, des carnets de comptes et des photos souvenirs de cette époque où Marie, entourée de ses parents paysans, allait se marier. Mariage qui n'a jamais eu lieu, le seul homme de sa vie aura été Pierre.
L'histoire se déroule dans un cadre bucolique, le narrateur nous décrit les états d'âme des personnages et nous expose les photos du moment présent et du passé, les derniers rayons du soleil à travers le T des volets fermés de la maison juchée sur les hauteurs d'une colline verdoyante, le vagabondage des pensées et nombreuses interrogations de Louise devant sa glace ou allongée dans l'herbe du jardin, les crises de jalousie de Sabine souvent en prise avec l'alcool.
L'idée de fin est également très présente, la mort proche de Marie, la fin de l'été et les hectares de cultures de poiriers dont les fruits pourrissent au sol avant maturité, emportant les espoirs de fortune de Georges.
"L'Herbe "est une succession d'images de différentes époques s'entremêlant comme la vie des paysans de la fin du 19ème siècle ou l'exode en train en 1940.
Cette impression d'idées qui s'entrechoquent est matérialisée par l'insertion de longues phrases musicales interrompues par de nombreuses parenthèses qui nous renvoient vers d'autres pensées et nous font parfois perdre le cours du récit à l'image de la réalité instable, fragile et fragmentée. Cette sensation de désorientation éprouvée par le lecteur est également renforcée par des dialogues souvent coupés en plein milieu de conversation ou surgissant de façon impromptue.
Cette juxtaposition d'images, ce souffle puissant de la phrase ample et musicale mais saccadée font de ce récit un roman où le sentiment du temps qui passe est omniprésent et déstabilisant.


Oeuvre de Mémoire ancrée dans L Histoire.


Mon passage préféré pour sa "fraîcheur" apparente, _ sa poésie, sa musicalité, ses images et sa douceur atténuant quelque peu la noirceur de la mort qui pèse pourtant terriblement! On retrouve bien là le style de Claude Simon : phrase ample et musicale, ondulante, tournoyante, terriblement enivrante _ qui d'un souffle ou de langues vertes vous emporte !


"Toujours debout, l'herbe, les minces langues d'herbe le long de ses jambes nues mollement balancées, non pas la brise mais l'air tiède en paresseux remous, les hautes graminées, leurs têtes arachnéennes oscillant, flexibles, léchant ses chevilles, les multiples et vertes langues de la terre, et autour d'elle cette molle vibration de chaleur, s'apaisant par degrés, les contours des choses ondulant à la façon d'algues, toutes les feuilles des trembles frémissant sans trêve, oscillant, palpitant..."



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Lire un roman de Claude Simon est toujours une expérience particulière. Pour ceux qui ont du mal avec Proust, ce n'est même la peine de le lire car non seulement les phrases sont plus longues mais à l'intérieur de ces phrases, l'auteur passe du passé au présent du point de vue d'un personnage à un autre et il y a plein de parenthèses à l'intérieur desquelles il se passe tant de choses mais non il se passe rien en fait, ce ne sont que des états d'âme ou des descriptions de trucs anecdotiques comme des objets ou de la flore si bien qu'on est surpris quand la parenthèse se referme alors qu'on avait oublié qu'elle s'était ouverte.
Dans ce flot d'images et ressentis l'histoire passe presque comme un faire-valoir mais il en faut une parce qu'il faut quand même un point d'appui, quelque chose de concret. Ici, donc, ça se passe en campagne dans une maison pas loin d'un chemin de fer. Louise est mariée avec Georges un type revenu à la terre après avoir été enseignant (? à verifier) au grand désespoir de Pierre son père dont la femme s'appelle Sabine. Pierre a deux soeurs, Eugénie qui est déjà morte et Marie qui est en train d'agoniser dans la grande maison sous le regard de Louise qui s'est pris d'affection pour elle. Louise trompe son mari Georges mais elle ne veut pas partir avant le décès de Marie. C'est à peu près ce que j'ai compris.
Figure essentielle du nouveau roman, on dirait que Claude Simon écrit d'un trait de plume et laisse sa pensée le guider sans faire de pause et c'est la raison pour laquelle, il y a très peu de points. Quand on pense dans son lit pour faire le bilan de sa journée, on ne s'arrête pas pour foutre un point.
C'est pourquoi le récit est complètement destructuré. L'auteur se défait de la chronologie et je pense que pour une lecture (presque) parfaite, il faut le lire d'un souffle. Ma liseuse qui est très intelligente m'a indiqué au début qu'il fallait quatre heures.

Lecture en janvier 2020
Sur Kindle, équivalent 235 pages
Éditions de Minuit
Date de parution : 1958
Note : 4/5
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L'Herbe est un roman de Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985.

Claude Simon possède un style d'écriture absolument unique, dynamique, faite de longues phrases qui donnent un effet un peu haletant au récit.

Il n'y a pas d'intrigue proprement dite dans ce roman qui se passe en huis-clos. Une vieille tante se meurt, la famille se réunit autour d'elle : son frère Pierre et sa femme Sabine, le neveu Georges et sa femme Louise. L'atmosphère est oppressante, tendue, hargneuse. Il y a pléthore de disputes, de rancoeurs, de jalousies, de sous-entendus.

