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Fernand Delmas (Traducteur)
EAN : 9782253139256
506 pages
Le Livre de Poche (01/03/1996)
4.22/5   241 notes
Résumé :
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Stefan Zweig. Biographie d'Honoré de Balzac. "C'est seulement à son oeuvre que l'on peut juger la vie réelle de Balzac. Celui qui parut un fou à ses contemporains fut en réalité l'intelligence artistique la plus disciplinée de l'époque ; l'homme que l'on raillait comme le pire des prodigues fut un ascète avec la persévérance inflexible d'un anachorète, le plus grand travailleur de la littérature moderne. Le hâbleur don... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (40) Voir plus Ajouter une critique
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La biographie De Balzac est sans doute l'oeuvre qui a coûté le plus de temps et d'efforts à Stefan Zweig. Non pas que ce grand écrivain autrichien aurait souffert d'un manque d'enthousiasme pour son héros littéraire français, sûrement pas, mais à 2 reprises il a dû reconstituer en partie le résultat de ses amples recherches de la vie d'Honoré de Balzac, à cause de son compatriote Adolf Hitler et la Seconde Guerre mondiale. Voir à ce propos l'excellent ouvrage de Laurent Seksik "Les derniers jours de Stefan Zweig". Ce sera finalement sur son lit de mort - façon de parler - à Petropolis au Brésil qu'il achèvera son oeuvre, commencée des décennies avant, en 1942. L'ouvrage fut publié à titre posthume en 1946 et la version française en 1950. L'exemplaire que j'ai en main, date de 1947, une édition de luxe de la maison d'édition Cassell, relié avec 13 illustrations et 31 vignettes exclusives par différents artistes, que j'ai eu la chance inouïe de trouver à Londres, lors d'une foire en 2012, comme livre d'occasion, les pages juste un peu jauni, pour la somme modeste d'exactement 7,72 euros (le prix de 3 cappuccinos chez Marks & Spencer).

C'est en 1945 que son ami, Richard Friedenthal (1896-1979), auteur de biographies, entre autres de Goethe et Jan Hus, a reçu à Londres le manuscrit de Zweig avec des annotations de Lotte Altman, sa seconde épouse qui s'est suicidée le même triste jour du 22-2-1942. À la demande du maître lui-même, son ami a fait du beau travail en ajoutant des textes de Zweig sur Balzac, restés éparpillés en Angleterre.

De Balzac, j'ai eu grand plaisir à lire sur une période assez longue plusieurs de ses romans, la plupart faisant partie de sa vaste "Comédie humaine", écrits entre 1829 et 1848. Je me limite au nombre biblique de 7, en ordre de mes préférences : "Eugénie Grandet", "La Peau de chagrin", "Ferragus", "La Cousine Bette", "Le Père Goriot", "Le Colonel Chabert" et "Splendeurs et misères des courtisanes".

Comme Balzac (1799-1850) a été un des plus grands écrivains et un des plus prolifiques de France, je présume qu'à l'école vous avez certainement appris l'essentiel de ses 51 ans de vie et comme la biographie de Stefan Zweig dépasse les 400 pages serrées, au lieu de résumer cette vie, je vais faire allègrement un peu d'éclectisme en m'arrêtant sur quelques aspects et événements en particulier. Un billet fatalement incomplet et arbitraire, pour lequel je sollicite votre compréhension.

L'histoire d'amour De Balzac avec Madame de Hanska, comme Zweig appelle délicatement Ewelina Rzewuska (1801-1882), devenue Hanska après la mort de son mari, en est un. Balzac avait rencontré cette dame noble en 1833, mais il lui a fallu patienter 17 interminables années avant que cette beauté polonaise ne consente à marier notre géant de la littérature...en 1850, quelques mois avant sa mort ! Dans l'intervalle, Balzac a entrepris de nombreux voyages pour être auprès de sa bien-aimée, même jusqu'à Wierzchownia, près de Berdytchiv en l'actuelle Ukraine, où elle habitait, ce qui lui prenait - en se dépêchant, car poursuivi par des créanciers - comme en l'hiver 1846 ... une bonne semaine. Pendant les longues absences entre leurs rencontres, Balzac lui a écrit 414 lettres d'amour !

