Après avoir dévoré son précédent roman «
Comme une bête », je n'ai pas hésité une seconde à me ruer sur son dernier, «
La peau de l'ours ». Et j'ai eu raison !
Joy Sorman nous parle encore d'animaux, mais cette fois-ci, des ours. Son histoire prend la forme d'un conte - avec prologue et épilogue – intemporel puisqu'on ne sait rien du lieu ni de l'époque. Elle nous raconte la relation qu'entretient l'ours avec l'homme, cette cohabitation à distance, l'animal ne devant pas s'approcher du village. Pourtant, l'ours fascine l'homme – ou plutôt la femme, qui voit en cette grosse bête poilue un objet de désir, comme le dit clairement l'auteur dans le roman : « le contrat interdisant aux ours de s'approcher des enfants avait été étendu aux jeunes filles, leur attirance réciproque, depuis longtemps suspectée et redoutée par les hommes, mettant en péril la survie de la communauté, le maintien de l'ordre et la bonne moralité des femmes, dont il ne faut pas exciter le désir. »
Cette ambiguïté du désir d'un être humain pour un ours va prendre corps au début du récit. Une jeune fille est capturée par un ours, qui la retiendra prisonnière et la violera régulièrement – on note ici que celle-ci n'est pas consentante, donc réfute la théorie de l'attirance mutuelle, à moins qu'entre fantasme et réalité, il n'y ai plus d'un pas à franchir… de cette union physique naîtra un être, mi-homme mi-ours, qui sera vite vendu à un montreur d'ours, personne au village ne souhaitant garder cet hybride qui fait peur, qui rend réel l'union homme/bête.
C'est ce pauvre personnage – qui d'ailleurs n'a pas de nom dans le roman - qui sera narrateur. On suit son parcours, sa vie au gré de ses maîtres à qui il sera vendu successivement. Après une enfance dont le physique laisse entrevoir l'humanité dans ses traits, l'âge adulte le transformera définitivement en ours, gros, poilu, poussant des grognements. Mais malgré tout, dans ce qu'il raconte au lecteur, son humanité persiste. Il est doté de sentiments, presque de parole – car il nous raconte tout de même sa vie – et il réalise parfaitement ce qu'on lui fait faire, ce qu'il subit. C'est là tout l'attachement que le lecteur éprouve peu à peu pour ce narrateur, acteur passif face à des hommes qui le traitent
comme une bête, alors que les femmes elles, ne le fuient pas, elles se font compagne de cet ours, se lovent dans sa fourrure pour se réchauffer, lui parlent.
On ne peut être que touché par ce récit, on s'interroge sans cesse sur le frontière floue entre bestialité et humanité – le narrateur après tout, marche, danse, fait du patin à roulette ; mais il dort dans une cage, est tenu en laisse.
Se dégage une sorte de mélancolie tout au long du roman, de ce pauvre ours qui s'en est remis à son propre sort, qui ne lutte pas – où irait-il lui qui n'a jamais vraiment vécu comme ours « sauvage » ? – qui est seul au bout du compte, unique en son genre.
Un beau récit donc, étrange de par la narration d'une bête, mais qui en dit long aussi sur les hommes, leur réaction face aux animaux, et alors on est, nous lecteurs, de l'autre côté de la barrière, on s'identifie aux animaux.
De plus,
Joy Sorman à la fois nous montre qu'elle s'est documentée sur le sujet, la symbolique de l'ours depuis le moyen âge, roi des animaux avant le lion, et en même temps invente cette histoire d'être hybride, triste mais qui ne perturbe pas la réception du récit.
Pour aller plus loin et découvrir le destin de l'ours, je vous invite à lire « Ours : histoire d'un roi déchu » de
Michel Pastoureau publié au Seuil en 2007.