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EAN : 9782842638337
284 pages
Le Dilettante (14/10/2015)
3.67/5   6 notes
Résumé :
Gilles Sebhan revient sur la vie de Tony Duvert, composée d'éléments entièrement inédits : le témoignage du frère de Duvert, ainsi que celui de son meilleur ami, et des lettres de Duvert lui-même, évoquant son face à face final avec sa mère, dans la maison familiale où il s'était réfugié. Retour à Duvert éclaire le destin hors du commun d'un écrivain. A travers lui, c'est l'histoire d'une époque et de ses intellectuels qui se donne à lire, ainsi qu'une traversée des... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Gilles Sebhan avait déjà consacré à la figure littéraire de Tony Duvert un premier essai, "Tony Duvert, l'enfant silencieux", paru en 2010. Il a éprouvé le besoin d'écrire un second essai biographique intitulé "Retour à Duvert" (2015), car le premier livre se fondait selon lui sur une documentation insuffisante et avait besoin d'être revu et complété. Aussi, "l'enfant silencieux" avait valu à l'auteur beaucoup de courrier et de réactions, qui rendaient nécessaire ce "Retour à Duvert", qui, semble-t-il, ne répète pas le premier ouvrage mais le complète et le parfait.

Pourtant, Tony Duvert n'est pas, dans la littérature française contemporaine, une figure bien connue ni beaucoup lue. Sebhan va jusqu'à le qualifier de "dernier maudit" (p.126), "puisque ce sont ses proches qui se chargent encore d'enfouir une partie de son oeuvre. On n'a plus l'habitude d'autant d'ombre dans les vies de nos contemporains, autant de mystère autour des créateurs. L'art brut s'expose et se vend. On va dans les asiles pour découvrir les travaux des malades et on en fait des livres. Il faut vraiment se cacher très loin en soi-même pour demeurer en-deçà de la biographie. Mais Duvert est un auteur unique, puisque tandis qu'on supprime les preuves de son existence, qu'on scelle ses écrits dans des coffres au lieu de les publier, son mystère brille plus fort." (ibid) Il est en effet étonnant qu'un Rimbaud, qu'un Artaud, soient devenus des étoiles de première grandeur, alors que les textes inédits de Duvert soient jalousement gardés par son éditeur qui refuse de les communiquer.

On pourrait croire que les moeurs de l'auteur entrent pour quelque chose dans cette disparition. Pourtant, Duvert révèle dans les lettres que Sebhan cite de lui, que son comportement personnel est longtemps resté chaste, qu'il n'a été qu'un pédophile en rêve et en écrit, bien plus qu'en actes : il souligne avec amusement qu'en France (celle du gauchisme culturel issu de 68), on peut tout écrire, mais ne rien faire, à l'opposé du Maghreb où il est allé une fois sur les traces de Gide et d'autres, où tout est faisable, mais où l'on ne doit rien dire ni écrire. On pourrait reprendre à son compte ce vers latin que Rousseau utilisait pour lui-même : "lasciva nobis pagina, vita proba", nos écrits sont immoraux, mais notre vie honnête.

Les choses ont changé aujourd'hui, et le gauchisme culturel a dû céder devant la réprobation littéraire et morale qui entoure à juste titre l'expression écrite de la pédophilie. Toutefois, l'enfouissement de Tony Duvert est probablement dû à d'autres raisons que la seule morale, lui qui "imaginait l'amour des enfants, non pas seulement comme une question de moeurs, mais bien au-delà comme une remise en cause de la société et de ses fonctionnements. On en sera au choix étonné, intéressé ou consterné mais la pédophilie constituait dans son esprit une utopie pour demain et un terrain de réflexion. Car ce qui était en jeu pour lui, c'était la redéfinition de l'enfance, sans quoi l'homme n'a pas de sens, c'était la seule chose qui lui importait, de connaître la vérité et le secret de cette chose-là." (p.114)

