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EAN : 9782702168790
336 pages
Calmann-Lévy (02/01/2020)
4.25/5   215 notes
Résumé :
"Il essaye de courir en poussant sa famille devant lui, mais un hurlement ouvre le ciel et une mitraillette frappe des millions de coups de hache partout en même temps. Dans le Royaume, il y a des vrombissements lointains. "

1971 : le Cambodge est à feu et à sang. Saravouth a onze ans. Sa petite soeur Dara en a neuf. Leur mère enseigne la littérature au lycée français. Leur père travaille à la chambre d’agriculture. Dans Phnom Penh assiégée, le garçon... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (99) Voir plus Ajouter une critique
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Encore une aventure littéraire et humaine sublime et inoubliable.
Que ce livre inspiré d'une histoire vraie est beau et bien écrit. Emotion (beaucoup), suspens, rythme, action, féerie mais aussi cruauté. Ici Grande et petite Histoire se confondent avec l'imaginaire.
Phnom Penh, Cambodge. 1971. La guerre civile étend insidieusement ses tentacules destructrices. Saravouth, onze ans, sa soeur Dara et ses parents mènent une vie paisible et fantasque dans laquelle l'imagination et la créativité règnent en maître.
Nourri par les lectures de sa mère, professeur de littérature, Saravouth s'invente un « Royaume intérieur » un pays imaginaire en opposition à l'Empire extérieur.
Il embarque sa soeur Dara, rebelle, dans son monde fantasmagorique.
Les deux pays se nourrissent l'un de l'autre et les enfants voyagent avec agilité entre réel et imaginaire, entre Royaume et Empire. Car à cet espace libertaire qu'offre l'imagination s'oppose une situation politique de plus en plus liberticide.
Ostracisés en raison de rumeurs grandissantes concernant les origines vietnamiennes de sa mère, le roman bascule lorsque la persécution envers les Vietnamiens par l'offensive des troupes du général Lon Nol se renforce.
« L'homme bleu » embarque certains de leurs amis, d'autres fuient, les rafles commencent.
Contraint avec sa famille de le suivre à leur tour, Saravouth se réveille en pleine forêt baignant dans son sang. Ses parents ont disparu.
Recueilli et soigné par une sinistre vieille dame aux allures de sorcière dans une cabane insalubre, il attend de regagner des forces avec pour seule obsession de retrouver les siens.
À partir de là commence son « épopée ».
Des jours noirs se profilent éclairés par le souvenir de sa famille qui le guide dans cette nébuleuse et ce jeu de piste.
On assiste à des scènes de tentative de survie apocalyptiques entre onirisme et réalité.
Sa quête le mènera de forêts en hôpitaux en passant par des marécages, des sables mouvants, la traversée périlleuse d'un lac en sampan. Voyageant au milieu de la guerre, slalomant entre les cadavres, les tirs, les crocodiles et une flore hostile.
Il se déplacera aussi de villes en missions avec autant de péripéties, d'activités pour survivre et de rencontres.
Les descriptions alternent habilement entre barbarie et féerie.
De René Char à « Peter Pan » et « l'Iliade et l'odyssée », les recours de l'auteur à des personnages, lieux mythologiques et mythes populaires ainsi qu'à la poésie sont brillamment utilisés et donnent une forme si particulière au roman.
C'est surtout un magnifique livre sur le déracinement.
Et puis le royaume intérieur se désagrège, Saravouth ne peut plus s'y réfugier, sa perception binaire du monde se disloque.
Qu'est devenu Saravouth ? La résilience a-t-elle été possible?
La détresse et les appels à sa mère de cet enfant désorienté résonnent encore en moi...
Et cette fin...
Vibrant, émouvant, brillant et marquant.
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Je sors de ma lecture bouleversé, complètement traversé par cette vie que Guillaume Sire a si bien su écrire, ce drame cambodgien - un de plus sur notre chère planète Terre – un peu trop vite oublié parce que lointain alors que la France était présente dans ce pays où nous avions tenté d'imposer la religion catholique, notre langue et notre culture.

Si Avant la longue flamme rouge n'avait pas obtenu le Prix Orange du livre 2020, je ne sais pas si j'aurais entendu parler de ce roman publié par Calmann-Lévy. C'est ce prix mis en avant par Lecteurs.com et grâce à Nicolas Zwirn que je je remercie, que j'ai découvert la terrible histoire de Savarouth.
