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EAN : 9782072659058
336 pages
Gallimard (15/09/2016)
3.93/5   23 notes
Résumé :
La lecture de L’Étranger tient du rite d'initiation. Partout dans le monde, elle accompagne le passage de l'âge adulte et la découverte des grandes questions de la vie. L'histoire de Meursault, cet homme dont le nom même évoque un saut dans la mort, n'est simple qu'en apparence, elle demeure aussi impénétrable aujourd'hui qu'elle l'était en 1942, avec ses images à la fois ordinaires et inoubliables : la vue qui s'offre depuis un balcon par un dimanche d'indolence, l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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A quel moment naît « L'Etranger » ? Camus achève et signe la première mouture de son manuscrit fin avril 1940. Le livre paraît deux ans plus tard le 21 avril 1942, premier tirage aux éditions Gallimard (4400 exemplaires). Faut-il voir dans une première tentative romanesque abandonnée, « La Mort heureuse », les prémices du roman ? Jean Grenier, son mentor, qui désavoue une telle tentative est tout juste un peu moins sévère ensuite pour le manuscrit de « L'Etranger ». Le début de l'essai esquisse la genèse du livre dans les années d'apprentissage de Camus, militant, journaliste, écrivain, homme de théâtre, entre 1934 et 1939, ses premiers projets d'écriture. Cinq années d'une jeunesse algérienne décisive précédant la guerre. En octobre 1939 il s'apprête à quitter l'Algérie et l'idée d'un deuxième roman s'est déjà immiscée peu à peu dans le projet philosophique d'un cycle sur l'absurde incluant « Le Mythe de Sicyphe » et « Caligula » sur lequel il a commencé à travailler. Ce roman c'est "L'Etranger" qui, on le découvre ici, ne peut être réduit à l'illustration romanesque du dessein philosophique.

A l'origine il y a Mersault, sans « u », comme Patrice Mersault de « La Mort heureuse » et "L'Etranger" aurait pu s'appeler "L'indiférent". Alice Kaplan explore la progression d'une idée en germe chez son auteur ; la naissance et la formulation ensuite d'un style approprié, puisant à diverses sources, littéraire (James M. Cain) et même cinématographique (Le Schpountz). Les protagonistes, le manuscrit et le livre prennent corps, le découpage s'élabore, l'intention s'affine mais quelque chose de plus inattendu s'interpose. Cette part irréductible et autonome de la création qu'Alice Kaplan réussit fort bien à circonscrire dans les notes de Camus : le roman « veut » naître. La chercheuse retrace une aventure politique et philosophique, éditoriale aussi, mais celle surtout d'une création littéraire personnelle très singulière où elle fait entrer le lecteur « par-dessus l'épaule de l'écrivain », à la manière d'un reportage, en une succession rythmée et continue de chapitres assez courts, tous plus passionnants les uns que les autres. La force de l'essai est d'être au contact direct de l'oeuvre dans une proximité et une fidélité constante aux textes et à la pensée de Camus – Carnets, correspondances et notes, conférences, abondamment cités (Bibliographie commentée et appareil de notes conséquent à la fin).

Hésitations, difficultés, rechutes tuberculeuses. Mise en oeuvre d'une écriture, certitude qu'elle peut exister. Premier chapitre écrit sous le soleil d'Oran au début de 1940 puis le reste bouclé dans la grisaille et la solitude de Montmartre, dans la petite chambre parisienne de l'hôtel Poirier. « Alger Républicain » a fermé ses portes. Les Allemands occupent bientôt la France. Après l'achèvement du manuscrit commence son aventure éditoriale. Deux ans de tribulations pendant lesquels Camus fera un bref passage à "Paris- Soir", puis entrera à "Combat". On découvre  "L'Etranger" comme jamais. Un roman "très sonore", ensoleillé et rude, qui fait concevoir différemment "l'autisme" de Meursault, mieux saisir l'obsession de la peine de mort chez Camus ou l'anonymat de  "l'Arabe" ; "la tendre indifférence du monde" finale y prend tout son poids. Les mois d'errance de l'écrivain et de son manuscrit dans la France coupée en deux empoignent, on y entend Malraux, Grenier, Pia, Paulhan ou Jean-Paul Sartre. On perçoit l'écho de Belcourt, des rues d'Alger dont la chronique coloniale est aussi terriblement judiciaire. De ce livre qu'il pensait "tout tracé en lui" Camus désirait qu'il soit réservé à un cercle restreint de lecteurs mais consentira après sa « nobelisation » en 1957 à une édition poche grand public. le livre comporte soixante traductions - "The Outsider" pour les Anglais, "The Stranger" pour les Américains - et Meursault est devenu aussi célèbre que son auteur, recouvert des innombrables interprétations et lectures qui ont été données de lui et sur lesquelles Alice Kaplan s'attarde - lecture existentialiste notamment ou lecture politique.

