Il y a de grandes pièces de théâtre qui pâtissent à des degrés divers du poids écrasant de leur transposition cinématographique.
Et immédiatement je pense à - La Trilogie Marseillaise - de
Pagnol ( -
Marius -, -
Fanny -, -
César -), que l'on ne peut relire sans voir la pellicule défiler sous nos yeux et entendre à travers leurs répliques les voix de Raimu, Fresnay, Charpin, Demazis, Delmont, Vattier et tous les autres.
Pareil pour des oeuvres comme - Un tramway...- avec les ombres immortelles de Brando et Leigh, de - Douze hommes en colère -, et là, en plus de Fonda... on pourrait ajouter le nom des onze autres comédiens qui ont fait de ce huis clos un classique intemporel et indéboulonnable.
Concernant - Qui a peur de
Virginia Woolf -, qui peut, en dehors de la jeune génération et de ceux qui sont "passés à côté" s'exonérer du poids du face-à- face mythique de ces deux monstres du septième art que furent Taylor et Burton ?
En tout cas... pas moi !
Ce qui ne m'empêche pas de temps à autre de relire ce que le théâtre nous a offert de "mieux", de plus fort, de plus dérangeant, de plus bouleversant et, disons-le, de plus intelligent pour nous permettre de nous regarder, et ce faisant, de nous interroger.
Nous sommes dans
les années 60 sur un campus américain. Martha, fille du boss de l'université, rentre chez elle après une soirée arrosée chez son père, accompagnée de George son mari, prof d'histoire dont le manque d'ambition a profondément déçu les attentes et les espoirs de sa maîtresse femme et de son auguste paternel.
Martha a invité à venir boire un dernier verre Dick, un jeune professeur de biologie opportuniste et arriviste, et sa jeune épouse, la naïve, rêveuse et hystérique Honey.
Débute alors une sorte de règlement de comptes à OK Corral entre ces quatre pistoleros à la gâchette verbale facile et assassine... et en guise de musique d'accompagnement, vous avez, entêtant à souhait, l'air de "qui a peur du grand méchant loup ?" - devenu " qui a peur de
Virginia Woolf ?"... fredonné par George et que tout le monde connaît...
Ce jeu de massacre sur fond de distillerie nocturne s'achèvera au petit matin après avoir accouché pour les deux couples "d'un enfant mort-né".
Il n'est pas obligé de connaître la biographie d'
Edward Albee pour comprendre la pièce, mais savoir que ce brillant auteur a reçu à trois reprises le prestigieux Prix Pulitzer est déjà un gage de "confiance". Qu'il aura été toute son oeuvre durant un critique féroce de la vie américaine de son temps en taclant la bien-pensance et l'hypocrisie de la classe bourgeoise en dit un peu plus.
Ce que je trouve faussement paradoxal mais réellement jubilatoire, c'est la reconnaissance et la consécration réservées à un homme qui écrivit - La chèvre, ou - Qui est Sylvia ?-, une pièce dont les thèmes étaient l'infidélité, l'inceste, la pédophilie et la... zoophilie... rien moins que cela ! Et que ladite pièce reçut quelques prix plus qu'honorifiques et fut nommée pour le Pulitzer.
Notons néanmoins que - Qui a peur de
Virginia Woolf ?-, sélectionnée elle aussi pour le Pulitzer, fut écartée par le Komité... pour un discours "blasphématoire et pour ses thèmes sexuels ". Non, ne dites pas bizarre... !
Enfin, sans divulgâcher le plaisir de ceux qui découvriront cette fleur empoisonnée pour la Saint- Valentin ( référence au massacre de la bande à Capone... sourire), Albee a dit du titre de cette pièce qu'il pouvait être entendu comme " qui a peur de vivre sans illusions ?"... J'en ai peut-être un peu trop dit...
À lire et à relire !!!