Tout débute en pleine déconfiture du prince Sihanouk, choyé par la France, mais chassé par le général Lon Nol que les États-Unis soutiennent. Ce dernier instaure une république mais c'est le chaos dans tout le pays car les Khmers rouges, aidés par leur voisins communistes veulent mettre le grappin sur le pays.
À Phnom Penh, la capitale, vit la famille Inn qui a tout pour être heureuse. Vichéa, le père, dirige le service des litiges à la Chambre d'agriculture pendant que Phusati, la mère, enseigne la littérature française au lycée René-Descartes. Ils ont deux enfants : Savarouth (11 ans) et Dara (9 ans) et leur maman ne ménage pas ses efforts pour leur lire des histoires et leur faire découvrir la poésie. Ainsi, Savarouth se crée un monde fantastique de personnages imaginaires où Peter Pan côtoie les héros de l'Iliade et de l'Odyssée. Il réussit même à mettre mentalement au point un Royaume Intérieur qu'il maîtrise et un Empire Extérieur d'où vient le danger.
Guillaume Sire m'a offert une plongée extraordinaire dans un pays qui se déchire. La nature, la plantes, les traditions, les superstitions s'accumulent sans jamais lasser car tout se passe sur les traces de ce que vit Savarouth. Petit à petit, l'horreur, l'indicible, la cruauté humaine prennent le dessus. Savarouth que l'auteur a rencontré à Montréal, de 2004 à 2007, subit les pires épreuves, rencontre à chaque pas la méchanceté et la violence mais révèle une force incroyable malgré des souffrances intolérables.
En trois parties et un épilogue étonnant, se déroule la vie de ce garçon qui voit son pays ravagé. Tout se passe durant les années 1970 et si j'ai bien entendu parler des incroyables malheurs apportés par les Khmers rouges, grâce à Guillaume Sire, j'ai été plongé dans ces années terribles où tout bascule, où des êtres dits humains se croient tout permis et commettent les pires exactions.
C'est vécu presque au jour le jour comme dans cet hôpital Calmette de Phnom Penh où dans la mission Saint-Joseph qui recueille des orphelins que de riches Français viennent récupérer avant qu'ils sachent parler mais exigeant qu'ils soient propres. Détail important : avant ce rapt déguisé en adoption, aucun bébé n'a encore reçu de prénom.
Prostitution, viols, misère, famine, tout cela se vit sous les bombes et les roquettes mais Savarouth qui a appris à jouer aux échecs avec son père, est très fort grâce à ce monde imaginaire forgé à partir des légendes lues par sa mère.

J'ai regardé Odysseus' Gambit, ce court-métrage conseillé par Guillaume Sire et c'est avec une émotion intense que j'ai vu cet homme qui a traversé tant d'épreuves, subi tant d'horreurs, été grièvement blessé, Savarouth qui joue aux échecs à Union Square dans la ville de New York, aujourd'hui…
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Quel passionnant mais bouleversant et déchirant roman que Avant la longue flamme rouge de Guillaume Sire. Nullement étonnant qu'il ait séduit le jury du Prix Orange 2020 !
L'histoire se passe en 1971, la guerre civile fait rage, Norodom Sihanouk vient d'être destitué par le coup d'État du général Lon Nol, soutenu par les Américains. Ce dernier, aussitôt sur le trône a proclamé la République et n'hésite pas à héberger au palais royal astrologues, nécromanciens et sorcières dont le premier conseil est de traquer et d'exécuter les Cambodgiens d'origine vietnamienne. Si ses armées maîtrisent à peu près Phnom Penh, vers où les réfugiés affluent mais dont les habitants ne sont pas pour autant à l'abri, elles doivent, ailleurs, faire face et résister aux Khmers rouges et aux Vietcongs, le pays est à feu et à sang.