Ce que Gilles Sebhan écrit à propos de son auteur, vaudrait aussi dans une certaine mesure pour Guillaume Dustan, et sans doute d'autres écrivains marginaux de notre temps : les moeurs pour eux ne sont pas seulement de la sphère privée, mais au contraire, toute déviation, toute perversion, est porteuse d'un projet politique, social, voire sociétal, valable pour tous. Cela donne à la littérature contemporaine un certain accent qui aide à la concevoir. Ces créateurs d'avant-garde ne sont peut-être pas très éloignés, dans le domaine littéraire, des groupes de pression LGBT actuels, qui fondent leur action politique sur leurs particularités anatomiques ou leurs choix de vie.
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Le livre consacré à Tony Duvert que publie Gilles Sebhan, et que j'ai lu il y a plus d'un mois déjà, m'a demandé une longue digestion, et me laisse une étrange impression, comme un malaise que je qualifierais de constant. D'ailleurs Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit - qui publieront tout l'oeuvre de Duvert entre 1967 et 1989 -, ne s'y était pas trompé en publiant le premier roman - Récidive - du jeune écrivain, âgé alors de 22 ans : si le potentiel littéraire est là, la pornographie (aujourd'hui on dirait plus honnêtement la pédopornographie) y est fortement présente et, conscient du risque, décision est prise d'éditer ce livre à 712 exemplaires, sans l'annoncer à la presse, disponible uniquement sur souscription ou par le biais de libraires sélectionnés pour leur discrétion. Cette discrétion est aussi la marque de fabrique de Gilles Sebhan qui nous permet de nous approcher du monstre sans (trop de) danger. Biographie, recueil de lettres, de témoignages, de souvenirs, cet essai protéiforme nous fait entrer dans la vie même de Tony Duvert, avec ses tourments, ses passions ; écrivain compliqué, obsédé par la littérature et souvent détestable. Cela donne lieu à une impossibilité d'empathie qui nous tient à distance, mais le feu qui dévore l'auteur nous attire quand même... et puis Duvert est parfois drôle, quand il déclare à la presse, lors de la remise du Prix Médicis en 1973 : "J'ai trop mal aux fesses... pour... parler.". Sebhan le décrit comme adorant "jouer les gosses et le faisant avec le plus grand sérieux, si l'on y perçoit autre chose qu'un doigt levé dans une espèce de refus post-dada, une séquelle de l'esprit 68, un aphorisme annonçant de façon stupéfiante les grands hérauts du punk", mais un gosse qui fait face au refus et à l'incompréhension puisque Sebhan ajoute encore que "si l'on va au-delà de l'allusion à la sodomie qui était le fond scandaleux de ce prix, peut-être peut-on lire dans cette déclaration une impossibilité absolue, un dégoût et une douleur totale face à l'idée que quelque chose puisse être dit." Certaines lettres de Duvert font à la fois penser à Voltaire et à Céline ; il est parfois génial dans sa méchanceté, drôle dans l'ironie, plein d'esprit, de bons mots, mais une fois les années 70 passées, années de son succès et de son séjour au Maroc, voici venu le retour à l'ordre moral des années 80 et voilà un Tony Duvert perdu, hébété, bête solitaire, traquée, monstre vivant dans le renoncement ; commence alors une chute qui ne s'arrêtera qu'avec sa mort, en 2008. Reste ce livre qui fait l'effet d'un masque de Méduse, beau et terrifiant, ce Retour à Duvert écrit avec beaucoup de délicatesse et d'intelligence, qui ne cherche pas à réhabiliter un monstre, mais plutôt à discerner l'humanité dans toute sa fragilité sous les oripeaux et la face déformée par une vie de misère et de rejet - l'auteur le dit lui-même : "J'ai cherché avec ma lampe torche de biographe à chasser les ténèbres en plein jour, ces ténèbres d'aujourd'hui, et ce que je cherchais, j'en suis à présent certain, c'était toujours un homme." Impossible d'ailleurs de ne pas penser à Sade, alors que se presse un public conquis d'avance lors des expositions (la meilleure à Zurich en 2001/2002, la plus mauvaise à Paris l'année passée). Mais il manque le recul nécessaire pour appréhender l'oeuvre de Duvert, qui sent encore le soufre. Et si je n'ai pas l'envie de découvrir les textes de Duvert, pourtant publiés dans l'une des maisons d'édition que j'affectionne particulièrement, j'ai découvert un écrivain intéressant : Gilles Sebhan, dont je vais me dépêcher d'acquérir les livres La Salamandre (sur Jean Sénac, le Pasolini d'Alger), Domodossola, le suicide de Jean Genet ou encore Mandelbaum ou le rêve d'Auschwitz.
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En août 2008, l'écrivain français Tony Duvert, auteur subversif dont les essais pédophiles lui vaudront de rejoindre l'enfer des bibliothèques, était retrouvé mort dans une maison de Thoré-La- Rochette en Touraine,

Le moins que l'on puisse dire c'est que Gilles Sheban n'a pas choisi la facilité en décidant de publier non seulement une, mais deux biographies : La première en 2010 s'intitulait : Tony Duvert l'enfant silencieux, un récit évoquant sa vie à partir de quelques témoignages.

