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EAN : 9782226443038
288 pages
Albin Michel (19/08/2020)
  Existe en édition audio
4.07/5   2276 notes
Résumé :
Dans la Floride ségrégationniste des années 1960, le jeune Elwood Curtis prend très à coeur le message de paix de Martin Luther King. Prêt à intégrer l'université pour y faire de brillantes études, il voit s'évanouir ses rêves d'avenir lorsque, à la suite d'une erreur judiciaire, on l'envoie à la Nickel Academy, une maison de correction qui s'engage à faire des délinquants des « hommes honnêtes et honorables ». Sauf qu'il s'agit en réalité d'un endroit cauchemardesq... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (441) Voir plus Ajouter une critique
4,07

sur 2276 notes
°°° Rentrée littéraire #5 °°°

Je referme ce livre bouleversée comme je le suis rarement, avec l' impression fulgurante que ce roman n'a été écrit que pour son épilogue sublimissime, une dizaine de pages à la puissance exceptionnelle qui dégoupille le roman en une déflagration marquant profondément le lecteur, jusqu'aux larmes, des larmes de rage.

Floride, années 1960 . Elwood grandit à l'époque de l'arrêt Brown vs Board of education, rendu en 1954 par la Cour suprême, déclarant la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques. Lycéen noir brillant, il écoute religieusement les discours de Martin Luther King ; tout semble possible pour lui, l'université lui tend les bras. Ce personnage moralement immaculé à la Dickens voit son destin brisé par une erreur judiciaire : il est envoyé dans une maison de redressement, la Nickel academy où règne la terreur.

Dès le prologue, Colson Whitehead ancre sa fiction dans le réel de la ségrégation : en 2012, un chantier de promoteurs immobiliers met à jour le cimetière clandestin de la Dozier School for foys de Marianna ( Floride ),fermée un an auparavant : plus de 80 corps de pensionnaires sont trouvés , une enquête diligentée, d'anciens élèves survivant témoignent des brutalités nocturnes dont ils ont été victimes dans la pièce surnommée la Maison-Blanche où tournait un ventilateur industriel étouffant les cris des suppliciés et éclaboussant de sang les murs.

Colson Whitehead est un maître conteur. Il prend le temps de présenter les personnages principaux, en premier lieu Elwood auquel on s'attache immédiatement. Il a un don pour résumer l'essence des personnages en quelques lignes comme Spencer le bourreau, sous-directeur de la Nickel Academy ( «  son uniforme bleu nuit trahissait un caractère maniaque : chaque pli semblait assez net pour être tranchant, faisant de lui une lame ambulante » ), comme la grand-mère qui a élevé Elwood dans la dignité ( « Harriet gardait une machette sous son oreiller pour se défendre en cas de cambriolage, et Elwood n'imaginait pas que cette vieille dame puisse avoir peur de quoi que ce soit. Mais la peur était justement son carburant. ») ou encore le débrouillard Turner, l'ami rencontré à la maison de redressement ( «  semblable à un arbre tombé en travers d'une rivière, qui n'aurait jamais du être là et qui finit par donner l'impression qu'il n'a jamais été ailleurs, créant ses propres rides dans le grand courant. »)

Il choisit de mettre la violence à distance, quelques scènes seulement sur un sujet qui aurait pu en déborder, procédant par de pertinentes allusions au tragique, ce qui maintient une sorte de suspense, de menace sourde : on sent que « quelque chose » va se passer, on lit avec appréhension, on attend l'inéluctable. La construction est magistrale, procédant par de subtiles ellipses temporelles qui éludent justement cette violence latente. Et en même temps, ces sauts dans le temps, parfois sur une scène d'espoir, brise rapidement l'illusion d'un sanctuaire optimiste. Cette élasticité du temps ne s'apprécie réellement qu'une fois le roman terminé, c'est là qu'on mesure toute l'ampleur et le brillant d'une narration de moins de 300 pages.

Colson Whitehead prend le risque du murmure insistant, quitte à ce que son récit puisse à prime abord sembler assez banal. Au lieu de multiplier les scènes de violence explosive, il souligne l'ordinaire ségrégationniste. La Nickel academy est le microcosme métaphorique de l'Amérique corrumpue par son racisme , à une époque où la soumission des Noirs était institutionnalisé. C'est l'époque, nous rappelle l'auteur, où un Noir peut se faire arrêter pour « contact présomptueux » s'il ne cède pas le passage sur un trottoir à un Blanc ; où des commerçants revendent des vivres destinés aux garçons d'une école pour Noirs ; où une mère de famille fait repeindre à moindre frais la façade de sa maison par les jeunes enfermés dans une maison de correction ; où les manuels scolaires des élèves noirs sont remplis d'insultes racistes écrites par leurs anciens propriétaires blancs qui connaissaient la destination de leurs vieux manuels.

