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EAN : 9782264082954
504 pages
10-18 (05/10/2023)
3.73/5   45 notes
Résumé :
C’est l’Amérique des années 1930. Celle de la Prohibition, du suprémacisme blanc, de la misère qui a jeté des millions d’affamés sur les routes. Quand ils ne voyagent pas agrippés sous un train, de ceux dont la conquête de l’Ouest a pavé le pays et qui mènent à présent jusqu’au Pacifique. Et cet horizon-là, celui des rivages de la Californie, prometteurs d’un avenir doré, c’est celui de deux hommes, d’une femme et d’un enfant. Milton, le rejeton prodigue qui a rompu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Dans l'Amérique des années trente, quatre destins nous emportent dans la tourmente de la Grande Dépression, alors que des millions de misérables se sont lancés sur les routes dans l'espoir d'un avenir meilleur : Milton a rompu avec sa riche famille de banquiers et d'industriels ; Arthur traîne son trouble et lourd passé de vétéran de guerre ; Pekka ne cesse de changer d'identité pour tenter d'échapper à sa triste condition ; l'adolescent Nathan s'accroche à qui il peut dans son errance à travers le pays.


Tout commence dans la ville canadienne de Halifax, lorsqu'en 1917, la collision entre deux navires, dont l'un chargé de munitions à destination de la guerre en Europe, fait sauter la ville en ce qui restera la plus puissante explosion d'origine humaine jusqu'aux bombes atomiques de 1945. Non contente de bousculer à jamais la destinée des rares survivants, la déflagration semble générer une onde de choc infinie dans la vie des personnages du roman, embarqués dans une inexorable glissade vers un malheur sans cesse réinventé.


En 1933, tandis que l'Exposition Universelle de Chicago vante un siècle de progrès pour la glorieuse Amérique, le pays touche en réalité le fond après quatre ans de crise sans précédent. le chômage frappe un quart de la population et prive de toit des centaines de milliers de familles. Exploités dans d'infernales conditions, en particulier dans les vergers californiens, les ouvriers sont tentés de rejoindre des syndicats. Des marches de protestation s'organisent, comme celle, en 1932, des anciens combattants réclamant, en raison de la crise, le paiement immédiat de la prime qui leur était promise pour 1945. Crispés jusqu'à la paranoïa par la peur du communisme et du désordre intérieur, politiciens et suprémacistes blancs réagissent par la répression violente, tandis que racisme, antisémitisme et sympathies fascisantes viennent empoisonner un peu plus l'atmosphère explosive d'un pays englué dans le désespoir.


C'est une fresque foisonnante que construit, par touches impressionnistes, ce récit éclaté en multiples rebonds, dans le temps et entre ses personnages. de l'explosion de Halifax à la crise de 1929, en passant par les conflits armés et par la violence sociale, émerge l'impression quasi apocalyptique d'un espace de vie transformé en champ de désolation par des déflagrations en chaîne. Nul espoir ne vient éclairer ces destins, comme brisés dans l'oeuf et inexorablement martelés par le malheur. Une fatalité pesante les condamne : celle de l'indifférence et de la peur des plus riches et des plus puissants, anxieux du maintien de l'ordre de leur univers privilégié, au point de fraterniser avec les penchants les plus obscurs du racisme, du fascisme et de l'autoritarisme.


Nombreux sont les faits méconnus et saisissants qui viennent émailler cette reconstitution historique dense et impressionnante, servie par une narration fluide, incisive et engagée. Un très beau roman, terriblement noir, qui m'a donné envie de relire Les raisins de la colère.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Ambitieux – Brillant – Déroutant.

Ambitieux
Valentine Ihmof est probablement la plus américaine des auteures françaises. Rien d'étonnant donc qu'après deux polars dont le souvenir me hante encore, elle ait choisi dans le Blues des phalènes de s'attaquer à un pan sombre et méconnu de l'histoire US.

