"J'ai écrit ce livre pour tendre un miroir à l'époque" a déclaré
Karim Miské qui s'inquiète que l'on puisse jouer avec l'idée d'une guerre civile en France.
C'est en quelque sorte pour conjurer le sort qu'il écrit cette fiction politique dans laquelle la France de 2030 est submergée par des affrontements entre les mouvements de gauche et l'extrême droite, les wokistes et la Ligue.
Au centre du roman, Kamel, un écrivain sexagénaire, un brin désabusé et qui a déjà mené bien des combats sur les traces familiales , vit reclus dans son appartement de Belleville depuis que les attentats se multiplient. Il a connu les attentats de 2015 qui ont bouleversé sa vie mais n'a jamais voulu quitter ce quartier cosmopolite qui a su trouver le " vivre ensemble".
Mais lorsque des amies sont mortellement blessées dans un énième attentat, il fait l'expérience d'une souffrance infinie qui l'amène au désir de faire souffrir l'Autre. L'auteur pose alors une réflexion sur la conscience de chacun des limites entre le Bien et le Mal et s'interroge sur la dimension éthique de la vengeance. Se venger, c'est rendre le mal par le mal.
"Faire souffrir, faire du mal. Attraper des tenailles, un tournevis, deux fils électriques dénudés, une perceuse, n'importe quoi. Creuser la chair, la fouailler à perdre la raison. Percer un chemin dans l'inconscient de ce salopard de ligueur, une longue traînée de douleur. Devenir un héros maléfique à la
Thomas Harris, à la
Lautreamont, à la
Stephen King. "
Cet écrivain humaniste et érudit va se confronter à une logique de haine qui l'autorise à envisager la torture comme riposte. le désir de vengeance découle alors des pires pulsions humaines : le plaisir sadique de faire souffrir celui qui m'a fait souffrir.
Mais il comprendra rapidement, lorsqu'il sera confronté à la souffrance des ligueurs, que la loi du talion est un non-sens et que faire l'apologie de la vengeance, c'est aussi faire l'apologie du terrorisme.
Karim Miské, pour donner corps à l'engagement de Kamel, choisit de lui faire revivre par procuration une histoire d'amour. Par l'intermédiaire d'un pendentif, il découvre l'histoire de l'amour impossible entre Soraya et Arnaud pour cause d'idéologie incompatible.
En mettant son énergie au service du couple par pur sentimentalisme, il sera obligé d'affronter non seulement la violence mais aussi les intrigues les plus sombres, les compromis et les manipulations.
Les luttes de pouvoir transforment rapidement ce roman en thriller politique. Plutôt que d'affronter les milices d'extrême droite, Kamel est menacé par les membres de son propre camp, à l'intérieur duquel s'opposent plusieurs factions.
" le pouvoir rend fou. L'hubris, le fantasme de toute puissance. Tu arrives au sommet et tu te crois l'égal des dieux. Mais ce qui te rend fou en réalité, c'est que tu es tout petit et que tu vas mourir comme les autres."
Aucun camp n'échappe à cette volonté de puissance. Dans chaque état major, des hommes et des femmes sont prêts à réecrire l'histoire, à manipuler l'opinion, à conclure des alliances infâmantes, à sacrifier des populations innocentes.
En concluant par un épilogue en forme de clin d'oeil,
Karim Miské laisse cependant les lecteurs dans l'interrogation de ce qu'ils feraient si une telle situation se produisait. Face à des dérives terrifiantes, le minimum pour chacun d'entre nous, est de parvenir à conserver notre humanité.
Merci à Masse critique privilégiée et aux éditions Les avrils, dont je salue le beau travail d'édition, pour l'envoi de ce roman de qualité.