C'est avec un calme clairvoyant, sans sentimentalisme ni pathos, que ce roman dit comment la ségrégation a détruit des vies et a marqué des générations d'Afro-Américains jusqu'à modeler des réflexes de soumission pour y survivre. Mais comme dans son précédent roman, Underground railroad, les personnages lucides, ceux qui ne s'accrochent pas à l'illusion que le monde est en train de changer, doivent se révolter et fuir à travers un labyrinthe d'infinis obstacles pour, peut-être atteindre la liberté. Les extraits des discours de Martin Luther King, résolument optimistes, semblent dérisoires face à la force d'inertie qui traverse ce roman qui a l'évidence des classiques, dévastateur, essentiel, tellement contemporain pour dire cette Amérique qui échoue à affronter la pleine horreur du racisme, son péché originel dont l'héritage semble éternellement se faire sentir.

A noter que l'auteur a obtenu son deuxième Pulitzer avec ce roman, à l'instar d'un Faulkner ou d'un Updike !
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Un auteur Pulitzérisé, des babéliotes énamourés, et moi… qui reste sur le bas-côté, comme un auto-stoppeur levant le pouce au bord d'une autoroute.
Pourtant, cette histoire inspirée de faits aussi réels que révoltants avaient de quoi m'appâter, poisson reconfiné dans son aquarium.
Nous sommes dans les années 60 et un jeune garçon noir, Elwood, galvanisé par les discours du pasteur King, fait plus qu'un rêve. Il en a des «dreams », il veut se forger un destin, dévorer le monde et faire triompher la lutte pour les droits civiques. Une jolie liste de courses.
Elevé par sa grand-mère, le garçon poursuit avec acharnement ses études et il ambitionne de pousser les portes d'une université.
Victime innocente d'une erreur judiciaire, coupable de malchance, ses rêves virent aux cauchemars quand il est envoyé à la Nickel Academy, maison de correction qui ne proposent au programme que des cours d'humiliation et des leçons de ségrégation.
Côté punitions, nous sommes bien loin des heures de colle du mercredi et des coups de règles sur les doigts de nos ainés. Les pions sont des bourreaux qui organisent des séances de tortures dès qu'un garçon se risque à sortir du rang. Sévices et vices racistes.
Elwood va vite assimiler les codes de l'établissement, aidé par Turner, un habitué des lieux qui va lui apprendre à survivre et purger ses peines.
L'auteur utilise une prose sèche, peut-être un hommage à tous ses gamins qui n'avaient plus une seule larme à verser. Hélas, cette écriture presque journalistique qui témoigne plus qu'elle ne vit, m'a empêché de sympathiser avec le personnage. Je ne suis pas parvenu à me projeter dans cette histoire tragique.
Autre écueil selon moi qui ne permet pas une immersion totale du lecteur dans le roman, les nombreux sauts dans le temps qui fragmentent le récit. Trop de raccourcis dans ce trajet pour pouvoir profiter pleinement du voyage. Quand l'ellipse devient éclipse.
Jamais content le pépère. Toujours le premier à désespérer de l'infinie longueur des romans américains et me voilà en train de regretter la concision de celui-ci. Je ne suis pas français pour rien. Une telle histoire aurait néanmoins mérité à mon avis plus de linéarité.
Je retiens quand même un final éblouissant, la force du récit et un bel hymne à la résilience, mot à la mode Covid mais qui prend tout son sens ici.
Colson Whitehead offre un soldat inconnu de papier aux suppliciés bien réels de la Dozier Scholl qui l'inspirèrent pour son roman.
Pas un coup de coeur littéraire mais un texte important.
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Nickel boys, la version sauvage et inhumaine des actuels ITEP, qui furent des maisons de redressements avant de devenir des établissements réellement pédagogiques et éducatifs. Mais dans la première moitié du vingtième-siècle, on n'avait cure d'accueillir avec bienveillance ces gamins, parfois déjà bien engagés sur le chemin de la délinquance, parfois simplement au mauvais endroit, au mauvais moment, comme c'est le cas pour le personnage central de cette histoire.