À travers les destins croisés de ses 4 personnages – Pekka, Arthur, Milton et Nathan – Imhof raconte la Grande Dépression vue par ceux qui la subirent plus qu'ils ne la traversèrent, bâtisseurs laborieux, exploités et oubliés, face B du rêve américain. Des personnages ayant en commun la rupture franche avec leur passé, leur famille, leurs espoirs et leurs illusions. Mais aussi le poids d'un meurtre…

Des personnages qui vont un temps se croiser à Halifax en Nouvelle-Écosse, port stratégique d'envergure mondiale meurtri par l'explosion générée par la collision de deux navires, dont le funèbre bilan ne sera surplanté que par Little Boy des années plus tard.

En près de 500 pages, Imhof travaille son sujet sous tous les angles pour rendre la copie la plus fidèle de ces années 30 de bascule, entre fuite incessante et répit de quelques mois de boulot pour quelques cents par jour ; entre promesse des bénéfices du progrès annoncé et luttes sociales pour ne pas les attendre trop longtemps ; entre relents tentateurs du fascisme européen en cours d'installation et chasse aux communistes devenus symboles à abattre.

Engagements dans les guerres du Commonwealth et de l'Europe, grande explosion, exposition universelle de Chicago, sculptures des Black Hills Moutains, prohibition, bataille de Washington, Bloody Thursday de San Francisco… La grande histoire, parfaitement documentée, se revisite, racontée par ceux qui la vécurent.

Et au-delà, la petite histoire d'une société américaine en attente du rebond, qui n'a de cesse que d'«agiter le fanal fumeux d'un espoir illusoire pour que d'autres phalènes viennent s'y brûler ». Ambitieux, très ambitieux.

Brillant
Valentine Imhoff devait certainement aimer les puzzles, assemblage de pièces diversifiées où seul l'ensemble final finit par faire sens. La construction du Blues des phalènes en témoigne, intelligente et brillante.

Elle travaille jusqu'à l'os chacun de ses personnages, dans une étude à 360° sans logique temporelle, où leurs propres pensées en dévoilent davantage que leurs actes, réussissant peu à peu à déployer une empathie du lecteur pas forcément acquise au début.

Milton qui a fui sa famille pour la guerre puis la vie solitaire et ne trouve l'apaisement que dans la peinture et le désert ; Pekka, Joséphine, Jane… aux multiples vies pour autant de changements de noms ; Arthur, tentant d'expier son passé sanglant dans la révolte et la lutte sociale ; et Nathan, Iowa Kid qui retrouve dans la communauté des bannis, le père qu'il n'a pas eu et l'espoir d'un avenir différent.

L'ensemble est porté, comme toujours chez Imhof, par un style évolutif au fil du livre : factuel dans le récit historique ; violent et cash dans les chapitres les plus sombres ; effrayant quand elle décrit Ragetown et les cloaques ouvriers ; délicieusement poétique et inspiré dès que la bride est lâchée.

« Parce que les hommes auront beau s'échiner à bricoler, calculer, cultiver, combiner, fabriquer, tant qu'ils peuvent, la nature aura toujours le dessus. Ils creusent des tunnels, elle sculpte des canyons. Ils construisent des immeubles, elle érige des montagnes. Ils créent des lacs et des canaux, quand elle a enfanté les fleuves et les mers ». Brillant, très brillant.

Déroutant
Alors forcément, la contrepartie de cette ambition et de cette construction brillante est un livre qui pourra parfois sembler déroutant dans certains de ses passages.

Se fiant de la ligne du temps et de la chronologie, Imhof balade son lecteur entre les époques, au coeur d'un même paragraphe parfois, le plongeant volontairement dans une sorte de tournis temporel nécessitant quelques efforts. Amateur de pageturners, passez votre chemin.

La multiplicité des thèmes abordés et la variation de place et d'importance qui leur est donnée (notamment à la fin), interpelle, amenant le lecteur là où il ne s'y attendait pas, dans une progression originale mais inattendue du livre.

