L'affaire est entendue dès les toutes premières pages du roman. Francine Vay est une jeune provinciale, née Anceline
Viala, arrivée à Paris comme servante chez un bougnat depuis son Aubrac natal après avoir échappé au couvent. Abusée par son patron, puis par de nombreux autres hommes, soumise à la prostitution, elle rejoint les rangs des socialistes et s'engage auprès des communards. Devenue journaliste, elle enquête sur le meurtre d'un bourgeois ayant rejoint les rangs de la rébellion, mais très vite, ses investigations la mènent plutôt du côté du crime crapuleux lié à l'exploitation du corps des femmes. Son article, somme d'un travail de longue haleine, ne sera jamais publié, brûlé ainsi que toutes ses notes dans l'incendie qui ravagea la rédaction de son journal alors que dans les rues, les canons versaillais tonnaient. Il ne lui restait que sa mémoire. Et son courage…
Bien sûr, les figures de la commune sont convoquées :
Jules Vallès et le Cri du Peuple pour qui Francine écrivait,
Louise Michel, agissant comme un mentor, mais les souvenirs de la fugitive commencent par sa fuite en juin 1871 alors qu'elle est recherchée par toutes les polices ; les commanditaires du meurtre de Ursule Macalay ayant profité de la débâcle pour lancer contre elle un avis de recherche.
La narration alterne la description de la fuite de Francine vers le Nouveau Monde avec le récit de ses souvenirs, de ses batailles, toujours à la première personne, et c'est le sort réservé aux femmes en ces temps d'aspiration à la liberté qui est dans un premier temps exploré, disséqué.
On balance entre enquête et aventure. L'une nous plonge au coeur des premiers mouvements féministes en France tandis que l'autre nous narre bientôt le quotidien des colons qui, après une périlleuse traversée de l'Atlantique, partent de la Nouvelle-Orléans en convois de chariots, cherchant à rejoindre la Californie et un monde meilleur.
Au sein du convoi qui les mène vers l'ouest, Francine se lie d'amitié avec les deux éclaireurs indiens Biloxis qui les accompagnent. Elle les traite dans un premier temps en « bons sauvages » ainsi qu'elle avait appris à les connaître dans les rares publications les concernant avant son départ, mais constate bien vite la richesse de leur mode de vie qu'elle épousera bientôt, après que son compagnon d'infortune soit lâchement assassiné et que son épopée croise le territoire des fiers et irréductibles Apaches.
Les « parallèles » sont nombreuses dans le(s) récit(s) de
Lilian Bathelot dont le corollaire est le souffle de liberté qui caresse les épaules et poussent les protagonistes à agir. Que ce soit la lutte des communards face aux versaillais ; les prémices de l'émancipation des femmes à travers la naissance des premiers mouvements féministes ; l'espérance des colons fuyant leur misère natale vers un Nouveau Monde prometteur ; la lutte des Indiens d'Amérique pour conserver leurs terres, leurs traditions, leur histoire, face au déferlement de ces mêmes colons ; c'est toujours l'aspiration à plus d'indépendance et à moins de carcans — financier, culturel ou social — qui est en jeu.
Le pari était risqué de s'emmêler les pinceaux en cherchant à croiser tous ces destins, mais par sa construction,
Lilian Bathelot transforme son roman historique en page turner efficace et gracieux.
On peut souligner par ailleurs le travail réalisé sur la « langue » de Francine, une touche discrète qui donne au texte une saveur du passé. Il ne s'agit pas de « vieux » français, mais plutôt de formulations quelque peu désuètes qui apportent un vrai cachet à la lecture, comme un filtre sépia sur une vieille photographie.
Lilian Bathelot prend parfois quelques raccourcis pour faire avancer son récit et on s'étonne au détour des pages de péripéties qui frisent avec l'incohérence ou de la « réussite » inconditionnelle de Francine dans tous ses combats, mais c'est pour la bonne cause — on lui pardonnera.
Quant aux notes de bas de page, nombreuses, elles viennent enrichir le propos par un éclairage plus « historique » et démontrent l'attachement de l'auteur à une « vérité » documentaire, contrebalancée toutefois par quelques abus qui cherchent à démontrer (un peu maladroitement) que le récit serait le fruit d'une collecte rigoureuse d'éléments ayant réellement existé, alors qu'il ne s'agit, on s'en doute, que d'une fiction romanesque.
En fin de compte, des maladresses qu'on oublie vite pour ne retenir que l'image des vies mouvementées d'Anceline
Viala et de Francine Vay.
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