Anecdote : En 1921, la princesse Catherine Radziwill, déclara posséder 17 lettres supplémentaires De Balzac à sa tante. S'il est exact que Madame de Hanska était sa tante - son vrai nom était Katarzyna Rzewuska (1858-1946) - au contraire, tout porte à croire qu'il s'agit de faux ! D'ailleurs, elle avait déjà fait 16 mois de prison au Cap en Afrique du Sud, pour avoir forgé sur des chèques la signature du Premier ministre de la Colonie du Cap, Cecil Rhodes. Il est vrai que l'homme, qui a donné son nom à la Rhodésie (l'actuel Zimbabwe), avait osé refuser de marier la chère Katarzyna !
De cette mythomane, je compte vous présenter sous peu un billet de son oeuvre historique (avec h minuscule) : "La malédiction des Romanov".

Madame de Hanska n'était pas le premier (grand) amour de celui qui, vers sa trentaine, décida d'ajouter un "de" avant son nom de famille. Zweig, avec beaucoup de sympathie pour son idole, raconte qu'il avait même fait décorer son fiacre des armes des "Balzac d'Entragues" , dont il se réclama, bien que descendent de pauvres agriculteurs du village La Nougayrié, près de Canezac/Montirat, en Occitanie. Son père, Bernard-François, parti de rien avait fait son chemin dans le monde de la finance, surtout en épousant à 51 ans Anne Charlotte Sallambier, 32 ans plus jeune que lui et fille d'un banquier. Aussi bien que lorsque Honoré naquit en 1799 , les Balzac appartenaient à la bourgeoisie prospère de Tours. Son père était un homme robuste, jovial et bon vivant (le père de quelques autres enfants, hormis les 4 de son ménage). Sa mère était tout le contraire, le plus souvent de mauvaise humeur, hystérique par moments et incapable d'affection pour son premier-né. Honoré la considérait comme un "monstre", la personne qui l'a fait souffrir le plus pendant son enfance. Apparemment le seul bon point pour Anne Charlotte était son faible pour les belles- lettres.

Et sans le vouloir, d'être à l'origine du premier Amour (A majuscule) de son fils, pour leur voisine, Laure de Berny. Un amour qui a fondamentalement changé la vie de cet écrivain, qui grâce à elle est devenu le géant que l'on connaît. En 1822, Honoré, à 23 ans, était timide et manquait dramatiquement de la confiance en lui-même. Pendant plus d'une décennie, jusqu'en 1833, Laure de Berny, qui avait 45 ans au début de leur liaison et avait mis au monde 9 enfants, a été son guide et bienveillante admiratrice avant de devenir - non sans hésitation et initiale longue résistance - sa maitresse. Cette métamorphose qu'elle a opérée en lui, Balzac pendant toute sa vie, lui en a été extrêmement reconnaissant, comme il apparaît indubitablement de ses nombreuses hymnes en sa faveur. Par ailleurs, toutes les femmes qu'il a conquises par après, étaient conformes au modèle de Laure de Berny. Il a toujours recherché les femmes d'un certain âge de tempérament maternel, tout comme il était insensible à la beauté de jeunes dames et filles, autant qu'aux "cocottes" et snobs littéraires.

La longue rencontre de ce maître autrichien avec son idole française était "condamnée" à résulter dans une biographie exceptionnelle. En fait, une des toutes meilleures que j'ai lues, car Stefan Zweig avec son amabilité de gentleman, s'y montre dans son admiration pour Honoré de Balzac lui-même tout à fait admirable. On regrette presque que les 2 n'aient pas pu devenir des amis, pour une bête raison de dates !

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Ce raidillon qui sépare le génie de la folie
OU
le roman vécu.

A peine né, le petit Honoré est mis en nourrice. Ce qui n'est pas une pratique inhabituelle en cette fin du 18 ième siècle. Mais souvent on laisse le nourrisson quelques jours avec sa mère- ici : non. Dehors. C'est à peine si la nourrice peut mener une ou deux fois le nourrisson chez sa mère. Qui ne lui montre aucun signe de tendresse.