C'est avant tout la biographie de "L'Etranger" que cet essai propose, l'examen des conditions de sa maturation est une quête sur le sens de ce livre dans l'oeuvre de l'écrivain et pour lui, plus spécifiquement, plus intimement j'ose dire. Un beau portrait de Camus apparaît, né sur les bords de la méditerranée et pétri de sa culture, engagé, fiévreux et résistant, créateur instinctif, s'autorisant enfin à devenir écrivain sans l'approbation de Jean Grenier, à écrire "sans appel". Toutes sortes de curiosités, littéraire et historique, documentaire et biographique, philosophique et critique peuvent être satisfaites ici. Si l'histoire intellectuelle et matérielle des manuscrits du livre, l'histoire de la réception critique du roman d'une rive à l'autre de la méditerranée et de part et d'autre de l'atlantique sont véritablement passionnantes, je retiens in fine que par « L'Etranger » Camus trouve les raisons d'être l'écrivain qu'il veut être. Très belle et très enrichissante recherche qui recèle d'autre part une réflexion profonde et stimulante sur l'énigmatique Meursault dont la « vérité négative » et les « énergies contradictoires » continuent de susciter des débats de part et d'autre de la Méditerranée, plus de soixante-dix ans après (« Meursault, contre-enquête », Kamel Daoud, 2014). Meursault dérange toujours, alors vive Meursault. Lecture qui se clôt en beauté par un voyage d'Alice Kaplan à Oran et sur une note optimiste réservant quelque surprise au lecteur. Je recommande absolument ce regard américain sur un roman si emblématique.














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« On ne pense que par image. Si tu veux être philosophe, écris des romans » Camus, Carnets.