C'est dans ce Phnom Penh assiégé que nous allons découvrir la famille Inn. : la mère Phusati, le père Vichéa et leurs deux enfants Saravouth, 11 ans et Dara 9 ans. Au début du roman, ils semblent mener une vie paisible. Phusati enseigne la littérature française au lycée René Descartes et son plus grand plaisir est de lire des histoires à ses enfants et pour elle toute occasion est bonne pour réciter un vers, le plus souvent de René Char. Vichéa, lui, travaille à la chambre d'agriculture où il instruit les litiges entre paysans et les enfants savourent le moment où leur père rentrent du travail, Saravouth lui proposant aussitôt une partie d'échecs et Dara lui présentant ses dessins. Avec les lectures de Peter Pan et de L'Odyssée, Saravouth arrive à construire un pays imaginaire, un véritable Royaume Intérieur qu'il essaye de faire partager à sa soeur. Mais l'Empire Extérieur, la réalité avec ses dangers va tous les rattraper.
Ce roman, inspiré d'une histoire vraie, rappelle s'il en était besoin la monstruosité et les dégâts engendrés par les guerres. En prenant Saravouth, ce jeune enfant comme victime principale de ce carnage, l'auteur nous implique intimement dans ce récit.
Rester en vie, Saravouth n'y pense que pour retrouver sa famille et la douceur de son foyer, son Royaume est en piteux état. Seul, l'espoir de retrouver les siens le maintient en vie. Une ténacité à toute épreuve et une force mentale hors du commun le poussent à continuer sa quête, à retourner sur les lieux, à fouiller les ruines ...
L'auteur sait trouver les mots pour nous décrire l'indescriptible. Une écriture exceptionnelle fait côtoyer le pire et la beauté, avec parfois un entrelacs des deux comme cette nature luxuriante qui peut se transformer elle aussi en ennemie : les sables mouvants dans lesquels Saravouth manque y laisser sa peau, les marécages, où la vase arrive jusqu'aux genoux de ceux qui fuient, les moustiques s'acharnant sur eux, ou encore ce tigre décharné et blessé qui se dresse face à eux, ceci alors que des grenades éclatent à moins de cent mètres.
Guillaume Sire tout en nous plongeant dans ce conflit décrit également fort bien le pays, son climat avec la saison des pluies, sa nature dévorante et ses animaux, son lac Tonle Sap et ses sampans, ce pays encore ancré dans le passé avec la sorcellerie, les astres, mais aussi la magie bénéfique des plantes et aussi la vie de ces Cambodgiens qu'ils soient paysans ou autres. N'oublions pas enfin les cris, le bruit des armes, mitrailleuses ou grenades et les odeurs qui peuvent être d'une grande délicatesse ou au contraire nauséabondes, le plus souvent mêlées, le tout formant le cadre sonore et odorant du roman.
Ce livre est rempli de poésie. Il est une ode à la littérature, une ode au pouvoir de l'imaginaire, de l'esprit qui permet de se retrancher d'une réalité trop atroce pour être vécue, mais jusqu'où ?
Je savais qu'il s'agissait d'une histoire vraie dès le départ et pourtant l'épilogue m'a laissée sans voix.
Je pense que pour saisir toute la richesse de ce roman, il faut absolument le lire et je remercie infiniment Nicolas Zwirn de Lecteurs.com, grâce à qui j'ai pu le découvrir. Cela restera pour moi un moment de lecture inoubliable !

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C'est un récit dramatique et profondément émouvant.

L'histoire remonte à 1975, au Cambodge, lorsque les khmers rouges destituèrent Norodom Sihanouk de son trône, déclenchant une guerre civile avec tout ce qu'elle implique d'atrocités. Saravouth a onze ans. S'il ne peut mesurer tous les enjeux de ce qui vient bouleverser son quotidien, il perçoit clairement le danger qui rode, et se tient prêt à tout instant à se réfugier dans son Royaume intérieur, nourri des instants de bonheur qu'il cueille comme des coquelicots poussés sur une ruine pierreuse, et d'un univers littéraire qu'il découvre avec gourmandise, où décors et personnages se plient à ses volontés. de Peter Pan à l'Odyssée, ils sont là bien présents, ses compagnons de voyage, dont il a conscience que leur disparition signifierait la fin de tout. Jusqu'où ses capacités d'imagination pourront-elles le protéger contre l'Empire extérieur si cruel?

La perte de sa famille, sa survie miraculeuse lors d'une fuite digne des plus rocambolesques films d'aventures, tout cela est d'autant plus incroyable lorsqu'on apprend qu'il s'agit d'une histoire réelle et que le jeune garçon rêveur vit de nos jours aux Etats-unis, entre défis aux échecs et lutte contre les démons qui ont envahi son Royaume. La vidéo dont le lien apparait à la fin de l'ouvrage est terriblement émouvante.