C'est également l'observation du temps qui passe et qui nous conduit tous à la mort. Et les effets de ce vieillissement sur notre corps. L'auteur s'arrête longuement pour nous décrire le corps mourant de la tante et les deux vieillards que sont Pierre et sa femme Sabine. Louise est confrontée elle aussi à ce temps qui passe et se demande si elle ne devrait pas quitter son mari.

Ce n'est pas un roman réjouissant, mais on est subjugué par la force qui se dégage de l'écriture exceptionnelle de Claude Simon.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Toujours debout, l’herbe, les minces langues d’herbe le long de ses jambes nues mollement balancées, non pas la brise mais l’air tiède en paresseux remous, les hautes graminées, leurs têtes arachnéennes oscillant, flexibles, léchant ses chevilles, les multiples et vertes langues de la terre, et autour d’elle cette molle vibration de chaleur s’apaisant par degrés, les contours des choses ondulant à la façon d’algues, toutes les feuilles des trembles frémissant sans trêve, oscillant, palpitant, le train de sept heures débouchant de derrière la colline, ponctuel lui aussi comme le chat, faisant gronder le pont de fer, puis disparaissant derrière le bouquet d’arbres de l’autre côté de la rivière, le bruit disparaissant, aussi englouti, tandis que le frémissement des milliers de feuilles semblait multiplier le silence, papillotant, pointillant la masse des arbres, la lumière se fractionnant en une infinité de particules miroitantes présentant alternativement leurs deux faces vert et argent, clignotant, puis train et bruit ressurgirent tout proches tandis qu’il glissait maintenant, jouet miniature, sur la portion de terrain découvert, avec la suite de ses vieux wagons verdâtres si près qu’on pouvait entendre le choc régulier des roues aux cassures des rails, voir dans l’encadrement des glaces des bustes de personnages comme découpés dans du papier et collés sur les vitres,...
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l’été qui allait peu à peu ainsi s’épuiser, par degrés, d’orage en orage, comme si chacun emportait, lui enlevait un peu de sa substance – cette épaisse et opaque matière, comme la pâte d’un pinceau trop chargé, dans laquelle il semble être coulé tout entier : les lents ciels lourds, la lourde et verte senteur de foins coupés, d’herbe tiède, de terre tiède, de fruits tièdes, mûrissants, pourrissants –, les orages (comme celui de l’avant-veille) d’abord aussitôt épongés, bus par la terre velue, la molle et grise poussière, puis, peu à peu, attaquant l’été, le lavant, le détrempant, le trouant d’ombres transparentes, s’allongeant, puis, plus tard encore, l’entraînant, l’emportant, ni plus ni moins qu’une aquarelle se délayant, glissant, s’abîmant parmi l’humide, brun et silencieux froissement des feuilles qui se détachent, tombent, ne laissent plus à la fin que le noir entrelacs des branches nues et raides s’entrechoquant, oscillant avec raideur dans la virginale et métallique pluie d’hiver...
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...elle m’a donné cette bague, elle m’a fait venir dans sa chambre (et c’est la première fois que j’ai senti cette odeur, ce parfum, exactement comme celui d’une rose desséchée ou plutôt – puisqu’une rose desséchée ne sent rien – celui que l’on imagine qu’elle devrait exhaler, c’est-à-dire quelque chose qui serait à la fois fait de poussière et de fraîcheur, et j’ai regardé sa table, sa coiffeuse, mais il n’y avait rien que ces quatre épingles et ce flacon d’eau de Cologne bon marché, et pourtant cela sentait comme une fleur, comme une jeune fille, comme peut sentir la chambre ou plutôt le tombeau, le sarcophage d’une toute jeune fille que l’on y aurait conservée intacte quoique prête à tomber en poussière au moindre souffle)...
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« Mais elle n’a rien, personne, et personne ne la pleurera (et qu’est-ce que la mort sans les pleurs ?) sinon peut-être son frère, cet autre vieillard, et sans doute pas plus qu’elle ne se pleurerait elle-même, c’est-à-dire ne se permettrait de se pleurer, ne penserait qu’il est décent, qu’il est convenable de...
– Mais elle ne t’est rien.
– Non, dit Louise.
– Elle ne t’est rien.
– Non », répéta-t-elle docilement. Mais elle continuait à regarder devant elle quelque chose qu’il ne pouvait pas voir.
(Incipit)
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Donc : la vieille femme - le vieux, le fragile amas d'ossements, de peau, d'organes exténués, aspirant au repos, au néant originel, gisant - soulevant à peine le drap - au sein, au centre de la maison, régnant, invisible et omniprésente, non seulement sur toutes les pièces (présidant - sans qu'il soit besoin de nul benedicite - au repas, à la rupture en commun du pain dans le familier, tintement des couverts heurtant les assiettes, au jacassement absurde de l'autre vieille femme), mais encore les débordant, étendant sa présence, son royaume au-delà des murs, au delà même du râle, comme si celui-ci n'avait même pas besoin d'être perçu par l'oreille pour être entendu jusqu'à la colline, et même plus loin, maintenant, dans la nuit silencieuse, la nocturne paix du jardin.
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Vidéo de Claude Simon
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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