Dès qu'il atteint l'age scolaire, Honoré est mis en pensionnat. le genre de pensionnat où l'on met les fils d'agriculteurs pour apprendre des rudiments de latin et de calcul. A la latte et à genoux. Petit garçon sensible et intelligent, Honoré se réfugie dans son imagination, dans ses rêves. Aidé en cela par le frère bibliothécaire qui le pourvoit en livres. de fait, il lit tant qu'il peut. Il essaye de lire dans son lit. Il a un livre sur ses genoux en classe. Alors quand on lui pose une question, il ne sait pas. Il n'a pas pris le temps d'apprendre sa leçon. Parfois il oublie de faire ses devoirs. Honoré est un petit cancre. Et la seule réponse que le système carcéral où il se trouve connaisse pour faire face à ce genre de situation, ce sont les coups, et les humiliations publiques. L'enfant se réfugie de plus en plus profondément dans son imaginaire...

Quelques années plus tard, c'est un garçon blême, maigrichon et très silencieux que les parents finissent quand même par mettre dans une institution plus humaine. Mais il est trop tard : Honoré a pris le plis. Toute sa vie, il vivra dans son monde intérieur, cet imaginaire sans limites...

Comment jeter un pont entre cet imaginaire et le monde extérieur ? C'est l'art qui sauve ce jeune homme de son enfermement. Est-il étonnant qu'il veuille devenir écrivain? le père, ouvrier agricole enrichi par toutes sortes de combines pendant la révolution ( il était devenu fournisseur aux armées), la mère, d'une petite noblesse provinciale trop récente pour avoir oublié combien il faut compter ses sous avant d'en arriver là, ne veulent rien savoir. Honoré sera notaire, et donc étudiera le droit , tout en travaillant comme clerc, car qui ne travaille pas ne mangera pas !

Après quelques mois à l'étude, Balzac prend son manteau et s'en va, laissant là plume, encrier et actes. S'en suit une scène épouvantable, dont il sort vainqueur. Ses parents lui donnent deux ans, et de quoi survivre de la façon la plus chiche pendant ce temps, deux ans donc, pour se prouver comme écrivain. Pas un jour, pas un centime de plus !

Bouillonnant d'idées, cherchant sa voie, ambitieux mais sans la moindre notion du métier d'écrivain, Balzac s'attaque à une tragédie en vers, puis à d'autres projets...avant d'écrire des romans alimentaires. En deux semaines tout au plus, il vous torche un bouquin qui lui permettra de survivre quelques mois. Toujours sous des noms d'emprunt, car il sait qu'il écrit des torchons. Et cela dure des années...

Un jour où il vend le enième bouquin à un éditeur, celui-ci lui dit lancer une affaire. Editer, chaque fois en un volume seulement, les grands auteurs des deux derniers siècles, avec quelques illustrations et une préface. Balzac écrirait -il les préfaces ? Mais, bien sûr ! Bien entendu que oui ! Dailleurs n'a t-il pas, au fil des années, économisé quelques milliers de francs, et ne pourrait-il pas participer au lancement de l'affaire ? Deux mille francs, c'est la mise qu'on lui propose d'investir. Les livres seront bon marché et mettront les classiques enfin à la portée du grand public.

Souvenons nous de ce que Balzac est, et restera toujours, un homme vivant dans son imaginaire. L'investissement qu'on lui propose est sensé, mais tout de suite, son imagination y voit la caverne d'Ali Baba. Balzac introduisant le public français à ses classiques. Car après La Fontaine, Molière, et puis ... On aurait son argent remboursé en un rien de temps, bientôt on ferait des bénéfices monstrueux, on deviendrait riche en quelques mois, quelques années...! La gloire, la richesse, la liberté, la jouissance, le pouvoir enfin... Voilà un monde externe tout aussi merveilleux que son monde intérieur, voilà le monde où il veut vivre !

Il y a six ou sept autres investisseurs dans l'affaire, et ceux-ci n'entendent pas partir comme des fusées. Qu'à cela ne tienne, Balzac rachète leurs parts. Lui qui avait peut-être sept ou huit mille francs d'économies réalisées à force de privations et de travail, il en a maintenant engagé quinze mille. On lance le Molière tout de suite ! Mais le La Fontaine sort, et ne se vend pas. Pas du tout. C'est que les tout petits caractères sont presqu'illisibles, les gravures médiocres, et personne n'a entendu parler de cet Honoré Balzac qui signe la préface. Manifestement un problème d'imprimerie. Donc... Balzac en achète une ! Et puis tant qu'à faire une entreprise de production de caractères d'imprimerie. Il se jette dans la bataille de toute sa force léonine. Et après deux ou trois années d'un combat féroce, doit déposer son bilan. Ou plutôt trois, trois bilans : comme éditeur, comme imprimeur et comme producteur de caractères d'imprimerie. Résultat : un trou de cent mille francs.

