Août 1988. La police anglaise fait appel au docteur en psychiatrie Richard Greville pour les aider à élucider le mystère du « Massacre de Pangbourne", une abominable affaire de meurtres multiples qui défraye la chronique depuis deux mois.
Pangbourne Village, c'est une majestueuse résidence de luxe pour cadres supérieurs (directeurs, financiers, informaticiens, magnats de la télé) où tout a été pensé, construit, élaboré pour que les résidents vivent en toute quiétude et en toute sûreté dans un environnement ultra-sécurisé.
Hélas, malgré la vidéo-surveillance, les caméras, les postes de contrôle, les alarmes, les agents privés, les écrans et moniteurs enregistrant 24h sur 24…malgré donc, tout un dispositif garanti infranchissable, la mort s'est invitée à Pangbourne Village, transformant cet enclos haut de gamme en zone sinistrée. En l'espace d'une demi-heure, le paradis Pangbourne s'est transformé en enfer. Trente minutes de folie meurtrière ; mais une folie froide, méthodique, minutieusement organisée afin que nul ne puisse en réchapper.
Ainsi, le matin du 25 Juin 1988, les policiers font une bien sinistre découverte : tous les membres adultes des dix familles de résidents et quelques rares employés ont été sauvagement assassinés dans le luxueux lotissement de l'ouest de Londres. Les enquêteurs vont dénombrer 32 cadavres d'adultes.
Quant aux treize enfants des familles massacrées, malgré les traces irréfutables de leur présence sur les lieux, ils ont tout bonnement disparus, comme volatilisés. Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Pourquoi ont-ils disparu ?
Si la thèse de l'enlèvement est raisonnablement avancée, nulle rançon n'a été à ce jour exigée, pas plus qu'une quelconque revendication expliquant la tuerie systématique des adultes.
Les agents de Scotland Yard et du Home Office piétinent. Deux mois après les faits, ils ignorent toujours tout des mobiles et de l'identité du ou des assassins.
Le Docteur Richard Gréville, consultant psychiatre pour la police de Londres, débarque alors à Scotland Yard. Sa réputation d'« électron libre enclin à la pensée oblique » a amené les policiers à solliciter son aide pour résoudre cette énigmatique affaire.
C'est à travers les notes du rapport médico-légal de Greville que le lecteur va pénétrer au coeur d'une enquête déstabilisante. Ecrit sous forme de journal de bord, la qualité littéraire n'est ici pas forcément de mise et il ne faut pas s'attendre à de longues phrases travaillées, stylisées ou esthétiques. le docteur rédige son journal et c'est un peu comme si le lecteur lisait par-dessus son épaule, suivant le développement de l'affaire au fil de son exposé et de ses raisonnements. le style est épuré, sans fioriture, dans un but affiché de clarté et de concision. C'est pourtant cette écriture factuelle, au plus près des observations et des constatations de Greville, qui va offrir ce caractère glaçant au roman en le baignant dans un climat remarquable de réalité.
La vidéo des lieux du crime nous communique ainsi d'emblée un sentiment pénible de véracité. La caméra panoramique qui entreprend la visite mélancolique du lotissement révèle l'atmosphère aseptisée qui y règne, un lieu à ce point dépourvu d'âme et de vie que même « les feuilles emportées par le vent semblent avoir trop de liberté ».
Viennent ensuite les théories diverses censées expliquer le massacre qui s'est joué là. Les pistes plausibles sont passées en revue tout autant que les spéculations les plus fantaisistes. Mais la question cruciale demeure ; elle flotte dans les consciences dans un épais brouillard de doutes : que sont devenus les enfants et que leur est-il arrivé ?
La visite de Pangbourne Village et la reconstitution des crimes assoient enfin une version bien trop extravagante et horrible pour pouvoir l'envisager.
Mais l'intrigue n'est pas des plus essentielles. En effet, bien vite nous nous doutons de ce qui s'est réellement passé. En réalité, la force du récit, écrit de manière circonstanciée, froide et précise comme le sont les rapports de police, est de nous amener à reconnaître l'évidence. La construction du roman n'est alors rien d'autre qu'une confortation de l'horreur, une preuve irréfutable de ce que l'on se refusait à accepter. L'inconcevable vérité devient une conclusion sans appel.
Avec ce singulier et dérangeant petit roman paru en 1988, le célèbre auteur d'anticipation anglo-saxon J.G Ballard (1930 – 2009), en visionnaire attentif des mécanismes de nos sociétés modernes, pointait les dangers de la pensée sécuritaire à l'extrême.
Dans leur lotissement ceint de hauts murs et clôturé de grillage électrique, les riches résidents de Pangbourne pensaient pouvoir échapper à la violence du monde en vivant en quasi-autarcie, dans un environnement surprotégé, mais à vouloir tout contrôler, ils n'ont fait que s'enfermer dans une prison dorée, une cage de luxe étouffante, écrasante, où le moindre élément de désordre devait être expurgé. Seule réponse à leur despotisme de la bonté, à leur tyrannie du Beau, de l'amour et de la communication : la révolte par le chaos, la
sauvagerie, le meurtre.
Troublant et inquiétant à souhait, ce petit ouvrage, tendant à refléter ce que pourrait être la logique totalitaire d'une civilisation de demain ultra-sécuritaire, imprime un sentiment de malaise et d'inconfort. Car demain…c'est bientôt…c'est aujourd'hui…