Le Blues des phalènes ravira celles et ceux qui sauront lâcher prise et prendre la main de l'auteure pour se laisser embarquer dans son ambition, ce qui fut mon cas. Avec à la fin la certitude que je relirai ce livre un jour pour en saisir toute la richesse.
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Dans le blues des phalènes, Valentine Imhof nous entraîne dans les pas de quatre personnages.
Au début des années 30, entre le Canada et les États-Unis.
Points communs de ces protagonistes ?
Une explosion à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 6 décembre 1917. Leur futur va se jouer ce jour-là.
Nathan, l'enfant. Pekka, la femme et mère. Arthur, le vétéran. Milton, le fils d'une riche famille.
Tous ont des secrets et tous ont, du sang sur les mains.
C'est leur errance que nous conte la romancière.
Dans une Amérique de l'après-krach de 29.
Les entreprises ont fait faillite, le chômage explose et la violence avec.
Chacun fait ce qu'il peut pour s'en sortir.
Il faut se battre pour travailler,  pour avoir un toit, pour se nourrir, pour vivre.
Il faut surtout ruser pour échapper à un funeste destin.
Dans son roman, Imhof nous fait revivre cette terrible époque d'une Amérique au bord de l'implosion.
Il y a un air des Raisins de la colère dans son récit.  On y côtoie la même misère.
La montée de l'extrême droite, l'exploitation par un patronat qui ne s'embarrasse pas devant l'afflux de main-d'oeuvre, la lutte ouvrière, la répression policière ou milicienne.
C'est une guerre fratricide au quotidien, qui voit les politiciens fermer les yeux sur les exactions et le gouvernement ordonner à ses troupes de faire feu sur ceux qui, hier encore, luttaient pour la liberté du monde.
Le blues des phalènes est un roman noir auquel cette musique s'accorde tout à fait.
J'ai eu du mal à trouver mes repères au début de ma lecture, mais une fois plongé dans l'histoire, l'autrice m'a accroché et j'ai eu du mal à la lâcher.
On s'attache aux personnages qui, bien que malmenés par la vie et conscients de leurs erreurs, assument.
Un roman bouleversant.
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La vie de chroniqueur n'est faite que de frustrations et de rendez-vous manqués avec des ouvrages qui défraient la chronique et que l'on n'a pourtant pas eu le temps de lire comme ce fut le cas avec Par Les Rafales (Rouergue/Noir 2018) de Valentine Imhof, un premier roman policier dont une partie de l'intrigue se situait à Nancy et qui avait bouleversé bon nombre de critiques. Second roman policier, Zippo (Rouergue/Noir 2019) prenait pour cadre Milwaukee aux Etats-Unis avec une parution beaucoup plus confidentielle mais qui suscitait le même enthousiasme auprès des amateurs. Entre Lorraine, terre d'origine de la romancière, et Etats-Unis où elle a séjourné à plusieurs reprises, Valentine Imhof enseigne désormais le français au lycée de l'île De Saint-Pierre, comme partagée entre deux territoires de prédilection qui s'inscrivent dans ses deux premiers romans. Détentrice d'une maîtrise en littérature et civilisation américaine, Valentine Imhof a également publié Henry Miller, La Rage D'écrire (Transboréal 2017) une biographie sur ce célèbre romancier, grand témoin critique de l'Amérique contemporaine qu'il décline tout au long d'une oeuvre jugée sulfureuse par une société puritaine qui ne lui fera aucune concession. Regard critique d'une Amérique qui la fascine, Valentine Imhof change de registre avec le Blues Des Phalènes qui prend pour cadre une nouvelle fois les Etats-unis dans son ensemble avec un récit oscillant sur les registres de l'histoire, de l'aventure et du roman noir et qui se déroule durant la période sombre de la grande dépression des années 30 avec comme point d'orgue l'explosion de Halifax en 1917 qui fut la plus grande déflagration causée par l'homme avant les premiers essais atomiques au Nouveau Mexique.