Balzac est un homme d'imagination et cette imagination, il la projette au dehors dans son oeuvre, bien entendu, mais aussi dans ses projets d'investissement et dans ses amours. C'est ce qui sabote tout ce qu'il fait dans ces domaines non artistiques de sa vie. En affaires, toute combine tant soit peu crédible lui parait une vraie mine d'or. En amours, une lectrice qui lui écrit une lettre un tant soit peu romantique devient l'amante idéale, la soeur, la mère, la confidente, la femme dans toutes ses dimensions et dans toute sa splendeur.

C'est ainsi que Balzac se dépensera, entièrement : au service de son oeuvre, oui, mais aussi au service du roman qu'il voulait que sa vie devienne. Car pour lui, imagination, littérature et vie n'étaient que trois domaines qui se rencontraient, se mêlaient, se pénetraient et finalement fusionnaient dans un même élan.

Zweig montre bien comment la vie et l'oeuvre d'un grand artiste peuvent interagir. Il m'a convaincu de ce qu'un homme très atypique, et loin d'être parfait, peut atteindre à l'universel dans son élan vers un bonheur très personnel. S'il arrive à gravir ce raidillon sinueux, sans tomber dans le précipice...
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Les biographies Stefan Zweig sont toujours passionnantes.
Pour Balzac, il arrive à nous communiquer son amour et sa connaissance de Balzac . Il décrit l'époque de Balzac , La biographie est pleine de renseignements facilement assimilables car Stefan Zweig présente la vie de Balzac comme un roman. et le personnage central vit au dessus de ses moyens qui sont pourtant très grands.

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Honoré de Balzac le roman de sa vie : que ce titre est approprié, sa vie fut un vrai roman !
Et Stefan Zweig nous la décrit en plus de cinq cent pages, pages qui se dévorent !

Il est bien aidé en cela par Balzac lui-même, personnage hors du commun, et par le choix de passages de ses écrits où manifestement, il se dépeint lui-même : les douleurs connues en famille, à l'école et au collège, il les fait relater par Félix de Vandenesse dans le Lys dans la vallée, la mansarde de misère de ses débuts est elle présentée dans La Peau de Chagrin, et ainsi de suite, de très nombreux passages de ce type émaillent le récit.

le portrait sans fard d'Honoré de Balzac est saisissant : bourreau de travail, rarement un écrivain n'a autant écrit, quand tous dorment, il écrit, et retouche sans cesse ses oeuvres, il a un grand souci de perfection, il rêve de gloire et de richesses, il a un aspect populaire qu'il s'efforce de dissimuler par des habits croyant par là se donner de grands airs mais sombrant dans le ridicule, un snobisme fou le poussant à ajouter une particule à son nom et à rechercher, durant toute sa vie la compagnie de la haute noblesse, une ambition qui lui fait dévier de son métier d'écrivain pour se lancer dans des opérations commerciales qu'il est incapable de mener à bien
« Toujours quand Balzac devient infidèle à sa sphère, son génie et son intelligence lucides sont en défaut »
Il voulut tout pour être célèbre : écrivain connu mais aussi imprimeur, député, académicien, boursicoteur, etc.

Stefan Zweig nous montre que plus il croule sous les dettes - elles l'accompagneront toute sa vie - qu'il veut le luxe et achète à prix d'or des objets coûteux

C'est d'autre part quand on le croit abattu que sa volonté se manifeste et que ses plus grandes oeuvres se créent.

Que dire encore de ses relations avec les femmes, il ne recherche pas une jeunesse ni une cocotte, il veut trouver une veuve, une aristocrate, très riche bien entendu.

Ce livre est passionnant, on constate que l'auteur s'est extrêmement bien documenté, qu'il a lu les oeuvres d'Honoré de Balzac. J'ai trouvé quelques pages d'un grand lyrisme .

Malgré le nombre de pages écrites en petits caractères, la tension de ma lecture ne s'est jamais relâchée !