Passionnant ! C'est vraiment le mot qui me vient à l'esprit au sujet de cet essai que je viens de terminer sur le livre d'Albert Camus : L'Étranger.
Un énième commentaire de texte ? Non, pas du tout ! le projet d'Alice Kaplan est simple : écrire une biographie, non de l'auteur mais du livre lui-même. Autrement dit, en raconter sa genèse et le suivre pas à pas : de sa création à sa publication bien compliquée en 1942 sous l'Occupation nazie jusqu'aux premières et parfois très surprenantes réactions du public.
En 1937, Camus rédige un roman intitulé "La Mort heureuse" : un certain Patrice Mersault tue un ami puis le vole. Les personnages et les lieux sont nombreux. L'écrivain s'interroge sur la condition humaine et la beauté des hommes et du monde. Il envoie le manuscrit à Jean Grenier, son ancien professeur de lycée, qui le critique sévèrement au point que le jeune homme s'interroge sur son avenir d'écrivain.
Qu'à cela ne tienne, Camus le réécrit, remaniant l'intrigue mais ce roman ne cesse de lui échapper, comme s'il n'était pas le sien.
A côté, sous forme de notes, un autre roman prend forme : Camus imagine que son personnage de "La Mort heureuse" raconte l'histoire d'un condamné à mort : « Je le vois, cet homme. Il est en moi. Et chaque parole qu'il dit m'étreint le coeur. Il est vivant et respire en moi. Il a peur avec moi. » dit Patrice Mersault. (le u de Meursault ne viendra que plus tard et son origine reste assez mystérieuse)
Et là, dans les propos d'un premier personnage, est en train de naître un second personnage qui s'incarne progressivement dans l'esprit de son auteur.
En avril 1937, Camus écrit dans un carnet : « Récit - l'homme qui ne veut pas se justifier. L'idée que l'on se fait de lui est préférée. Il meurt, seul à garder conscience de sa vérité - vanité de cette consolation. »
Il semble que l'idée du livre vienne d'éclore. Les choses se mettent en place.
En juin 1937, il imagine les visites d'un prêtre.
Il prend ici et là de quoi nourrir son roman : l'enterrement de la grand-mère de sa belle-soeur qui logeait dans un asile de vieillards à Marengo deviendra matériau narratif. le réel se fait fiction.
Par ailleurs, Camus souhaite revoir la forme et il note dans ses carnets des principes d'écriture : « La véritable oeuvre d'art est celle qui dit moins », « Pour écrire, être toujours un peu en deçà dans l'expression (plutôt qu'au-delà). Pas de bavardages en tout cas. »
Enfin, à l'automne 1938, sur un des carnets, on peut lire quelques lignes que l'on connaît bien « Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile. « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Ça ne veut rien dire. C'est peut-être hier… »
Mais Camus a besoin d'argent : son salaire de 1000 francs versé par l'Institut de physique du globe n'est pas suffisant. Atteint de tuberculose, il ne sera pas autorisé à passer l'agrégation de philosophie. Or, un certain Pascal Pia, frais débarqué de Paris et souhaitant lancer un nouveau journal, le recrute immédiatement. Camus a vingt cinq ans et vit séparé de son épouse. Il devient rédacteur en chef du journal Alger républicain.
En tant que journaliste, il assiste à de nombreuses audiences judiciaires, affaires de violences voire de meurtres et observe le jeu étrange de la justice.
Au printemps 1939, il sait que son narrateur va tuer un Arabe : les conflits entre Arabes et Européens sont nombreux dans cette Algérie colonisée et les journaux en sont le reflet.
Par ailleurs, l'écrivain lit les polars américains et notamment le facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain : ce n'est pas tant l'intrigue qui le séduit que le point de vue adopté. La narration se fait à la première personne du singulier. Les phrases sont courtes, sans aucune analyse ni subjectivité. Une espèce de style minimaliste qui va enchanter Camus.
En juillet 1939, alors qu'il est en vacances à Oran, on lui raconte que deux Arabes étant allés marcher sur une plage réservée aux Européens, une bagarre a éclaté, épisode qui rappelle le crime de Meursault sur la plage.
Il commence à écrire "L'Étranger" l'été 1939.
Fin 1939, on peut lire dans son carnet : « Cette histoire commencée sur une plage brûlante et bleue, dans les corps bruns de deux êtres jeunes - bains, jeux d'eau et de soleil… »
On sent que les matériaux sont là autour de lui, qu'il ne reste plus qu'à les mettre en forme, à les emboîter. Cette oeuvre est désormais en lui. Il dira plus tard, alors qu'on l'interroge sur la création de son oeuvre : « Quand j'avais trouvé les trucs, je n'avais plus qu'à l'écrire. » Finalement, c'est à Paris en 1940 où il deviendra, grâce à Pia, secrétaire de rédaction à Paris-Soir qu'il rédigera l'essentiel de son texte, dans une chambre de l'hôtel du Poirier, rue Ravignan, à Montmartre.
Tout lui est étranger dans cette ville où il vient d'arriver et cette sensation lui permet peut-être de mieux exprimer sa pensée philosophique : « Que signifie ce réveil soudain - dans cette chambre obscure - avec les bruits d'une ville tout à coup étrangère ? Et tout m'est étranger, tout, sans un être à moi, sans un lieu où refermer cette plaie. Que fais-je ici, à quoi riment ces gestes, ces sourires ? Je ne suis pas d'ici - pas d'ailleurs non plus. Et le monde n'est plus qu'un paysage inconnu où mon coeur ne trouve plus d'appuis. »