La littérature ne manque pas de récit de guerres, y compris ceux contés par des enfants (on se souvient du sublime Petit Pays de Gaël Faye). Et celui ci ne se démarque pas, si ce n'est pas l'extraordinaire intelligence et la capacité de résilience hors du commun du héros, et du don d'écriture de l'auteur qui manie les mots pour composer un récit où se mêlent barbarie et onirisme, pour un grand moment de lecture.
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Alors que la guerre civile fait rage au Cambodge, Saravouth et Dara, onze et neuf ans, ont néanmoins pu, jusqu'en cette année 1971, mener une existence heureuse auprès de leurs parents, à Phnom Penh. Mais les combats finissent par atteindre leur ville. Séparé des siens dans la tourmente et réfugié dans la forêt, Saravouth va devoir survivre dans l'enfer d'un pays en plein chaos, avec pour seule obsession : retrouver sa famille.


Inspiré d'une histoire vraie, ce roman terrible et bouleversant commence doucement, au sein d'un cocon familial qui a jusqu'ici réussi à supporter les rigueurs de la réalité grâce au pouvoir des livres et de l'imagination. Saravouth s'est ainsi créé un monde imaginaire, alimenté par la littérature que lui fait découvrir sa mère. le contraste entre cette poésie et la barbarie qui va venir la saccager n'en est que plus frappant, alors que, consterné, le lecteur voit bientôt sombrer les personnages, auxquels il a eu le temps de s'attacher, dans un maelstrom aussi terrifiant qu'inextricable.


Lorsque s'achève cette lecture aux allures de tornade, images et mots continuent à hanter longtemps l'esprit : pas seulement en raison des atrocités commises pendant cette guerre, mais tellement le destin de Saravouth s'avère stupéfiant de bout en bout, sa personnalité magnétique et sa force de survie impressionnante. En nous signalant le court métrage Odysseus' Gambit, tourné sur Saravouth devenu adulte, l'épilogue nous permet de réaliser comment la vie de cet homme est demeurée bloquée dans une impasse tragique. L'on ne peut que s'émouvoir de la stupéfiante résilience de cet être fracassé depuis l'enfance, que la mort n'aura épargné que pour lui en laisser une terrible culpabilité.


Ce livre intense et vibrant se lit en un seul souffle de sidération et vous laisse groggy, accablé par le poids de certains destins que l'on dirait tragiques par essence, et impressionné, tant par son héros malgré lui, que par l'émouvant hommage qui lui est ainsi rendu. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Citations et extraits (109) Voir plus Ajouter une citation
Pour les réfugiés, la saison des pluies est un moment affreux. Chaque recoin de la ville est un fortin couvert de bâches et de plaques de tôle, mais malgré cela l'eau, l'eau froide venue du ciel, s'infiltre partout, et avec elle les araignées velues, les flaques de pétrole, les électrocutions, les maladies, les incendies couvés sous la cendre, une pourriture jusque dans la pierre, sous les dalles, portée à l'intérieur de la ville par les corps de plus en plus nombreux charriés par les eaux du Tonlé Sap et du Mékong, tailladés, échoués sur la rive au milieu des ordures. Les plaies ne cicatrisent pas. Les antibiotiques manquent. Les agressions, les meurtres, les viols se multiplient. autour de Phnom Penh, les combats, sans cesser, diminuent, les lance-roquettes portent moins loin, on a moins peur d'être envahi. C'est un mal contre un autre. Puis la chaleur reprend ses droits. Le courant du Tonlé Sap s'inverse. Le sol, les braseros, les semelles et les armes sèchent ; les rats et les sorcières sortent de leurs trous - et la guerre ressuscite.
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INCIPIT
Saravouth a beau avoir onze ans, il a déjà réalisé une œuvre colossale. Ça a commencé quand il en avait cinq, lorsque sa mère, au lieu des albums illustrés, a ouvert un livre sans un dessin. Feuillets jaunis, fendillés sur les bords, odeur de chou, texture de toile d’araignée, goût de feu de bois, caractères d’imprimerie vaguement gothiques.
— Il était une fois, dans un château fort…
— Qu’est-ce que c’est, maman, un château fort ?