Ajoutons que cette édition est agrementee de reproduction des portraits des femmes importantes de sa vie : sa mère, Laure de Bernt, Laure d'Abrantès, Zulmz Carraud,, la duchesse de Castries, sa soeur Laure Surville et bien entendu Éveline Hanska.
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Zweig aura consacré les dix dernières années de sa vie à la biographie De Balzac , avant de se donner la mort au Brésil où il a trouvé refuge pendant la seconde guerre mondiale. Il ne parviendra d'ailleurs pas à achever ce fascinant jeu de miroirs qu'il peaufine inlassablement et que son éditeur devra reconstituer à partir de documents épars. le travail et l'énergie qu'il met dans ce livre sont dignes de l'admiration qu'il voue à l'un des plus grands écrivains français, voire le plus grand à ses yeux.

Le livre est construit autour de l'antinomie entre la vie chaotique et infructueuse De Balzac sur tous les plans et la cohérence du monde imaginaire de la Comédie humaine qu'il a su bâtir.
Comme dans ses biographies précédentes, Zweig parvient, avec un talent rare, à saisir la personnalité du sujet de l'intérieur et à en comprendre les ressorts et le fonctionnement, ou tout du moins à en proposer des interprétations paraissant étayées.
L'existence de Balzac commence mal. Placé en nourrice dès son plus jeune âge, délaissé par ses parents, et notamment par une mère froide et peu aimante, cancre "surdoué" dans un pensionnat où il subit de mauvais traitements, il se réfugie à l'excès dans les livres et doit très rapidement entrer dans la vie active et multiplier les activités professionnelles, chez un notaire puis dans l'imprimerie.
Balzac, issu d'un milieu modeste ayant accédé à la bourgeoisie, n'aura de cesse de vouloir s'élever socialement, ajoutera une particule à son nom, montera, pour s'enrichir, des affaires systématiquement vouées à l'échec, et mènera grand train, alors qu'il est criblé de dettes.
Sa vie sentimentale est tout aussi tumultueuse ; les femmes, amies ou amantes, sont présentes et lui apportent leur appui, mais l'amour est souvent intéressé et triste, jusqu'à sa femme qui accepte de l'épouser quand elle apprend qu'il va mourir.
En contrepoint de cette débâcle matérielle et sentimentale dans une vie quotidienne où Balzac ne trouve pas de points d'équilibre, il y a, grâce à un travail de titan qui lui prend jusqu'à vingt heures par jour, la conception d'une oeuvre phénoménale, dans tous les sens du terme, par son ampleur, ses réalités sociologiques, son acuité psychologique.
Zweig souligne le génie, et ce terme est employé à maintes reprises dans le livre, du créateur hyper mnésique qui s'appuie sur ses expériences pour reconstituer, dans son oeuvre protéiforme, sociologue avant l'heure, l'ensemble des classes sociales.
Balzac qui ne se réalise que dans l'écriture est un monstre, d'avidité, d'ambition, de labeur, d'imagination et Zweig sait se montrer, dans cette biographie dense, à la hauteur du modèle.



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Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Voici donc une journée de la vie réelle de Balzac, et mille, dix mille journées ont ressemblé à celle-ci.

Enfin-minuit! Paris repose dans le silence . Maintenant que, pour le monde, le jour est fini, commence sa journée. Comme tous les grands artistes, Balzac ne connait d'autre loi que celle de son oeuvre: " il m'est impossible de travailler quand je dois sortir, et je ne travaille jamais seulement pour une ou deux heures." Seule la nuit, la nuit qui ne connait ni limites ni coupures, permet cette continuité de travail....

Un coup discrètement frappé à la porte par le domestique l'a réveillé. Balzac s'est levé, il met son froc... Comme le guérrier son armure, comme le mineur son vêtement de cuir... Quelques pas encore de long en large pour que les dernières ombres se détachent de lui et pour que le sang circule plus vif dans les veines; alors Balzac est prêt. Balzac s'assied à sa table, à cette table " où je jette ma vie comme l'alchimiste son or dans le creuset."

Encore un dernier regard : tout est-il prêt?... A gauche, un tas de feuilles blanches, des feuilles d'un certain papier soigneusement choisi. Il faut qu'elles soient légèrement bleuâtres pour ne pas éblouir et fatiguer l'oeil...Il faut qu'elles soient lisses, il faut qu'elles soient minces...Les plumes sont préparées avec le même soin, des plumes de corbeau, il n'en veut pas d'autres; à coté de l'encrier il a en réserve une ou deux bouteilles d'encre... A droite, sur la table étroite, un carnet où il note à l'avance ses trouvailles et ses idées pour les chapitres à venir . Rien d'autre ... Tout est achevé en lui avant qu'il ne se mette à la besogne...