Certes, ses premières années l'avaient d'emblée exposé à des risques : des parents qui avaient pris la tangente,, une couleur de peau difficile à porter, mais l'affection de sa grand-mère et ses capacités pour les études, semblaient l'orienter vers un avenir sinon radieux, du moins décent. Jusqu'à un jour néfaste, où son destin a basculé.

On suit avec horreur et compassion le quotidien de ces gosses, entourés d'adultes irresponsables et malfaisants. Les conditions de séjour sont pires que dans certaines prisons et les châtiments corporels sont monnaie courante. Comme dans les prisons, les nouveaux ont intérêt à comprendre rapidement les règles du jeu.

Basée sur des faits réels, cette histoire est tragique et déchirante, mais au-delà de l'aspect historique, l'écriture de Colson Whitehead contribue à embarquer le lecteur sans répit, d'autant que la construction est particulièrement habile jusqu'à la fin…je n'en dirai pas plus.

Une très belle découverte pour cet auteur que je n'avais pas lu, malgré sa notoriété (deux prix Pulitzer) et ma passion pour la littérature américaine.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Années 60, Tallahassee, capitale de l'État de Floride. Si le jeune Elwood Curtis écoute en boucle le seul disque qu'il possède, "Martin Luther King at Zion Hill", c'est qu'il croit en ce combat national pour les droits civiques. D'autant qu'avec l'arrêt Brown vs Board of Education, les écoles allaient dorénavant devoir ouvrir leurs portes aux Noirs. Bien que l'adolescent travaille pour Mr Marconi, le propriétaire du bureau de tabac qui voit en lui un employé méritant, ses notes à l'école sont excellentes. Lorsque l'une des facultés au sud de Tallahassee propose un enseignement gratuit pour attirer du monde, l'un de ses professeurs lui conseille fortement de s'inscrire. Mais, malheureusement, alors qu'il était promu à de brillantes études, une malencontreuse erreur judiciaire, Elwood se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, il est envoyé dans une école disciplinaire, la Nickel Academy, une institution qui promet de remettre dans le droit chemin tous ces jeunes incapables de vivre avec des gens respectables...

Les discours de Martin Luther King en fond sonore, les noms de Claudette Colvin et Rosa Parks que l'on murmure, c'est dans ce contexte, au coeur d'une Amérique ségrégationniste, que grandit le jeune Elwood Curtis. Élève brillant, fasciné par la lutte des droits civils et croyant en un avenir meilleur pour les Noirs, Elwood va, malheureusement, être confronté à une bien plus sombre réalité entre les murs de la Nickel Academy. Dans cette soi-disant école qui n'en porte que le nom, ce n'est qu'à travers la violence et la maltraitance que ces professeurs et surveillants dirigent tous ces jeunes "en perdition". Grâce à l'amitié de Turner et l'amour inconditionnel de sa grand-mère, Elwood va tenter de survivre, tant bien que mal. Inspiré par l'histoire de la Dozier School for Boys, à Marianna, en Floride, fermée en 2011, officiellement pour des raisons économiques, et au coeur de laquelle des traitements inhumains ont été infligés aux enfants et dont les fouilles ont exhumé des dizaines de corps, Colson Whitehead tisse un roman saisissant, âpre et, ô combien, utile. Il rend ainsi hommage à tous ceux, suppliciés, qui ont ont combattu contre l'oppression. Et si la violence est lointaine, les sentiments parfois étouffés, l'écriture sobre et l'épilogue douloureux, c'est le coeur serré que l'on suit le destin d'Elwood et Turner.
Un roman remarquable qui, dans le contexte actuel, a encore une plus grande résonance...
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Dans les années soixante, en pleine Amérique ségrégationniste, une erreur judiciaire vient stopper net les projets d'études universitaires du jeune Elwood Curtis, en l'envoyant dans une maison de redressement pour mineurs, la Nickel Academy. Derrière la respectable façade de cet établissement de Floride, ont lieu de tels sévices qu'ils ne cessent d'étendre le cimetière proche, tandis qu'une corruption généralisée s'élargit à la population alentour, ravie de profiter d'une main d'oeuvre gratuite et du détournement des vivres censés alimenter les enfants. le sort des jeunes Noirs y est le pire de tous…


L'auteur s'est inspiré de la véritable Dozier School for Boys, en Floride, qui, pendant ses 111 ans de fonctionnement, malgré les inspections régulières, et jusqu'à sa fermeture en 2011 seulement, usa sur ses pensionnaires des châtiments corporels, du viol, de la torture et du meurtre pur et simple. La majorité des garçons s'y retrouvaient « pour des infractions sans gravité – des délits vagues, inexplicables. Certains étaient orphelins, pupilles d'un Etat qui n'avait pas d'autre endroit où les caser ». L'arbitraire touchait particulièrement les Noirs. A l'époque de ce récit, ne suffisait-il pas de rester sur le même trottoir qu'un Blanc pour se retrouver condamné au motif de « contact présomptueux » ?