— C’est une pagode avec des murs épais, des tours, un donjon, des remparts, des douves, une église, du foin et des chevaux. Une pagode européenne.
— Et à quoi ça ressemble ?
— Mon chéri, c’est très haut.
— Et à quoi ça sert ?
— À protéger la princesse.
— C’est tout ?
— Et les récoltes. Protéger la princesse et les récoltes.
— Il y a des fenêtres ?
— Il y a des meurtrières.
— Qu’est-ce que c’est des meurtrières ?
— Ce sont des fenêtres assez larges pour tirer des flèches sur les ennemis et assez étroites pour ne pas être touché par les leurs.
— Et les douves, maman, qu’est-ce que c’est ?
— La pagode est entourée d’eau. C’est ça les douves.
— Et à quoi ça sert ?
— Toujours pareil : protéger la princesse et les récoltes. Je la raconte, cette histoire ?
— D’accord.
— Il était une fois, dans un château fort, une princesse enfermée dans la chambre du donjon, son père le roi n’est pas rentré des croisades…
Saravouth trouva la description du château insuffisante. Il décida de la compléter dans sa tête. En plus de l’église, du foin, des chevaux blancs et blonds, des tours en pierres polies, luisantes, des meurtrières et des douves vaseuses, il imagina un toit de verre semblable à celui du pavillon Napoléon-III, une esplanade gardée par des lions sculptés et un clocheton d’émeraude. À l’heure du dîner, le château était complet. Pour franchir les douves, où nageaient des requins et des gobies phosphorescents, il fallait passer un pont-levis en bois vermoulu. Pour compléter les tours crénelées, Saravouth avait ajouté des toits pointus, rouges et laqués. Et pour la princesse, une cheminée d’où s’exhalait un parfum de noisette. Le soir, il ne trouva pas le sommeil avant d’avoir ajouté encore plusieurs détails. Des canards morillons et des buffles dans la cour, des cerisiers, des nuages mousseux et vernissés, des chevaliers en armure, un boulanger et l’odeur du pain : les petits éclats tièdes, la farine envoûtante. Ça se mariait au parfum de noisette. Le lendemain il plaça une montagne derrière le château, des éboulis, des grottes, la neige éternelle, les cheveux de glace. Il n’avait jamais vu de montagne semblable mais c’était d’après lui une sacrée réussite. Il ajouta encore un temple bouddhiste : chedi conique, stèles, pierres angulaires. Et une mission coloniale : la croix, les chapelles, les colonnades doriques. Une échelle de corde, une balançoire en bois peint. Puis une forêt autour de la montagne, d’arbres ébouriffés. Ensuite, les animaux. Un hippopotame dont la peau avait la consistance de l’écorce du hêtre, des loutres rieuses et d’autres mammifères qu’il inventa de toutes pièces : bananes-girafes, tamtams-à-becs, coquecigrues… Et finalement une meute de tapirs à monocle. Après dix mois de travaux, il décida d’intituler son œuvre Le Royaume Intérieur. Aussitôt, il lui sembla qu’il fallait également donner un nom au monde où vivaient ses parents, Dara et les autres êtres humains. Ce serait L’Empire Extérieur.
Depuis le jour glorieux du premier château fort, Saravouth n’a pas arrêté d’ajouter des éléments au Royaume. Parfois des détails : un toboggan orange, une cabane amphibie. D’autres fois des merveilles, dont la construction exigea plusieurs jours de travail. Il mit une semaine à engendrer le peuple des Tings, avec sa Cheftaine-à-Plumes, ses Découvreurs, les herses de son village et le Totem d’Hiver. Et presque un mois à dessiner la Baie-du-Matin-Clair, ses cubes de marbre scintillant, sa mangrove labyrinthique, son eau turquoise, ses têtards-étincelles, son pho-follet et la forêt des trompettes-à-groseilles. À cela s’ajoutèrent une mer salée, des océans, des îles, d’autres châteaux et plusieurs peuples enracinés : Sioux, Judokas, Tartares, Bohémiens, Caïds et, bien sûr, les Pirates redoutables et le taureau Bouldur.
