Appollo et
Tehem eurent la bonne idée de chercher dans les archives de l'île de la Réunion. de quoi nourrir une riche et convaincante fiction historique.
Un livre sur un jeune esclave de l'île Bourbon, puis de la Réunion, l'année 1848 (le 20 décembre étant la date de l'abolition de l'esclavage). Edmond, à qui on donnera le nom d'Edmond Albius, a découvert un moyen de féconder la vanille (n'étant pas une plante indigène de la Réunion, elle n'est pas fécondée naturellement et à besoin d'un "coup de main" de botanistes - une technique découverte par Edmond, alors qu'il était jeune). Cela fait de lui un esclave "privilégié" (gros guillemets) et localement connu, quoi que son maître ne l'ait pas affranchi, et qu'en dépit de son potentiel il soit resté analphabète.
Le dessin est doux, expressif, il contraste avec les scènes en elle même assez violentes (ex. Zélidor Magloire, un esclave, est battu entre deux bulles expliquant la trajectoire de chaque personnage). C'est un dessin délicat qui montre particulièrement bien les mains et les petits gestes (ex. belle scène où Edmond montre comment féconder la vanille).
La fête de la liberté à la Réunion commémore donc cet évènement, le 20 décembre 1848, date d'entrée en vigueur du décret d'abolition, et férié à la Réunion. Pour autant, ce ne fut pas, ni historiquement ni dans le roman graphique, une grande fête. La vie restait dure, violente et injuste pour les nouveaux libres - qui exécutaient parfois des travaux forcés. C'est dit en creux dans le beau discours paternaliste : les Noirs doivent travailler honnêtement, et les juges ne seront pas cléments envers eux. La scène de la plaidoirie que n'a pas faite l'avocat, qui donne une perspective globale, inscrit ainsi le livre dans l'Histoire de France. D'ailleurs, un personnage féminin, qui a un penchant réciproque pour Edmond, se prénomme Marianne, je ne pense pas que ce soit le fruit du hasard.
Un livre très humain, tout en nuances, qui rend compte des violences notamment institutionnelles et de l'ordre colonial. Il compte un peu de créoles et l'on voit, comme des clins d'oeil des auteurs, des journalistes de l'époque, qui dessinaient les situations pour les journaux. Les documents écrits purent ainsi immortaliser Edmond que je ne connaissais que très vaguement avant. (je savais qu'un jour un esclave avait trouvé comment féconder la vanille, mais c'était paumé quelque part dans ma tête).
Bien équilibré entre évènements historico-officiels, et la petite histoire (ex. l'amour), c'est (je l'ai écrit et je le réécris) une fiction historique convaincante. Historique, ou mémoriel, c'est un grand débat.