Avec une lucidité calme, le texte raconte les vies noires américaines à jamais brisées, le terrible joug d'une soumission intégrée au fil des générations comme la seule stratégie de survie, et le dérisoire des croyances au changement cruellement mises en perspective au travers d'extraits des optimistes discours de Martin Luther King. le magistral twist final plaide pour la nécessité d'abandonner toute illusion et d'oser dire non, trouvant d'ailleurs un très sonore écho dans les récentes explosions de colère aux Etats-Unis.


Ce roman qui vaut à Colson Whitehead son second prix Pulitzer, à l'instar d'un Faulkner ou d'un Updike, est un terrible coup de massue littéraire, une lecture essentielle pour comprendre l'effroyable héritage qui continue à meurtrir toute l'Amérique. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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critiques presse (8)
FocusLeVif
22 décembre 2020
Plongée glaçante dans l'enfer d'un pensionnat des années 60 usant de la violence pour mettre au pas les Noirs. Toute ressemblance... n'est pas fortuite.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
Culturebox
12 novembre 2020
Le romancier américain poursuit son travail de mémoire sur l'histoire de la violence raciale érigée en système aux Etats-Unis, dont les blessures, Geoge Floyd en est la victime la plus récente et emblématique, continuent aujourd'hui encore à saigner.
Lire la critique sur le site : Culturebox
RevueTransfuge
13 octobre 2020
Une nouvelle fois, Colson Whitehead nous plonge dans une mémoire américaine d’une violence extrême.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
LaCroix
22 septembre 2020
En s’inspirant d’une histoire vraie, Colson Whitehead poursuit son exploration de la question raciale aux États-Unis, à travers la vie brisée du digne Elwood Curtis.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
16 septembre 2020
Dans Nickel Boys, l’Américain ­Colson Whitehead réussit [...] à nous faire éprouver, physiquement et psychiquement, ce que produit le racisme sur un jeune garçon noir à la fois humaniste et idéaliste, pétri par la foi de son idole, Martin Luther King.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
16 septembre 2020
Colson Whitehead (New York, 1969) y creuse à nouveau mais autrement la thématique de la ségrégation, à travers la destinée de deux jeunes Noirs envoyés en maison de correction.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Actualitte
31 août 2020
Avec Nickel Boys, Colson Whitehead agit en chirurgien consciencieux et s’attaque à une autre plaie constitutive de l’héritage américain. L’auteur abandonne la Géorgie et l’esclavage pour plonger au cœur moite de la Floride, dans l’Amérique ségrégationniste des années 60. [...] Un roman dont on ne sort pas apaisé.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeSoir
24 août 2020
Après «Underground Railroad», Colson Whitehead poursuit, avec «Nickel Boys» l'exploration de la blessure raciale de l'Amérique. Et ça fait mal. Comme le font d'autres livres d'Afro-Américains.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (273) Voir plus Ajouter une citation
Certains garçons s’évadèrent vers un futur discret et vécurent dans l’ombre, sous un autre nom et en d’autres lieux. Redoutant jusqu’à leur dernier soupir que Nickel les rattrape. Le plus souvent, ils étaient capturés emmenés chez le Marchand de glaces puis jetés dans une cellule sans fenêtre pendant quelques semaines, le temps de corriger leur attitude. Fuir était une folie, ne pas fuir aussi. En regardant ce qui s’étendait à l’extérieur de l’école, en voyant ce monde libre et vivant, comment ne pas songer à courir vers la liberté? A écrire soi-même son histoire, pour changer. S’interdire de penser à la fuite, ne serait-ce que pour un instant volatil, c’était assassiner sa propre humanité.
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Le cadeau qu'Elwood reçut pour Noël en 1962 fut le plus beau de sa vie, même s'il lui mit dans la tête des idées qui signèrent sa perte. "Martin Luther King at Zion Hill" était le seul disque qu'il possédait, et il ne quittait jamais la platine.
[...]