Cette « biographie » du livre fourmille de détails dont je n'ai tiré que quelques exemples qui permettent de comprendre comment cette oeuvre a pris forme lentement, remplaçant un autre roman, resté lui, à l'état de manuscrit.
La seconde partie de ce vrai travail de chercheur porte sur la publication de l'oeuvre dans une France occupée : encore une aventure incroyable et des rebondissements qui font froid dans le dos…
J'ai vraiment eu l'impression d'assister aux premières loges à la naissance d'un des grands chefs - d'oeuvre du XXe siècle.
"En quête de L'Étranger" est donc un essai riche, très documenté, écrit dans une langue simple et qui prend la peine d'expliquer très clairement certains points historiques, ce qui rafraîchit la mémoire et replace l'oeuvre dans son contexte. Des cartes viennent même concrétiser le parcours du manuscrit en 1940-41.
Vraiment passionnant ! Un vrai roman !

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Journaliste, militant, écrivain, homme de théâtre, amant, brièvement époux, fils de sa mère, enfant de son quartier miséreux: à vingt-cinq ans, Camus a déjà tenu bien des rôles. Pas une seule fois «le même visage pour deux êtres». Tout le problème est là, affirme l'auteure. C'est ce qui rend difficile les recherches, impossible des conclusions et délicate la description. de Camus, mais aussi et surtout des personnages du roman en question.
Aujourd'hui encore, «l'Etranger» reste à déchiffrer, chacun y allant de son interprétation. La littéraire, la politique, la sociale, la philosophique,… Et, même les (re-)lectures mutltipliées ne résoudront pas le problème. Cela est, sans doute, très lié à la personnalité même de son auteur, lui-même un homme assez «compliqué». En fait, simplement un «artisan de la littérature» qui a «foi dans les vertus du remaniement» et qui, à l'inverse de Sartre, a plus de talent que de génie (ils sont qualifiés, les deux, d'«ennemis intimes»: Camus avait soutenu, dans un article que Sartre est plus un philosophe qu'un romancier... et Sartre avait déclaré que Camus est bien meilleur romancier qu'il n‘est philosophe...). le démarrage est difficile. Il a beau ciseler des phrases splendides, le roman ne parvient pas à se modeler. Il travaille à partir de souvenirs d'enfance et de jeunesse, de lectures passées, de spectacles vus, de petits bouts de papier, de rencontres, d'autres manuscrits, d'images et de pensées couchées sur le papier... Il travaille, en fait, et c'est ce que fait ressortir l'auteure de l'essai (qui a entrepris, en «détective manquée», une longue enquête sur le terrain à Alger et à Oran), comme le «grand reporter de presse» et le correspondant judiciaire qu'il a été à ses débuts. A l'écoute de son ressenti, de son environnement et des réalités sociétales... tout particulièrement les conflits latents ou révélés entre les communautés européenne (surtout la classe ouvrière des Européens d'Alger... les «petits blancs d'Algérie») et «arabe». Avec un peu, un tout petit peu, d'aversion pour la violence coloniale.

Heureusement, l'effort apporte toujours un gain quel qu'il soit. Et, peu à peu, «L'Etranger» va devenir un roman écrit... «sans le savoir», un livre «trouvé en lui»... sur le cadavre d'un autre projet, abandonné en cours de route, au stade de manuscrit, «La Mort heureuse»... et en passant par un essai sur l'absurde, «Le mythe de Sisyphe». L'idée d'une oeuvre de fiction qui se trouverait à l'intérieur du créateur, attendant d'être découverte, est un «élément clé du crédo moderniste en général et de la poétique de Camus en particulier... Proust décrit cette même idée dans «Le Temps retrouvé...».
Avis : Sacré Camus, il n'arrête pas (comme son roman), sinon de passionner, du moins d'attirer. Une analyse fouillée et de grande qualité... et une autre théorie (celle-ci, à mon avis, «anecdotique» et littéraire, s'intéressant bien plus à la vie européenne de l'époque, à Alger, Oran et Paris, qu'au contexte colonial... encore que, peut-être, A. Camus n'avait pas osé dépasser la «ligne rouge» permise par sa communauté «pied-noir») sur la question. Il est vrai, que l'«on ne fait pas la même lecture de «L'Etranger» selon que l'on est américain, français ou algérien» (K. Daoud)... ou selon que l'on est étudiant, enseignant, écrivain, critique, historien... ou... A lire et, surtout, ne vous découragez pas devant la masse de détails.
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A peine la dernière page lue, j'ai besoin de vous le partager... Un acte très égoïste parce que c'est ma façon de poursuivre la praline qu'a été En quête de L'Étranger d'Alice Kaplan.

