Une vie coupée, et les ciseaux comme béquilles
OU
Les canaris ne chantent qu'en cage .
Ceci est une autobiographie très partielle : nous suivons l'auteur de l'âge de neuf à dix-huit ans. Yasmina raconte comment, pendant cette période, il est devenu écrivain: comment écrire a été son salut.
Le père de Khadra était orphelin de mère et membre d'une fratrie aussi nombreuse que pauvre. A douze ans, il travaillait à la mine, pour récolter quelques sous et ainsi acheter un peu de reconnaissance... Rien à faire, les temps sont trop durs, les coeurs aussi : " si la cupidité durcit le coeur, la famine le fossilise". La guerre d'indépendance en fait un combattant, doué, puisqu'il devient officier, sans autre formation que le combat lui-même. Après-guerre, cet homme cherchera auprès des femmes la mère qu'il n'a jamais eu. Et bien que l'Islam lui en autorise jusqu'à quatre simultanément, et qu'il ne se prive pas de répudier celles qui le décoivent, jamais il ne trouvera celle qui sache résoudre ce puzzle infernal : un homme adulte, un officier aguérri, mais aussi un enfant orphelin : comment l'aimer ?
Est c'est ainsi que la mère de Yasmina - la première femme de son père - est repudiée, et se retrouve dans un taudis avec ses trois enfants. Sans formation et sans profession, dépendante d'une maigre pension alimentaire payée irrégulièrement par l'ex. L'année d'avant, Yasmina avait déjà été éjecté vers une école militaire, où les gosses sont transformés en automates à coup de gourdin et d'humiliations. Très vite ses deux frères, encore plus jeunes que lui, le rejoindront. Au moins auront ils le toit et trois repas par jour. Une école où, par ailleurs, personne ne les visite, le dimanche, au parloir. Quand, après plusieurs mois, le père passe par là, c'est pour constater qu'il "est en de bonnes mains",puis, aller boire le thé avec un collègue officier, avant de poursuivre son chemin. Là, Yasmine s'est senti perdu : pas de père, plus de père, plus personne sur qui compter, plus de repères. Et c'est là qu'il a commencé à lire, et à noircir des cahiers. Pour ne pas couler à pic.
Bien que ce lycée militaire soit une école-prison, le niveau est bon, excellent même. le taux de réussite au Bac y est le plus élevé de toute l'
Algérie. L'étude et le sport sont les deux seules activités possibles, et ceci explique cela. Yasmina est bon élève ( sauf en sciences) et devient un virtuose du verbe. Au point que sa prof. de français ne veut plus lire ses dissertations, illisibles sans allers-retours incessants entre copie et dictionnaire. Désormais elle ne le lira plus, et lui collera d'office un treize sur vingt, alors qu'il est habitué à bien plus. Un écrivain doit savoir rester lisible, la complexité seule n'est pas évidence de talent... Heureusement des amis l'aideront à se ratrapper. C'est qu'il voulait éblouir, triompher, transcender.
Bon an mal an - en fait ils sont tous mauvais - le temps passe quand même, et Yasmina, quant à lui, passe son Bac. Vient alors le moment des grandes décisions. le fil de sa vie a été tranché à l'age de neuf ans,quand il est passé en une journée de l'innocence enfantine à la prison pour orphelins militaires . Ce qui lui a permis de rester debout, ce sont la colère, la rage d'avoir été ainsi abandonné, et l'ivresse des lettres. Les deux béquilles gràce auxquelles il marche, s'appuyant d'abord sur l'une, puis sur l'autre. Doit-il faire candidature à l'académie militaire et rejoindre cette armée qui l' a tant fait souffrir, mais qui a quand même été sa bouée de sauvetage? Doit-il devenir écrivain ( oui !) mais comment être écrivain dans une institution totalitaire comme l'est l'armée ? Comment, enfin, pourrait-il devenir écrivain sans s'appuyer sur cette même institution qui lui assure le gîte et le couvert ? L'armée et l'écriture, une autre paire de béquilles, ou la même, et à nouveau la menace de séparation, d'exclusion ...La vie de Yasmina est tissée de ces tensions, de ces contradictions qui se subliment.
Après avoir lu Les Hirondelles de Kabul, je me suis demandé comment un ancien officier du Renseignement Militaire avait pu écrire cela. Voici donc la réponse...Voici aussi un exemple des tensions qui habitent une vie, et qui peuvent d'ailleurs dépasser le cadre d'une seule génération. J'en reviens à la question que je m'étais posée en écrivant mon profil : "qu'est-ce que l'homme?". Et bien, pour commencer, chacun de nous est au moins autant le produit de ceux qui l'ont précédé, et de ceux qui l'environnent, que de sa propre volonté... C'est déjà un début de réponse.
Un bon livre, écrit par un homme qui mérite sympathie, respect et bien des lecteurs. Mais ce n'est ni
Balzac ni Zweig. Il y a encore trop de spécificité pour réellement atteindre à l'universel, et La Pléiade.