Un grand classique de la littérature du XVIIe et un grand classique de la littérature française tout court. Grande dame de la bonne société fréquentant la cour, aux premières loges pour suivre les évènements de son siècle, Marie de
Rabutin-Chantal, marquise
De Sévigné, n'était à priori pas un écrivain, mais a écrit beaucoup de
lettres, ce qui n'avait rien d'exceptionnel à son époque. Une partie de cette correspondance a survécu, presque par hasard, car au XVIIe on ne gardait pas les manuscrits ni les
lettres. Ainsi, sur les milliers de
lettres écrites par Racine, seules 225 nous restent, grâce à ses fils, très dévoués à la mémoire de leur père. Dans le cas de Madame de
Sévigné, c'est sa fille, Madame de Grignan, qui a gardé toute la correspondance envoyée par sa mère. La marquise a pourtant écrit toute sa vie à toute sorte de gens, mais peu de ces missives nous sont restées. Parmi elles, certaines des
lettres adressées à son cousin,
Bussy-Rabutin. C'est le premier à avoir publié sa cousine, il a inséré dans ses
Mémoires quelques
lettres de la marquise. Et ce sont ces dernières qui ont été remarquées, au point d'éveiller la curiosité et donner envie d'en éditer d'autres. Quelques éditions d'un nombre restreint de
lettres paraissent, d'une manière quelque peu anarchique et sans l'accord de la famille. Pauline de Simiane, sa petite fille, charge donc un certain Perrin d'établir une édition « autorisée ». Un choix de 772 est établi, et les originaux sont brûlés. Perrin se permet des grandes libertés avec le matériel d'origine : il coupe, réécrit. Il faut être conscient que ce qui nous reste n'est qu'une sélection, et parfois infidèle à l'original. Il ne reste actuellement que 1120
lettres dont 764 à sa fille, 126 à
Bussy-Rabutin et 220 à vingt-neuf autres destinataires. Pour seulement 15 % d'entre elles, le texte autographe a survécu.
L'essentiel de ce qui reste sont donc les lettre à Madame de Grignan. Tout simplement parce qu'elle les a conservées, ce qui n'a pas été le cas de tous les correspondants de sa mère. Et puis, parce qu'écrire à sa fille a été la grande occupation de la marquise, à partir de la séparation, suite au mariage et au départ dans le sud de la jeune femme. Deux, puis trois services postaux par semaine, aucun sans une lettre. Et cela pendant 25 ans. Les
lettres ne s'interrompent que lorsque les deux femmes sont réunis, soit à Paris, soit en Provence. On a beaucoup écrit sur cet amour fou de la mère pour sa fille, qui s'oppose tellement à l'attitude raisonnable de la marquise par ailleurs, qui semble prendre la vie comme elle vient, avec une forme d'optimisme et d'enjouement. Les
lettres à son cousin révèlent beaucoup d'esprit, une sorte de coquetterie élégante, une mise à distance. C'est une fine observatrice, par exemple ses comptes rendus du procès de Fouquet sont remarquables d'intelligence et de finesse. L'air de rien, sa vision de la cour, des maîtresses royales, montre qu'elle n'est pas dupe, qu'elle juge, mais tout est en suggestion, dans le choix des mots, qui laisse entendre, n'assène pas. Évidemment, on imagine que si certaines ont été plus explicites ou plus féroces, elles n'auraient pas été publiées, mais cela ne semble pas être dans la manière de la marquise.
Celles qui restent, disent le grand amour qu'elle éprouve pour sa fille. Elles sont plus caustiques vis-à-vis de son fils, et d'autres personnes. Étonnement libres aussi : elle n'hésite pas à évoquer les maîtresses du jeune homme, les maladies vénériennes, à se moquer de son peu de succès dans ses amours. On suit son existence, l'âge qui avance, les difficultés de gestion, les soucis d'argent aussi, la vie quotidienne dans sa propriété de Bretagne, les potins parisiens. Les petites choses de la vie en somme, qui rendent le XVIIe siècle si concret, qui le rapprochent de nous.
A découvrir, peut-être dans une sélection, si on ne sent pas le courage d'une trop longue lecture.