J'ai deux Merci à distribuer avant d'aller plus loin! le premier est pour mon mari. Merci Amor mio pour ton Amour des mots et de la littérature. Merci pour nos échanges et ceux autour d'Albert Camus! Merci de m'avoir partager, fait découvrir un de tes livres préférés, L'Étranger, et de m'accompagner dans mes réflexions nées depuis!

Je dois aussi un immense Merci à Daniel Nazon! Merci de m'avoir fait part de l'existence de cet essai! Merci de m'avoir fait découvrir Alice Kaplan, une autrice avec un style agréable et qui a su me rendre son travail captivant! Captivant au point que j'ai redouté le point final tant j'en veux encore... Merci!

Alice Kaplan au lieu d'écrire une énième biographie de l'auteur, a décidé de s'inscrire dans ce qui j'espère se fera de plus en plus, dans une voie inauguré par un auteur Michael Gorra. Michael Gorra avec son Portrait of a novel. The making of an American masterpiece ., s'attache à faire la biographie de l'oeuvre Portait de femme de Henry James. Plutôt que de porter l'attention sur la personne qui a écrit, l'attention est portée sur l'oeuvre.

Alice Kaplan à l'image de Michael Gorra va nous donner les éléments importants de la vie de Camus qui permettront de comprendre comment est né petit à petit L'Etranger dans l'esprit de Camus. Cette genèse est importante et est complétée aussi par un vrai travail de détective pour comprendre quels sont les éléments qui ont nourrit sa réflexion pour arrêter ses choix dans la construction du fond et de la forme de l'Étranger.

On y découvre comment la quasi surdité de sa mère et de son oncle ont influencé le style de Camus pour l'Étranger, on y découvre les faits qui ont inspirés les scènes marquantes et pourquoi entre tous, ceux-ci plus que d'autres ont retenus son attention... Mais Alice Kaplan ne s'arrête pas là! Elle retrace aussi le parcours du combattant qui a entouré la publication de cet oeuvre, de son accueil dans un premier temps en France et du rôle joué par son ami Pia, mais aussi Malraux, Sartre et tant d'autres. Puis viendra aussi la publication dans un second temps dans le monde anglo - américain où The Stranger ravira les Américains et The outsider, les Anglais. Une particularité élucidé par Alice Kaplan et qui va bien au-delà du timing entre traduction et édition.

Alice Kaplan ne s'arrête pas là. La biographie pourrait se terminer dans cette historicité... Mais l'autrice s'attache aussi à montrer l'évolution de l'attachement de Camus à son oeuvre et la naissance de l'indépendance de celle - ci face à son créateur... S'y rajoutera l'évolution des centres d'intérêt des lecteurs et donc les nouvelles approches de l'appropriation de L'Étranger auprès de ceux-ci. Après les questions existentialistes, viendront celles nées de la décolonisation...