Ces discours, enregistrés aux quatre coins du pays, à Detroit, Charlotte et Montgomery, jetaient un pont entre Elwood et le combat national pour les droits civiques. L'un d'eux lui donna même l'impression d'appartenir à la famille King. Tous les enfants connaissaient Fun Town, y étaient allés ou enviaient ceux qui y étaient allés. Sur la troisième piste de la face A, le révérend King racontait que sa fille Yolanda brûlait d'envie d'aller à Atlanta pour visiter ce parc d'attractions. Elle suppliait ses parents chaque fois qu'elle apercevait le grand panneau depuis la voie rapide ou qu'une publicité passait à la télévision. De sa voix grave et triste, le révérend King dut lui expliquer le système de la ségrégation, qui laissait les petits garçons et les petites filles de couleur de l'autre côté du grillage. Lui exposer le raisonnement égaré de certains Blancs - pas tous, mais un nombre suffisant d'entre eux - qui donnait force et sens à ce régime. Il conseillait à sa fille de résister à la tentation de la haine et de l'amertume et lui assurait que «même si tu ne peux pas aller à Fun Town, je veux que tu saches que tu vaux autant que tous ceux qui y vont».
C'était Elwood : il valait autant que n'importe qui. À quatre cents kilomètres au sud d'Atlanta, à Tallahassee. Il voyait parfois des publicités pour Fun Town lorsqu'il se rendait chez ses cousins en Géorgie. Manèges spectaculaires et musique entraînante, enfants blancs tout sourire qui faisaient la queue pour les montagnes russes ou le mini-golf. Qui se harnachaient dans la Fusée atomique avant de s'envoler vers la Lune. À en croire la réclame, un bulletin de notes parfait, dûment tamponné par le professeur, donnait droit à une entrée gratuite. Elwood avait des A dans toutes les matières et conservait sa liasse de preuves pour le jour où Fun Town serait accessible à tous les enfants de Dieu, comme l'avait promis le révérend King. «J'ai de quoi y aller gratuitement pendant un mois, facile», disait-il à sa grand-mère, couché à plat ventre sur le tapis du salon, en suivant avec son pouce le contour d'une zone élimée.
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Il ne manquait jamais le marathon. Il ne s'intéressait pas aux vainqueurs, ces super-héros qui couraient après des records du monde et dont les semelles claquaient sur l'asphalte des ponts et des avenues extra-larges de New-York. (...)
Lui, il aimait les coureurs sonnés, qui traînaient les pieds dès le trente-septième kilomètre en tirant la langue comme des labradors. Qui franchissaient la ligne d'arrivée coûte que coûte, les pieds en sang dans leurs Nike. Les trainards et les boiteux qui ne couraient pas sur la route mais dans les profondeurs d'eux-mêmes, qui allaient jusqu'au bout de leur caverne avant de remonter à la surface avec ce qu'ils y avaient trouvé.
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C’était l’année 2014 et elle habitait à New York. Elle se rappelait mal combien la vie avait été difficile – les fontaines à eau réservées aux Noirs quand elle rendait visite à sa famille en Virginie, l’immense effort déployé par les Blancs pour les broyer –, et soudain tout lui revint, à la lumière de choses minuscules, comme héler en vain un taxi au coin d’une rue, des humiliations ordinaires qu’elle oubliait cinq minutes plus tard sous peine de devenir folle, et à la lumière aussi de choses flagrantes, la traversée en voiture d’un quartier délabré, anéanti par ce même effort gigantesque, ou un adolescent abattu par un policier, un de plus : ils nous traitent comme des sous-hommes dans notre propre pays. Ça ne change pas. Ça ne changera peut-être jamais.
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Il nous faut croire dans notre âme que nous sommes quelqu'un, que nous ne sommes pas rien, que nous ne valons pas rien, et il nous faut arpenter chaque jour les avenues de la vie avec dignité, et avec cette conscience d'être quelqu'un.
Martin Luther King
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Tout le monde sait que les écoles disciplinaires étaient des endroits difficiles pour les adolescents. Mais on ignorait que poser le pied dans certaines d'entre elles, c'était faire le premier pas vers l'enfer. Et ce jusqu'à une époque très récente.
Nickel Boys » de Colson Whitehead est publié aux éditions Albin Michel.
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