Les
Poèmes de minuit de
Robert Desnos ont une histoire très particulière : écrits de janvier 1936 à mars 1938, ce n'est que deux années plus tard que
Desnos décide de les recopier soigneusement dans quatre cahiers d'écolier. Ces
poèmes restés longtemps perdus ont été, à la faveur du hasard et de l'action d'un éditeur passionné, retrouvés lors d'une vente aux enchères en... 2020.
Numérotés, les cahiers portent chacun un titre :
Fortunes, Mi-destin, Va t'où ? et Les Sources de la nuit.
Pourquoi Les
poèmes de minuit ? En janvier 1936, le poète se fixe une contrainte toute personnelle : après sa journée de travail à la radio (
Desnos travaille à cette époque au Poste parisien et à Radio Luxembourg), il décide de s'astreindre, juste avant de s'endormir, à écrire un poème par jour, entre minuit et une heure du matin. Ces textes deviendront Les
poèmes de minuit (le titre n'est pas de l'auteur).
Desnos aimait à les appeler « Les
poèmes forcés ».
« Est-il si difficile d'exprimer la joie ?
La petite chanson de l'eau dans les conduits
Est un chant de joie
À l'approche de la liberté
À l'approche des robinets
Que voilà une belle image tordue
Tressée
Torsée
Semblable à la vis du robinet
Chant de joie
Torturée comme l'eau avant le robinet
Chant de joie précédant le chant de joie de l'eau libérée
Même si elle est destinée à laver les légumes
À déblayer les cabinets
Ou à bouillir et s'évaporer
Sur le feu
Et redevenir nuage » *
Dès les premiers textes du recueil, j'ai retrouvé avec plaisir toute l'éloquence, l'inspiration pleine de fantaisie, d'onirisme, de tendresse et d'humour de
Robert Desnos. Son écriture déborde d'intuition, de liberté, d'une certaine subversion aussi.
Dans ses textes, les références sont nombreuses qui touchent au quotidien, à l'actualité, à l'inattendu. Très présente aussi, l'utilisation qu'il fait de tout un bestiaire et d'un catalogue de fleurs pour habiller ses
poèmes, mais aussi (plus surprenant) de slogans publicitaires (il en a composé de nombreux pour la radio).
Même si ces
Poèmes de minuit ne m'ont pas paru être les plus touchants de l'oeuvre de
Robert Desnos (ma préférence va à ses recueils
Destinée arbitraire et
Contrée - Calixto), il transparaît au travers d'eux l'immense poète qu'il fut, l'artiste lucide, engagé, intransigeant, l'homme épris de liberté, acquis à la fraternité, à la beauté de la vie.
« le fleuve que tourmente une pluie à l'aurore
Reflète des éclats d'écailles de poissons
De bulles d'eau et de tessons et les chiens morts
Au fil des eaux au fil des jours tournent en rond
Ombres des arbres dans l'eau
Si nette si claire si propre
Est-il possible qu'un tel miroir
si sale et lourd de vase et lourd d'images
et lourd de mort
Vous reflète si correctement
Martin pêcheur
Je distingue tes couleurs
Je distingue celle des fleurs
Et celle des péniches qui passent
Et tout ça n'est que reflets
Dans une eau sale et vaseuse et malsaine
Déshabille-toi
Baigne-toi dans cette eau noire
Tu n'as rien à craindre
Tu l'as déjà fait
Le corps humain imperméable ne se mouille pas
comme une éponge
Le soleil séchera la boue
Elle tombera en poussière
Baigne-toi
Vas-y
La terre est vaste et ton coeur aussi
Qui, tous comptes faits et bien faits
Ne contient pas encore d'erreur
Et n'a jamais contenu de boue »**
(*) 17/03/1936 - extrait de Mi-destin. - p.83
(**) 03 au 05/05/1936 - extrait de Va t'où ? - p.130
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