Lecture jeune, n°120 - Récit à quatre voix, le dernier roman de
Nancy Huston donne à chaque fois la parole à un enfant de six ans, relayé ensuite par son parent direct : père, grand-mère, arrière-grand-mère. Quatre destins d'enfants se succèdent ainsi à rebours, de génération en génération, entre 2004 et 1945. Détail curieux : un lien génétique les relie car ils possèdent tous un grain de beauté, qui aura pour chacun une signification bien différente. le titre évoque les fractures, dérives des continents entre l'Amérique et la vieille Europe, mais aussi les blessures de l'histoire. Solomon, le premier narrateur, surdoué et franchement détestable, est fasciné par les corps disloqués des soldats et des civils, pris dans la tourmente de la guerre en Irak.
Nancy Huston trace à travers lui le portrait de l'Amérique de Bush, caricaturale et hautaine. A l'autre bout de l'arbre généalogique, se situe son arrière-grand-mère Kristina, une petite Ukrainienne enlevée à sa famille par la Wehrmacht, comme 250 000 autres enfants, dans le programme de germanisation de Himmler. Entre les deux, le père de Sol, Randall, rejette l'histoire pour mieux vivre le présent, tandis que sa mère fouille le passé de manière obsessionnelle. Si les thèmes abordés peuvent être difficiles pour les adolescents, la structure du roman donne des repères pour décoder l'histoire. Qui connaissait l'existence des fontaines de vie, ces pensionnats où l'on élevait des bébés dans le but d'aryaniser la population allemande ? Les cassures dans les vies de chaque personnage font écho aux failles de l'Histoire. Ce procédé narratif original, en puzzle, tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre du roman. Une fois le livre terminé, on a envie de reprendre le récit en boucle. L'émotion, surtout dans les deux dernières parties, va crescendo. Les narrateurs sont des enfants, et leurs interrogations devant des situations trop lourdes, interpellent le lecteur dans un style direct. A conseiller vivement aux bons lecteurs, suffisamment matures. Cécile Robin-Lapeyre