Le 6 décembre 1917, une gigantesque explosion ravage la ville de Halifax en bouleversant le destin des rares survivants qui semblent poursuivis toute leur vie par le souffle de la déflagration balayant leur destinée. Comme marqués par cette malédiction, ils vont traverser une Amérique frappée par la Grande Dépression des années 30. Celle qui projète des millions d'affamés sur les routes en quête d'un avenir meilleur. Il y a Arthur, le vétéran de guerre qui ne se remet pas du souvenir des massacres dans les tranchées de la Somme et surtout du poids de crimes impardonnables qu'il a commis. Il y a Pekka qui change constamment de nom, qui endosse d'autres identités à chaque fois qu'elle débarque dans une nouvelle ville. Il y a Nathan, le fils de l'Explosion qui entame une vie de trimardeur, une vie d'errance en parcourant tout le pays à bord de trains de marchandises en essayant d'éviter les vigiles et leurs matraques. Et puis il y a Milton, le rejeton d'un famille richissime qui a renoncé à tout pour se retirer à Tip Top, une ville fantôme de l'Arizona. du gigantisme de New-work à l'immensité des champs de la Californie et de ses travailleurs courbés, de l'exposition universelle de Chicago au barrage Hoover qui s'érige sur le sang des ouvriers, on suit ainsi le parcours de ces quatre âmes damnées qui se débattent dans le fracas d'un monde impitoyable.

Comme tout récit monumental, le Blues Des Phalènes est un roman noir intense qui se mérite avec une structure narrative déconcertante qui ne manquera pas de bousculer le lecteur abreuvé de trames trop linéaires. A la manière d un compte à rebours, le récit se concentre sur chacun des personnages représentant une année de la Grande Dépression débutant en 1935 pour Milton puis se focalisant sur la période de 1933 pour Arthur avant de passer au déroulement de l'année 1931 pour Pekka et Nathan. Puis survient cette explosion de 1917 à Halifax qui rassemble l'ensemble des personnages avant d'être à nouveau projetés dans une temporalité qui s'inverse en retournant en 1932 pour suivre le parcours de Nathan, puis en 1933 en accompagnant Pekka du côté de Chicago suivi de 1934 pour s'attacher au destin d'Arthur découvrant les affres des travailleurs exploités en Californie avant de s'achever en 1935 dans la solitude du désert de l'Arizona dans lequel on retrouve Milton. La boucle est ainsi bouclée et l'on observe donc une espèce d'éclatement, d'explosion de cette arche narrative, symbole de la déflagration de Halifax, qui contribue au malaise d'une époque trouble où l'on croise une multitude d'individus déroutants qui s'inscrivent dans cette fresque historique à la fois méconnue et brutale de l'Amérique que Valentine Imhof dépeint au gré d'un texte incandescent et flamboyant. Outre l'aspect d'une narration singulière, il faut également souligner la beauté de cette écriture dense et extrêmement travaillée nous permettant de nous immerger dans un texte très fluide qui nous entraîne, sans crier gare, dans les méandres d'une intrigue où la réalité se conjugue constamment à la fiction sans que l'on y prenne vraiment conscience. Aux côtés de ses quatre personnages de fiction que sont Milton, Arthur, Pekka et Nathan, on côtoie des individus méconnus de l'histoire contemporaine des Etats-Unis que sont John Spivak, journaliste communiste qui s'attache à dépeindre les conditions de vie des ouvriers, Gutzon Borglum le sculpteur du Mont Rushmore affilié au Klan, Robert Allerton philanthrope issu d'une famille richissime de Chicago, Winnie Ruth Judd une meurtrière qui défraya la chronique judiciaire sensationnaliste de l'époque et Robert Ripley reporter et dessinateur qui organisa des expositions de freaks pour l'exposition universelle de Chicago. C'est l'occasion pour Valentine Imhof de dépeindre les contradictions d'un pays partagé entre deux idéologies que sont le communisme et le fascisme et des conflits qu'il ont engendré notamment au sein d'une classe ouvrière surexploitée avec des méthodes telles que le taylorisme et dont on prend la pleine mesure au gré de scènes parfois dantesques abondamment décrites tout comme le ressenti de ces personnages poignants qui évoluent dans cette période chaotique en supportant constamment le poids d'une culpabilité dramatique qui les détruit peu à peu. Tout cela nous donne une fresque foisonnante d'un pays ravagé par la misère qui semble se consumer de l'intérieur au gré de ses contradictions et de ses clivages que Valetine Imhof restitue avec la précision d'un texte ambitieux qui comblera les lecteurs les plus exigeants qui auront sans doute quelques réminiscences des romans de London, de Steinbeck et de Dos Passos.