Tout ce travail est porté par une écriture agréable et claire d'Alice Kaplan. Ce qui lui permet de nous embarquer dans son "Enquête" jusqu'à la dernière page et de nous redonner par la même occasion une envie de relecture de L'Étranger de Camus à la lumière de son essai mais aussi de continuer à découvrir cet auteur avec d'autres de ses écrits dont on sait qu'ils ont été en lien avec L'Etranger ou qu'ils ont bénéficié de l'évolution d'Albert Camus depuis...
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La quête de L'Etranger n'est pas un nouveau livre consacré à l'analyse, à « l'introspection » de ce premier roman de Camus, (La Mort heureuse , roman « inabouti » fut édité après son décès .)
Pour Alice Kaplan, brillante universitaire, c 'est effectivement une longue quête, une recherche minutieuse pour recueillir tous les éléments, tous les indices, toutes les anecdotes, qui vont constituer la structure, la trame, le squelette, la matière même de
« L'Etranger ».
Elle a compulsé d'abondantes biographies consacrées à Albert Camus, elle a consulté aussi de nombreux ouvrages en lien avec l'environnement de Camus aussi bien en Algérie (Alger, Oran…) qu'en France ( Paris, le Panelier…) ceux qui parlent des paysages plongés dans la lumière éblouissante de l'été algérois, ceux des crépuscules gris, des jours d'insouciance, de guerre, de mort, de maladie … Elle a collecté d'autres détails précieux en se rapprochant d'éminents camusiens, de Catherine Camus en la rencontrant à Lourmarin, de Marcelle Mahasela qui était alors la responsable du fonds Camus à la Méjanes à Aix-en-Provence…
Elle va mettre en exergue les expériences, les mauvaises comme les bonnes, les échecs de sa vie, ses tourments, tout ce qui a alimenté, véritablement et subtilement le roman. C 'est une compilation un peu similaire que Camus lui-même consignait dans ses cahiers, les moments tragiques ou comiques, les lectures, les films, l'actualité prégnante d'alors, et qui, au fil du temps allait donner vie et nourrir ses personnages, peindre le décor de l'action, trouver le ton qui convient, pour en faire de subtiles combinaisons, des connexions et aboutir enfin à ce roman.
Si pour certains L'Etranger reste encore et toujours abscons, cette lecture pourrait ouvrir des horizons pour mieux comprendre la personnalité Camus et en filigrane, celle de Meursault.
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critiques presse (1)
Telerama
28 septembre 2016
Une biographie magnifiquement documentée de l'oeuvre de Camus.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Je t'écris dans la nuit. Je viens de terminer mon roman et je suis trop énervé pour songer à dormir. Sans doute, mon travail n'est pas fini. J'ai des choses à reprendre, d'autres à ajouter, d'autres à réécrire. Mais le fait est que j'ai fini et que j'ai tracé la dernière phrase. [...] J'ai ce manuscrit devant moi et je pense à ce qu'il m'a coûté d'effort et de volonté - combien il a fallu lui être présent, sacrifier d'autres pensées, d'autres désirs pour rester dans son climat. Je ne sais pas ce qu'il vaut. A certains moments, ces temps-ci, certaines de ses phrases, son ton, ses vérités me traversaient comme des éclairs. Et j'en étais terriblement orgueilleux. Mais à d'autres moments, je n'y vois que des cendres et des maladresses. Je suis trop imbibé de cette histoire. Je vais mettre ces papiers dans mon tiroir et commencer à travailler mon essai. Dans quinze jours, je ressortirai tout cela, je retravaillerai ce roman. Je le ferai lire ensuite. Je ne veux pas trop m'attarder dessus parce qu'en réalité je le porte depuis deux ans et j'ai bien vu à la façon dont je l'écrivais qu'il était tout tracé en moi. (A. Camus à Francine Faure, 30 avril 1940, lettre citée in B. Pingaud, L'Etranger d'Albert Camus).

Chapitre XII, Tout tracé en moi, p. 106
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Derrière les mondanités, la vie clandestine de Camus commence. Pascal Pia lui avait obtenu un travail à Alger républicain, puis avait piloté la publication de son premier roman chez Gallimard ; à présent, l'homme de presse aguerri fait entrer Camus au comité de rédaction de Combat, un journal clandestin préparé dans de minuscules studios et chambres de bonne, à Paris, et imprimé dans une presse clandestine à Lyon. Malgré une équipe modeste, Combat jouit d'une importance politique que Camus n'a jamais connue ailleurs. Ce travail va le changer. Camus obtient une fausse carte d'identité au nom d'Albert Mathé et un acte de naissance assorti. Comme tous ses camarades résistants, il adopte un nom d'emprunt : ses camarades l'appellent "Beauchard". Quand Pia se voit confier de nouvelles activités au sein de la Résistance, Camus le remplace au poste de rédacteur en chef d'un journal qui, en 1944, paraît toutes les trois semaines et bénéficie d'une diffusion de 250 000 exemplaires.