Après la sortie de son livre de nombreuses personnes se sont manifestées. Des proches, dont son frère ont accepté de témoigner. Des correspondances et des nombreux clichés qu'il a reçu et la conscience qu'il s'était peut être censuré l'ont poussé à rouvrir le dossier de cet auteur sulfureux.

Sulfureux et maudit, peu sympathique au demeurant et qui pour ma part ne m'inspire aucune empathie pour la mort sordide qu'il a eue - il vivait dans une quasi réclusion et était mort depuis plusieurs semaines lorsque la police l'a découvert. Personne dans le village ne s'était inquiété de ne plus le voir -.

Arrogant, provocateur, sûr de lui, belliqueux, ayant les femmes en détestation, pédophile et fier de l'être, défrayant la chronique, provocant scandale et bagarres, crééant des polémiques à la moindre occasion. Il a fini par se fâcher avec tout le monde y compris avec ses meilleurs amis.Toujours fauché et comptant sans retenue sur ses amis, sa famille pour subvenir à ses besoins tout en étant jamais satisfait.

Pédophile et fier de l'être, il n'hésitait pas, dans ses livres, à afficher ses goûts et à les mettre en scène. Prix Médicis en 1973 pour "Paysage de Fantaisie", il a publié entre autres : l'Ile Atlantique, Un anneau d'argent à l'oreille, l'enfant au masculin, et bien d'autres encore tous tournant autour de la pédophilie.

Gilles Sheban tout en prenant de la distance, et en maintenant une certaine réserve dans ce livre est allé au bout des secrets entourant la vie et la mort de cet auteur.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
"Car la misère n'est pas qu'un mot. Attirés par le mythe littéraire, écrit Duvert qui pense peut-être à celui qu'il a été, mille jeunes gens prometteurs tâtent de l'écriture : alors ils voient de tout près notre enfer. Nez roussi, âme souillée, humiliés, incrédules, ils changent précipitamment de chemin et rejoignent le siècle, là-haut, à la lumière : et leur nom disparaît à jamais des chiourmes de l'édition. Comme autrefois aux bancs de nage, ne tomberont dans cette nuit misérable que des ratés, des condamnés, des mercenaires, des dilettantes, des exclus et des bons à rien : venez, soyez des nôtres !

La littérature, Duvert y a cru. Mais au début des années 90, sa vie se résume selon ses propres terme à cette suite vertigineuse : dettes, coupures, huissier, ultimatums. Plus d'électricité, plus de téléphone. Incapacité définitive à payer le loyer. Vente de sa collection de beaux livres. Demande régulière d'argent à ses rares amis ou connaissances. Quiconque l'approchait se voyait "taper", c'est du moins la réputation qu'il avait à cette époque, comme me l'a confié Michel Delon, spécialiste de Sade. "J'avais, disait-il en 1989, publié dans la Quinzaine un papier pour le bicentenaire de Diderot. J'y rapportais une page du Journal d'un innocent où le narrateur se gratte le cul en lisant Le Rêve d'Alembert. Il m'avait remercié de la référence, reproché de l'identifier, lui Duvert au Maroc, avec ce narrateur dans un pays du Maghreb non précisé, et proposer de nous rencontrer. Comme une attachée de presse de chez Gallimard m'avait dit qu'il était en demande permanente d'argent, j'avoue n'avoir pas donné suite. J'ai sans doute eu tort. Je serais d'autant plus disposé aujourd'hui à participer à une manifestation autour de son œuvre, en disant peut-être de lui ce que Bataille disait de Sade, il y a une façon de lui rendre hommage qui l'édulcore."
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Quand on se réveille un matin d'adolescence avec la conscience qu'on sera aux yeux du monde un monstre interdit et impossible, le réflexe est d'abord de s'enfuir, puis de se suicider, enfin si l'on est toujours vivant de se cacher pour survivre.
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