A la fois âpre et majestueux, le Blues Des Phalènes est une éblouissante reconstitution de cette époque trouble de la Grande Dépression que Valentine Imhof décline au gré d'un récit intense et engagé qui nous rappelle que L Histoire est un éternel recommencement et que les erreurs du passé ne font que renforcer celles du présent.

Valentine Imhof : le Blues Des Phalènes. Editions du Rouegue/Noir 2022.

A lire en écoutant : Georgia Lee de Tom Waits. Album : Mule Variation. 2017 Anti.
Lien : https://monromannoiretbiense..
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Valentine Imhof m'avait impressionné avec son précédent roman tout en noirceur, aussi envoutant que perturbant. J'étais assez impatient de me plonger dans sa nouvelle aventure.

Le récit ne suit aucune logique temporelle ou scénaristique. La narration est éclatée, parfois confuse et passe d'un protagoniste à un autre, d'une époque à une autre, sans véritable lien. Il faut donc vraiment s'impliquer dans la lecture pour appréhender la profondeur du sujet.

J'ai appris beaucoup de choses sur L Histoire américaine, avec des évènements que l'on a peu relatés. J'ai découvert la terrible explosion d'Halifax et les grèves syndicales suite à la crise de 1929. Mais le but de l'autrice n'est pas dans les péripéties, il se trouve dans le ressenti des personnages. Ce sont des êtres lambdas et on vit les situations par leurs yeux et à travers leur esprit.

L'écrivaine veut nous parler d'un lieu et d'une période, par le prisme de ceux qui l'ont habités. En entrant dans le psychisme de ces hommes et de ces femmes, elle s'intéresse aux conséquences des grands drames sur la population. L'Histoire n'est qu'une toile de fond sur laquelle s'écrit le sort des petites gens.

L'atmosphère est morne, les quatre destins sont écorchés et malmenés par la vie. On évolue avec eux dans ce tunnel noir, en ressentant leurs tristesses, leurs désespoirs, leurs fatigues, leurs petites joies. On participe à ces destinées brisées par la dure réalité de l'époque.