Chaque leçon à l’école est l’occasion d’ajouter des substances, comme les briquettes d’un jeu de construction qui n’aurait ni fin ni limite. Une leçon d’histoire sur la prise d’Angkor lui a fourni une armée de Siamois. Une leçon d’anglais lui a procuré des bumblebees. Une leçon de français des coqs en pâte. Une leçon de sciences naturelles un Théâtre-aux-Abeilles. Saravouth pioche des personnages, des décors, il recompose, additionne, démêle. Il a élevé une tour parabolique au bord du Précipice-Horizon. Déployé une nuée de cerfs-volants au-dessus du Baobab-Souterrain. S’il repère dans une rue de l’Empire un chat au pelage satiné ou n’importe quel fragment ouvragé et digne d’intérêt, touk-touk aérodynamique, flaque présumée sans fond, il en génère une copie et la transfère au Royaume. Les histoires que sa mère lui raconte constituent un gisement inépuisable, ainsi que la catéchèse du père Michel. C’est grâce à cette dernière qu’il a annexé au Royaume une région nommée Ancien-Testament, dominée par le mont Sinaï, ainsi qu’une région nommée Nouvelle-Alliance, dominée par le Golgotha – et des personnages remarquables tels que Salomon-Le-Roi-Sur-Son-Trône, Simon-des-Sirènes, Pierre-à-Pleurs et Zachée-Dans-Les-Branchages.
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Saravouth bloqué par ses blessures étudie la carte de Phnom Penh. Il dépêche Vanak dans chaque quartier, chaque rue. Il envoie Hermès dans les ruines de Troie à la recherche des survivants. Peter Pan dans Londres à la recherche de madame Darling. Quand il a l'idée de l'envoyer chez ce libraire français que Phusati aime tant, et qui est pour elle une espèce de confident, il reprend espoir, parce que c’est logique : depuis le début ses parents étaient cachés dans une librairie, à l'abri sous les fîcelles des mots. Où est-ce que sa mère aurait pu se cacher sinon chez monsieur Antoine, le libraire, avec son sourire gêné et ses lunettes au bout du nez ? Mais non, ils n'y sont pas. Vanak apprend à Saravouth que la librairie est fermée depuis un an. Monsieur Antoine a laissé un mot : Fermé à cause de la folie des hommes, les livres sont en vacances.
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Quand il a l'idée de l'envoyer chez ce libraire français que Phusati aime tant, et qui est pour elle une espèce de confident, il reprend espoir, parce que c'est logique : depuis le début ses parents étaient cachés dans une librairie, à l'abri sous les ficelles des mots. Où est-ce que sa mère aurait pu se cacher sinon chez monsieur Antoine, le libraire, avec son sourire gêné et ses lunettes au bout du nez ? Mais non, ils n'y sont pas. Vanak apprend à Saravouth que la librairie est fermée depuis un an. Monsieur Antoine a laissé un mot : Fermé à cause de la folie des hommes, les livres sont en vacances.
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Chaque soir, avant de rentrer auprès de sa femme et de leurs quatre enfants, le directeur de l’hôpital Calmette, Luc Perrot, passe une heure dans une cabane de Boeung Snor où deux filles le lavent, lui préparent un calumet d’opium, un scotch, et le masturbent. Entre leurs mains, il est comme un ours en peluche ; elles l’embrassent sur le front, le cou, derrière les oreilles ; puis il rentre dans le cocon familial se taire jusqu’à la fin du monde tandis que sa femme, Simone Hache épouse Perrot, tonitrue : « Quand est-ce qu’on quittera ce pays de connards ! Tu t’es encore drogué, hein !... Et les enfants, tu pourrais au moins penser aux enfants ! » (page 192)
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Vidéo de Guillaume Sire
Pour la dernière de la saison, le Meilleur des mondes enfile son jean taille basse et branche son MP3 pour vous emmener faire un tour dans "l'adolescence du web", ces années 2000 qui éveillent chez beaucoup d'internautes une forme de nostalgie. En quoi Skyblog est-il symptomatique de ce web 2.0 ?
François Saltiel s'entretient avec : Guillaume Sire, maître de conférences en science de l'information à l'université de Toulouse Capitole, romancier Pauline Ferrari, journaliste indépendante
"Le Meilleur des mondes", c'est notre émission hebdo sur le numérique et sa place dans la société, à l'antenne tous les vendredis de 21h à 22h, et désormais en version augmentée sur Twitch ! On vous attend sur la chaîne de 20h30 à 23h pour poser vos questions, discuter avec l'équipe et partager vos idées en direct. Suivez-nous !
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