Balzac écrit, écrit et écrit sans arrêt, sans trêve. Une fois enflammée son imagination continue de flamber et de s'embraser comme un incendie de forêt où le brasier gagne de plus en plus vite de tronc en tronc, toujours plus chaud, toujours plus ardent...Une heure, deux heures, trois heures, quatre heures, cinq heures, six heures et quelquefois sept heures et huit...

Sans café, pas de travail, ou du moins pas cet incessant travail auquel s'est voué Balzac. En même temps que son papier et sa plume il emporte partout avec lui son troisième outil : sa cafétière, à laquelle il est habitué comme à sa table, comme à son froc...

Enfin huit heures; un léger coup frappé à la porte, Auguste, le serviteur, entre et apporte sur un plateau un modeste déjeuner... Pour détendre son corps épuisé et lui rendre sa fraîcheur en vue du nouvel effort qui l'attend, Balzac prend un bain chaud... D'ordinaire, il reste une heure dans son bain...

Mais à peine a t-il remis son froc que déjà on entend des pas devant la porte. Des émissaires des diverses imprimeries qu'il occupe sont là...D'autres émissaires des imprimeries, des journaux ou de l'éditeur apportent des épreuves toutes fraîches des manuscrits que Balzac a écrit avant-hier et donné la veille à la presse en même temps que les secondes épreuves des placards précédents...Et maintenant à la besogne - un rapide coup d'oeil et la main passe déjà là-dessus une plume furieuse. Balzac est mécontent. Mauvais : tout ce qu'il a écrit hier et avant-hier est mauvais...il est saisi d'une sorte de fureur ...Balzac a repris jusqu'à quinze ou seize fois les épreuves de certains de ses ouvrages...

(pp.171-182)
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Balzac n'a jamais réussi à dominer son penchant le plus détestable: son snobisme;si conscient qu'il ait du être de sa puérilité et de son ridicule . L'homme qui a crée l'oeuvre la plus monumentale de son siècle et qui eût pu passer devant les princes et les rois avec la même indépendance que Beethoven, est affecté d'un respect maniaque pour l'aristocratie. Une lettre d'une duchesse du faubourg Saint-Germain a pour lui plus de poids qu'un éloge de Goethe... Par un inconcevable paradoxe, pour "s'élever" à ces hautes sphères il va s'avilir sa vie durant, pour vivre dans le luxe il va se river à la galère du travail, pour se présenter avec élégance se rendre ridicule ...

Petit-fils de paysans, fils de bourgeois, incurable roturier, Balzac a une telle corpulence qu'il ne saurait, rien que pour cela, espérer se donner une silhouette et une allure aristocratiques. Il n'est pas de tailleur de la cour,... qui puisse faire parâitre distingué ce gras plébéien aux joues rouges, taillé à la hache, qui parle fort et sans discontinuer et s'introduit dans tous les groupes pour y éclater comme un boulet de canon. Il a un tempérament bien trop exubérant, bien trop excessif pour s'adapter à des manières discrètes et retenues... Les couleurs de son habit et de son pantalon jurent ensemble, et à quoi sert le lorgnon d'or si les ongles des doigts qui le tiennent sont sales, si les lacets de souliers se balancent dénoués sur les bas de soie; à quoi sert le jabot si la graisse dont la crinière est empommadée dégoutte dessus dès qu'elle subit l'éffet de la chaleur ? Balzac porte son élégance qui, par suite de la vulgarité de ses goûts, vise de plus en plus à la pompe, et à l'extravagance, comme un laquais sa livrée...Sur lui ce qui est cher semble de la camelote...

(pp.162-166)
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Byron, par ses aventures et ses relations avec la comtesse Giuccioli, Liszt par l'enlèvement de Mme d'Agoult, Musset et Chopin par leurs rapports avec George Sand, Alfiéry par sa vie commune avec la comtesse Albany ont gagné la faveur du public au moins autant que par leurs oeuvres. Balzac, plus ambitieux de succès mondains que littéraires, n'entend pas rester en arrière mais dépasser les autres. L'idée d'avoir des relations avec une grande dame le fascine toute sa vie. Et si, au lieu de lui dire poliment merci, il accable cette "princesse russe ou polonaise" [Mme de Hanska] inconnue d'aveux brûlants et de caresses voilées, ce n'est nullement naïveté, comme il le prétend, mais volonté bien arrêtée de se forger un roman personnel, de se créer une passion. Toujours, chez lui, le sentiment s'est soumis à la volonté...