L'autrice montre avec ce roman que son talent est protéiforme. Elle sait l'adapter à des récits complètement différents. Sa plume, d'une qualité supérieure et exigeante, produit à chaque fois son effet. Sur un rythme lent et obsédant, elle nous procure une approche sociologique qui fait appel à tous les sens. La lecture d'un livre de Valentine Imhof est une expérience que je conseille à tous ceux qui sont en recherche d'une littérature ambitieuse.
Lien : https://youtu.be/lAdSLohn_3I
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Ce qui les rend aujourd’hui particulièrement intraitables et encore plus affreux que jamais, ce qui leur fait mettre les bouchées doubles, c’est l’imminence de la récolte des melons. 15 000 hectares qui seront à point, prêts à cueillir, d’ici quatre semaines, environ. À la seule condition que les ouvriers ne la ramènent pas trop, voire pas du tout, avec leurs sempiternelles négociations de salaires, leurs aspirations à créer un syndicat qui les rassemble et les protège et leur sale habitude d’agiter pour un oui et pour un non l’épouvantail d’une grève. Les producteurs ne veulent pas en entendre parler, tu penses ! Et ils sont bien décidés à éteindre la contestation dans l’œuf. Pas question de se laisser contraindre à quoi que ce soit par des mendigots qui, quoi qu’ils en disent, reçoivent un salaire, indécent, certes, mais un salaire quand même, dont ils vont devoir se contenter. Sinon, ils n’auront qu’à partir et aller se faire pendre ailleurs. Ils leur trouveront des remplaçants, ce n’est vraiment pas ce qui manque. Ils en feront venir par camionnées depuis l’autre côté de la frontière, ce qui se fait déjà, d’ailleurs, et de parfois plus loin : tu verras, les champs sont pleins de Mexicains, de Philippins, et de Japonais. Et de familles et de gamins aussi. Des sommes colossales sont dans la balance. Et qui se jouent au jour près. Avec les récoltes, on ne plaisante pas. En moins de vingt-quatre heures, tout peut être fichu, trop mûr pour supporter le transport. Alors les fermiers ne veulent pas laisser quelques journaliers mal embouchés et endoctrinés s’interposer, tout compromettre, et transformer une industrie lucrative en loterie. Ils ne veulent surtout pas renoncer à des bénéfices qui ont grimpé de 25 à 120 % l’année dernière ! Tu parles d’une manne ! Et tout cela sur le dos courbé d’une main-d’œuvre contrainte de travailler pour presque rien et dans des conditions dégradantes. Il est clairement hors de question, pour eux, de céder à nouveau au chantage à la grève, totalement exclu de se faire avoir comme l’été dernier en accordant in extremis, et le couteau sous la gorge, une augmentation des salaires. Alors pour éviter de baisser culotte et de se sentir pris par les couilles, pour ne pas lâcher le moindre cent, ne plus jamais se voir forcer la main, et dissuader les récalcitrants et tous les regimbeurs, ils recourent à la terreur. La peur doit être totale. Et puisqu’il faut traiter la menace en amont, régler le problème à sa source, ils se sont lancés dans une vaste campagne anti-Rouges. Un peu comme s’ils avaient mis sur pied un plan de dératisation globale ou un épandage contre des bestioles susceptibles de bouffer leurs récoltes. C’est pour ça qu’on est là. Depuis près de deux mois, ils ont rameuté des troupes et ils orchestrent la trouille dans ces vallées à l’écart de tout, à l’écart du monde, à l’écart des lois constitutionnelles. Avec la complicité des autorités locales, bien entendu. Qui font passer des tas d’ordonnances anti-rassemblement et anti-grèves visant à museler toute récrimination et toute contestation, même la plus anodine et, surtout, la plus légitime. Et cela avec le support indéfectible et zélé de la police qui vient toujours épauler, et parfois armer, les milices privées et les enchemisés, comme les factieux de ce salopard de Case, et les encagoulés du Klan qui viennent prêter la main. Ils organisent de véritables battues, des chasses à l’homme, des lynchages. Donner des leçons faire des exemples. Pour apprendre au travailleur, ou lui rappeler, de rester à sa place. Alors Haro ! sur les communistes, tous ceux qui ont pris contact avec un syndicat, ou qui seraient tentés de le faire. Quand je te dis qu’on arrive en terrain miné, ce n’est pas une hyperbole, ni une métaphore. Je ne cherche pas à t’impressionner, je te dresse juste le tableau. Je sais que toi la guerre, la vraie, tu l’as faite, et que t’as dû en voir de drôles, là-bas… Mais ce qui se passe chez nous en ce moment, c’est aussi une guerre. Une guerre sale. Contre les travailleurs, contre leurs droits les plus élémentaires, contre leur dignité d’hommes et de femmes… Et tout ce que je peux faire moi, c’est rapporter ce que je vois, le dénoncer, pour que les gens sachent ce qui se passe dans ce désert à l’écart des grandes routes, où l’administration Roosevelt n’a pas l’air de trop vouloir se mouiller…