Chapitre XXI, De l'absurde à la révolte, p. 189
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En cet hiver de 1940, l'avenir de Camus est incertain, mais ce premier chapitre est comme une promesse qu'il se fait à lui-même : pour continuer il le sait à présent. Il ne lui reste plus qu'à trouver du temps et un lieu où écrire. Il découvre en Meursault un agent qui lui permettra de muer ses premières perceptions du monde et de répondre au défi qu'il s' est adressé : "Pour écrire, être toujours un peu en deça dans l'expression". En découvrant ainsi qu'il peut être écrivain sans verser dans la fioriture, dire "je" sans tomber dans la confession, Camus se donne les moyens de poursuivre et d'achever son roman.

Chapitre VIII, Un premier chapitre, p. 82
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S' il apparaît évident à partir de 1940 que le pays va continuer à éditer des livres, le processus promet d'être imprévisible et soumis à des considérations politiques. Faire avec la censure, éviter certains sujets pour s' assurer l'approbation des Allemands, publier en zone libre ou occupée, ne pas publier du tout - éditeurs et écrivains acceptent alors des compromis dont ils devront répondre un jour. Camus est pris dans ce système, tout comme Gaston Gallimard.

Chapitre XVIII, Gallimard en guerre, p. 150
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D'où vient que savoir rester seul à Paris un an dans une chambre pauvre apprend plus à l'homme que cent salons littéraires et quarante ans d'expérience de la "vie parisienne". C'est une chose dure, affreuse, parfois torturante, et toujours si près de la folie. Mais dans ce voisinage, la qualité d'un homme doit se tremper et s' affirmer - ou périr. Mais si elle périt, c'est qu'elle n'était pas assez forte pour vivre. (A. Camus, Carnets, OC II, p. 909)

Chapitre X, Écriture de la première partie, p. 91
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Videos de Alice Kaplan (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alice Kaplan
Alice Kaplan, universitaire américaine spécialiste de Camus, et Alain Farah, universitaire québécois d'origine libano-égyptienne enseignant lui aussi la littérature, ont écrit, chacun à leur manière, un roman des origines. Inspiré par l'histoire vraie d'une des dernières familles juives d'Algérie que la guerre d'indépendance puis la décennie noire n'ont pas dissuadée de rester dans le pays, Maison Atlas mêle sur plusieurs générations et à travers plusieurs voix les destins croisés de deux familles, l'une algérienne, l'autre américaine. Fresque familiale entre le Canada d'aujourd'hui et l'Égypte des années 1960 en même temps qu'autobiographie romancée plongeant au coeur de l'intime, Mille secrets mille dangers tisse aussi des temps multiples. Pourtant, à la manière de l'Ulysse de Joyce, l'intrigue de ce roman se déploie sur une seule journée, celle du mariage de l'auteur-narrateur qui devient ici prétexte à rassembler les pièces du grand puzzle de son existence… Deux récits virtuoses qui interrogent la transmission et l'héritage familial face aux défis de l'histoire, ainsi que l'exil et la force des sentiments.
__ Une rencontre avec Alain Farah (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/alain-farah/) et Alice Kaplan (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/alice-kaplan/) animé par Sophie Joubert (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/sophie-joubert/) et enregistrée en public en mai 2022 au Mucem, à Marseille, lors de la 6e édition du festival Oh les beaux jours !.
__ À lire
Alain Farah, Mille secrets mille dangers, le Quartanier, 2022. Alice Kaplan, Maison Atlas, traduit de l'américain par Patrick Hersant, le Bruit du monde, 2022.
__ Montage : Clément Lemariey Voix : Nicolas Lafitte Musique : The Unreal Story of Lou Reed by Fred Nevché & French 79 Photo : Nicolas Serve Un podcast produit par Des livres comme des idées (http://deslivrescommedesidees.com/).
__ La 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (https://ohlesbeauxjours.fr/) aura lieu à Marseille du 24 au 29 mai 2023.
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