A peine sait-il son prénom - la seule chose qu'il connaisse d'elle - qu'il se voue à elle, au sens propre, pour toutes les éternités.: " Vous seule pouvez me blesser, Eva, je suis à vos genoux; je vous livre ma vie et mon coeur. Tuez-moi d'un coup mais ne me faites pas souffrir ! Je vous aime de toutes les forces de mon âme: ne brisez pas tant de belles espérances !"

Balzac prépare un roman romantique, et chaque fois qu'il cesse d'être réaliste...il sombre dans cette extase factice du sentiment. Sa volonté artistique de porter les possibles à leur plus haut degré s'applique à la réalité.

De même que Balzac découvre l'une après l'autre les qualités de Mme.de Hanska, il découvre maintenant chez son mari une série de traits importants et sympathiques : d'abord il est de vingt ou vingt-cinq ans plus âgé que sa femme; ensuite, il n'est pas très aimé d'elle; enfin, sa santé laisse beaucoup à désirer et sa femme, sa femme désirée et déjà conquise, pourra vraisemblablement bientôt être à lui, Balzac, avec tous ses millions et ses relations.

(pp.252-262)
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Balzac ne refléchit pas longtemps. Chaque fois qu'on lui parle d'une affaire, c'est son imagination débridée et non sa raison calculatrice qui mène l'argumentation, et spéculer fut pour lui, sa vie durant, une jouissance, tout comme écrire et créer. Jamais Balzac n'a dédaigné, par vanité littéraire, de faire du commerce. Il était disposé à trafiquer de tout : livres et tableaux, actions de chemin de fer, terrains, bois et métaux.Son unique ambition était de dépenser ses forces et de percer, peu importe dans quel domaine et par quels moyens. Le jeune Balzac n'a qu'une volonté, la volonté d'arriver, la volonté de puissance...Et avec la même rapidité qu'il perçoit, dans la première vision artistique, toutes les intrigues et leurs dénouements, son avidité hypertrophiée découvre, dans chaque spéculation, des bénéfices par millions... Le 6 avril 1828... Balzac fait banqueroute, et trois fois banqueroute, comme éditeur, comme imprimeur et comme propriétaire d'une fonderie de caractères... Il doit à 29 ans presque cent mille francs à sa famille et à son amie... Ces cent mille francs de dettes, fruits des trois années de son activité commerciale, seront le rocher de Sisyphe qu'il remontera toute sa vie en déchirant presque ses muscles et qui toujours le précipitera à nouveau dans les abîmes. Cette première et unique faute de sa jeunesse le condamne à rester éternellement endetté; jamais ne se réalisera le rêve de son adolescence, pouvoir travailler librement, être indépendant.

(pp.91 à 108)
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Balzac, après n'avoir suscité l'étonnement que par la diversité de ses talents, révèle toute la profondeur de son génie. Ce sont justement les artistes qui sentent que jamais le secret le plus intime de l'art, le besoin de perfection, n'a été haussé jusqu'au tragique avec une pareille violence ...

Après dix ans de vains tâtonnements et de recherches, Balzac se rend compte de sa véritable mission : devenir l'historien de son propre temps, le psychologue et le physiologue, le peintre et le médecin, le juge et le poète de ce monstrueux organisme qui s'appelle Paris, la France, le monde...

Impitoyable comme un bourreau; il ramènera toujours au bagne de son travail, cet être qui au fond ne demande qu'à jouir sans mesure de la vie, de la puissance, de la liberté...

Dans ses oeuvres, Balzac se propose de créer des êtres humains qui se sont assignés à eux-mêmes les tâches les plus hautes, à proprement parler des tâches irréalisables. Son effort suprême s'applique à des hommes qui succombent sous l'excès de leur effort, aux génies, à des personnalités qui perdent le contact avec la réalité.

(pp.128 -223)
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Vidéo de Stefan Zweig
Stefan Zweig, auteur à succès, se voulait citoyen d'un monde qu'unifiait une communauté de culture et de civilisation. Il n'a pas survécu à l'effondrement de ce «monde d'hier» qu'incarnait la Vienne impériale de sa jeunesse.
Stefan Zweig et tous les grands auteurs sont sur www.lire.fr
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