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Sa vie n’a été qu’une collection de refus et de disparitions. Une suite de désincarnations. Un défilé perpétuel de rôles passagers et mal taillés dont il s’est effeuillé comme on arrache les pages d’un carnet, qu’on froisse, une à une, avec une jouissance méthodique, pour jeter dans le poêle esquisses ratées et croquis maladroits. Et ces mues successives, ces falsifications permanentes, loin de le renouveler et de le révéler à lui-même, ont fini par mettre au jour une absence. Son absence. Il n’est qu’une cosse incurablement vide.
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Les événements de l’été 1932 à Washington sont, sans aucun doute, ceux qui l’ont le plus ébranlé. La dispersion brutale, par l’armée et la police, des anciens combattants venus de tout le pays par dizaines de milliers, des vétérans exsangues, accablés par la crise, qui voulaient seulement faire valoir leurs droits en réclamant la prime qu’on leur avait promise.
C’était le 28 juillet 1932. La Bataille de Washington n’a duré qu’un après-midi et une nuit, mais est du genre qu’on n’oublie pas. Et pourtant des batailles, il en a vécu d’autres. Arthur était arrivé dans la capitale fédérale depuis quelques semaines et avait pu retrouver, parmi cette foule d’affamés qui arboraient fièrement leurs distinctions militaires, des anciens camarades auprès desquels il avait combattu en France et aussi en Belgique.
Arthur était là. Il a tout vu.
Des camions anti-insurrection, chargés jusqu’à la gueule de munitions à balles pour alimenter leurs canons de 75, des véhicules blindés surmontés de mitrailleuses, des calibres 30 et 50, et aussi, comme sortis d’une hallucination, des chars d’assaut ! Le bruit abominable de leurs chenilles sur le macadam de Pennsylvania Avenue. Qui convoque les pires heures de la guerre en Europe, fait croire à une soudaine invasion.
L’armée américaine se déploie pour attaquer les siens. Elle mène, sur son propre sol, et en plein cœur de la ville, des offensives contre ses propres soldats. Avec des gaz lacrymogènes, avec des baïonnettes, avec des torches en journaux roulés pour incendier les campements de fortune. La troupe est lâchée, carabine en bandoulière et sabre au clair, et elle charge. À pied, à cheval, à moto. Sous la direction d’un général en uniforme d’apparat, un certain MacArthur, impatient d’en découdre avec ces masses de clodos qu’on prétend infiltrées et galvanisées par les Rouges, déterminé à incarner la résolution du gouvernement fédéral à ne pas se faire chahuter chez lui par quelques fauteurs de troubles.
Un pouvoir devenu fou qui instaure la loi martiale et donne l’ordre de nettoyer la ville. Parce que la misère générée par la Grande Dépression s’y étale de manière gênante, trop visible, jusque sur les pelouses des institutions centrales, jusque sous les fenêtres des représentants.
Comme un reproche insupportable, une preuve, accablante, de son incurie à gérer le marasme.
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Un hameau misérable, déglingué, des tas de planches assemblées à la va-comme-je-te-pousse, ouvertes aux quatre vents, à la chaleur, à la poussière, où sont logés les travailleurs migrants. Dans ce ranch, une trentaine de familles mexicaines, qui ont probablement cru au Pays du lait et du miel, y croient peut-être encore, dur comme fer, envers et contre tout.
Tous ces appentis dérisoires se ressemblent, avec leurs quelques gamelles et couvertures, leurs sacs de farine et de haricots, posés à même la terre battue. Aucun n’a de meubles, tous ont un crucifix, accroché bien en vue, face à l’entrée. Désespoir ou aveuglement ? Les deux, sans doute, en proportions variables. Parce que si le Pays du lait et du miel est ici, on n’ose pas imaginer ce que ces hommes, ces femmes et ces enfants ont abandonné de l’autre côté de la frontière. Et dans ces conditions, en l’absence d’église et de prêtre, une béquille spirituelle, une grande oreille où déverser ses peines et ses aspirations, c’est toujours mieux que rien. Et malgré son silence, dont on ne saurait dire s’il est de l’indifférence, une incapacité à régler des problèmes trop nombreux, ou une absence pure et simple, parier sur Dieu ne coûte rien.
Certains de ces abris de fortune se distinguent des autres par une feuille clouée à même le bois de la porte. FIÈVRE ÉCARLATE. En lettres rouges. Ailleurs, dans d’autres campements, la Commission fédérale a signalé des cas de typhus, de diphtérie et de dysenterie. Les autorités de santé ont fait une tournée éclair, il y a des semaines, placardé à la va-vite leurs avertissements imprimés et sont reparties, sans envoyer de médecins ni de médicaments. Sans informer non plus les gens sur les risques de contagion. Sans instaurer une quelconque quarantaine. Que feraient, en effet, les fermiers, privés de leur main-d’œuvre ? On ne voudrait tout de même pas qu’ils se retrouvent le bec dans l’eau. Le contexte global est déjà compliqué. Et ce serait quand même bien dommage de perdre une récolte pour une poignée de gamins qui tombent malades ici et là. Qui crèvent aussi, c’est vrai, ça arrive. Mais bon… Des mômes, s en feront d’autres, ces Mexicains. Ils pourront en refaire autant qu’ils veulent. Alors que la saison de la fraise et de la framboise, elle est très courte. Oui, un gâchis considérable s’il n’y avait plus personne pour les mettre en barquettes.
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Il connaît bien la misère des villes. Il a pu voir à Chicago combien elle est atroce et sans remède, combien elle écrase les hommes et les digère pour ne recracher que des ombres. La misère des champs, celle qui accable les centaines de milliers de saisonniers du sud de la Californie, semble plus effroyable encore. Elle fait d’eux des insectes, des cancrelats, des rampants.
Spivak a commencé à lui détailler la situation dans le train de San Diego et poursuit son topo dans la voiture qu’ils ont louée pour faire les deux cents derniers kilomètres jusqu’aux terres maraîchères de l’Imperial Valley. Une région aride, où il ne pleut presque pas. Et, paradoxalement, l’un des plus grands jardins du pays. Ici, pas de morte-saison, pas de friches ni de jachères. Des récoltes qui se succèdent tous les mois de l’année. Et des multitudes de cueilleurs, captifs du désert et de leurs employeurs, épuisés, asservis. (…)
– Il faut que tu saches qu’on va arriver en terrain miné, dans un no man’s land au milieu de nulle part, où s’appliquent uniquement la loi des plus forts et la loi des armes. Comme au bon vieux temps du Far West, version Kit Carson et Bill Cody. Ce qui se passe là où on va est vraiment moche et brutal. C’est une guerre, il n’y a pas d’autres mots. Les mouvements des cueilleurs de laitues et de pois, en janvier et mars derniers, ont été réprimés avec une violence pas croyable, sous l’impulsion de deux groupes férocement déterminés, et qui ont décidé de conjuguer leurs forces pour que tout file droit, selon leurs règles iniques : l’Association pour la protection des producteurs et des exportateurs de l’Imperial Valley et la très explicitement et simplement nommée Association anti-communiste. On ne compte plus leurs exactions et leurs saloperies. À leur actif, nombre d’arrestations massives d’ouvriers syndiqués, ou seulement soupçonnés de l’être, parce qu’on n’est jamais trop prudent, qu’ils envoient se faire oublier dans les prisons du comté, sous toutes sortes de prétextes bidons. Ils se sont aussi spécialisés dans les enlèvements de meneurs et de sympathisants. Comme ceux des trois membres de l’Union américaine des libertés civiles, il y a quelques semaines. Ça s’est passé à Calexico, où on ira demain. C’était en pleine rue, en pleine ville, en plein midi. Un groupe d’hommes armés les a pris à partie, insultés et battus. Tout ça devant une foule de badauds, la foule des grands jours, qui a regardé ça comme une distraction, un spectacle. Et puis, après les avoir bien passés à tabac, ils les ont jetés, plus morts que vifs, à l’arrière d’une camionnette et sont allés les balancer dans le désert, comme des charognes… Ces trois-là s’en sont sortis de justesse, grâce à l’un des nôtres qui a pu les récupérer à temps, mais ils sont encore dans un sale état. Qu’ils soient en vie est un pur miracle. L’avocat qui a voulu s’emparer de l’affaire a reçu des menaces et le shérif n’a, évidemment, rien vu à redire. À ses yeux, aucune infraction avérée aux lois locales, rien qui nécessiterait de mobiliser ses hommes pour rechercher les coupables… Le Far West, je te dis.
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